jeudi 28 novembre 2024

Comedian

1 commentaire:

(*) Oscar Holland, CNN, 21 novembre 2024 


L’artiste italien Maurizio Cattelan (né en 1960), est l’auteur, entr’autre, d’une œuvre d'art conceptuelle composée d'une banane collée au mur avec du ruban adhésif. L’oeuvre dénommée Comedian vient d’être vendue le 20 novembre 2024 pour un montant de $6,24 millions lors d'une vente aux enchères de Sotheby's à New York.

Comedian

La maison de vente aux enchères avait estimé l’oeuvre entre $1 et $1,5 millions. Les enchères ont commencé à $800 000.

Au cours de la vente, le commissaire-priseur Oliver Barker a décrit l'œuvre comme emblématique et perturbatrice, tout en plaisantant sur le fait que vendre une banane aux enchères était « des mots que je n'aurais jamais pensé dire ».

Peu de temps après la vente, Sotheby's a révélé que Justin Sun, un collectionneur chinois et fondateur d'une plateforme de crypto-monnaie, avait acquis l'œuvre.

« Ce n'est pas seulement une œuvre d'art », a déclaré Sun dans le communiqué de presse. « Il représente un phénomène culturel qui fait le lien entre les mondes de l'art, des mèmes et de la communauté des crypto-monnaies. Je crois que cette œuvre inspirera plus de réflexion et de discussion à l'avenir et fera partie de l'histoire ».

En tant qu’adjudicataire gagnant, l’acheteur-collectionneur recevra un rouleau de ruban adhésif et une banane, ainsi qu'un certificat d'authenticité et des instructions officielles pour l’installation de l'œuvre. 

Le monde de l'art était divisé sur les mérites de l'œuvre, bien que certains critiques l'aient considérée comme enracinée dans la tradition des oeuvres conceptuelles – remontant au célèbre Urinoir monté de Marcel Duchamp – qui remettent en question la valeur de l'art lui-même. Les foules se sont rapidement formées, les participants à la « foire de l'histoire », faisant la queue pour voir l'installation virale.







jeudi 21 novembre 2024

La triple peine

2 commentaires:

Pierre Pestieau

Outre le fait de manquer de tout, les pauvres perdent leur autonomie et meurent bien avant les plus nantis. Cette triple peine met en évidence un aspect troublant des inégalités : leur impact sur la santé et l’espérance de vie. La pauvreté n’est pas seulement un désavantage économique ; elle a des effets profonds sur l’ensemble du parcours de vie d’une personne, y compris sur sa santé et sa longévité. Les personnes pauvres, limitées par des ressources restreintes, ont souvent un accès réduit à une alimentation nutritive, aux soins de santé, à des environnements de vie sûrs et à une éducation de qualité. Cette privation systémique entraîne des résultats de santé moins favorables, davantage de maladies chroniques et des taux de handicap plus élevés, ce qui mène, en fin de compte, à une espérance de vie plus courte.

L’expression inégalité face à la mort est particulièrement poignante, car elle saisit comment l’inégalité ne se limite pas seulement aux conditions de vie mais s’étend jusqu’à la fin de la vie. Des études montrent de manière constante que les déterminants sociaux comme le revenu, l’éducation et les conditions de travail sont aussi cruciaux pour la santé que les facteurs génétiques ou liés au mode de vie, voire davantage. Les populations pauvres, surtout dans les pays à revenu élevé, vivent en moyenne plusieurs années de moins que leurs homologues plus aisés, et ces années sont souvent marquées par des problèmes de santé importants ou un handicap.

Cette inégalité face à la mort souligne l’importance de politiques sociales globales visant à réduire les inégalités de revenus, à améliorer l’accès aux soins de santé et à traiter les déterminants sociaux plus larges de la santé. Cela traduit le besoin d’un engagement sociétal pour créer des conditions permettant à tous de vivre non seulement plus longtemps, mais en meilleure santé et de manière plus épanouissante.

Le niveau de diplôme illustre bien cette inégalité devant la mort comme l’illustre une étude récente portant sur la France (1). Plus on est diplômé, plus on vit longtemps. Chez les hommes, l’écart est colossal : un diplômé de l’enseignement supérieur vivra en moyenne 8 ans de plus qu’un homme sans diplôme. Chez les femmes, l’écart est de 5,4 ans. Les mêmes écarts se retrouvent si l’on compare les durées de vie en bonne santé. Le diplôme apparaît ainsi comme un véritable bouclier contre la précarité et les risques sanitaires. Malgré des progrès, l’espérance de vie en France reste profondément marquée par les inégalités sociales. Les ouvriers et les non-diplômés continuent de vivre moins longtemps et en moins bonne santé que leurs homologues cadres et diplômés. Une fracture sociale qui persiste génération après génération.

 

Un des effets de cette inégalité face à la mort est qu’elle donne lieu à des études statistiques  biaisées sur la pauvreté des personnes âgées. En effet dans la mesure où les pauvres ont une espérance vie plus faible que les autres, ils sont sous-représentés quand on calcule le taux de pauvreté chez les personnes âgées. En d’autres termes, si les pauvres avaient la bonne idée de vivre aussi longtemps que les nantis, ce taux serait plus élevé. 

 

En France, 1,2 million de personnes âgées de 60 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté, soit 8,9% de cette tranche d'âge. Ce taux serait sensiblement plus élevé si la longévité des pauvres venait à égaler celles des classes plus aisées.




(1). Blanpain N., « L’espérance de vie par catégorie sociale et par diplôme jusqu’en 2020-2022 – méthode », Documents de travail no 2024-17, Insee, juillet 2024.

jeudi 14 novembre 2024

Le Rubik’s Cube a 50 ans, et je n’ai jamais réussi à arriver à le « remettre en place » mais ne suis probablement pas le seul...

2 commentaires:

Victor Ginsburgh (*)


Les mathématiciens comme les amateurs se sont amusés pendant un demi-siècle à explorer les 43 milliards de milliards de permutations (plus précisément 43 252 003 274 489 856 000 et sans doute du même ordre de grandeur que tous les grains de sable dans le monde) du fameux Rubik’s Cube, inventé en 1974 par un certain Erno Rubik, qui a donné son propre nom au cube. Il suffit de voir ce qu’est ce cube auquel beaucoup d’entre nous sommes probablement tous heurtés (un sur sept, dit-on) et n’avons que difficilement, voire jamais réussi à mettre les petits cubes de six couleurs (noir, blanc, vert, jaune rouge et bleu) de façon à obtenir une seule couleur sur chaque face du « grand » cube, comme celui qui n’apparaît pas dans l’image ci-dessous.

Le Rubik's cube

Une compétition du championnat du monde de la World Cube Association a eu lieu à Melbourne, Australie, en 2019. Pendant qu’un « connoisseur » parlait, plusieurs membres du public se sont précipités sur scène à son invitation et se sont mis au travail pour essayer de trouver l'une des 2 184 solutions du puzzle. Plus précisément, quel est le nombre minimum de mouvements nécessaires pour résoudre même les positions les plus brouillées ?

Un certain Dr Rokicki a entrepris de calculer cette quantité et a trouvé la réponse : vingt. Son obsession actuelle est d'identifier toutes les positions des nombres de Dieu qui sont extrêmement rares, et vraiment difficiles à trouver, a-t-il déclaré. Pendant qu'il parlait, trois ordinateurs de sa maison se sont mis à la tâche. Leurs 336 gigaoctets combinés creusent environ 100 000 positions de distance par jour (**). Jusqu'à présent, Rokicki dispose d'une base de données d'environ 100 million de personnes. Ce sont des joyaux mathématiques, dit-il.

Maria Mannone, physicienne théoricienne et compositrice italienne, a inventé le CubeHarmonic, qui est un Rubik's Cube où, sur chaque face, il y a des accords musicaux, une note sur chaque facette. En brouillant le cube, les accords musicaux sont aussi, devinez, … brouillés.

M. Rubik a ajouté qu'il n'aimait pas tellement les puzzles conçus simplement pour être des puzzles. Il dit qu’il « aime le contenu déroutant de la vie et de l'univers tel qu'il est. »





(*) Basé sur Siobhan Roberts, The Rubick’s Cube turns 50, The New York Times, July 1, 2024.
(**) A vrai dire, je ne comprends pas trop bien ce qui se passe là.


jeudi 7 novembre 2024

Alcool, drogues et armes à feu. Comment ne pas faire de vieux os chez l’oncle Sam ?

2 commentaires:

Pierre Pestieau


Un tout nouveau rapport (1) examine comment les décès liés à l'alcool, aux drogues et aux armes à feu ont réduit l'espérance de vie aux États-Unis et ont contribué à creuser l'écart d'espérance de vie entre les États-Unis et d'autres pays à revenu élevé. Si ces décès évitables étaient éliminés (et que les autres causes de décès restaient inchangées), l'espérance de vie à la naissance aux États-Unis augmenterait de 1,6 an, réduisant de moitié l'écart actuel d'espérance de vie, selon le rapport. 

Malgré un investissement énorme dans les soins de santé, l'espérance de vie aux États-Unis en 2022 (77,6 ans) était nettement inférieure à celle des pays à revenu élevé comparables (en moyenne 80,6 ans). En 2022, les États-Unis ont connu plus de 48 000 décès liés aux armes à feu, près de 108 000 décès liés aux drogues et plus de 51 000 décès dus à l'alcool. Ces décès évitables ont touché de manière disproportionnée les enfants et les jeunes adultes, contribuant à une réduction de l'espérance de vie à la naissance. L'espérance de vie a été fortement corrélée avec les facteurs démographiques, géographiques, sociaux et économiques. Les États du Sud ont généralement des espérances de vie inférieures à celles des autres régions du pays. Les personnes à faibles revenus ont tendance à avoir une espérance de vie inférieure à celles aux revenus plus élevés ; d'autres facteurs tels que l'éducation, le mode de vie, la génétique et l'environnement peuvent également avoir un impact sur l'espérance de vie.


Ce rapport nous apprend que les décès liés aux drogues représentent le plus grand nombre d'années potentielles d'espérance de vie perdues. Si ces décès n'avaient pas eu lieu, l'Américain moyen pourrait s'attendre à vivre près d'un an de plus (0,9 an). Les États-Unis ajouteraient en moyenne 0,4 an et 0,3 an d'espérance de vie si les décès dus aux armes à feu et à l'alcool, respectivement, étaient éliminés. Dix États verraient une augmentation de plus de 2 ans d'espérance de vie si les décès dus à l'alcool, aux drogues et aux armes à feu n'avaient pas eu lieu, allant de 2,0 ans en Caroline du Sud à 3,0 ans au Nouveau-Mexique. Certains sous-groupes raciaux/ethniques connaîtraient des augmentations dramatiques de l'espérance de vie si les décès liés à l'alcool, aux drogues ou aux armes à feu n'avaient pas eu lieu.

Le rapport conclut qu’il est possible de s'attaquer aux causes de ces décès grâce à des interventions de santé publique ciblées, à des traitements des troubles mentaux et de la toxicomanie, ainsi qu'à des services sociaux renforcés. On peut trouver cette conclusion naïve. Il semble en effet que pour réduire ces trois types de décès, il faille réformer structurellement le fonctionnement de la société américaine. Dans leur ouvrage " Morts de désespoir. L’avenir du capital ", Anne Case et Angus Deaton (2) montrent bien que la surmortalité qui frappe les blancs « non hispaniques » peu diplômés est liée à la manière dont le capitalisme américain les traite.


Enfin pour finir avec plus de légèreté, on notera que nombre de séries et films américains perdraient de leur saveur si la drogue, le crime et l’alcool venaient à disparaître. Les gens de ma génération se souviennent d’Eddie Constantine et de sa chanson : Cigarette et whisky.




(2). Anne Case et Angus Deaton, Morts de désespoir. L’avenir du capitalisme, PUF, 2021