Pierre Pestieau
De temps à autre, au cinéma (1) autant que dans la réalité on est le témoin de personnes souffrant d’Alzheimer tout en restant, en tout cas paraissant, heureuses. Il existe de nombreuses études montrant que le fait d’avoir une vie épanouie réduisait le risque d’être affecté par cette forme de démence. Il en existe beaucoup moins visant à établir un lien entre Alzheimer et bonheur (2). On devine pourquoi.
Il semblerait qu’il soit possible de vivre avec la maladie d'Alzheimer et de connaître des moments de bonheur. Bien que cette maladie neurodégénérative entraîne une perte de mémoire et des altérations des fonctions cognitives, les personnes atteintes peuvent encore éprouver des émotions positives, ressentir de la joie, et vivre des moments heureux. Le lien émotionnel reste souvent intact. Même si la mémoire épisodique est affectée, la capacité à ressentir des émotions est souvent préservée. Les personnes atteintes d'Alzheimer peuvent éprouver de la satisfaction en présence de leurs proches, dans des environnements familiers, ou à travers des gestes de tendresse et de bienveillance.
Les personnes atteintes d’Alzheimer vivent souvent dans l’instant présent. Elles peuvent donc apprécier des activités simples, comme écouter de la musique, marcher dans un jardin ou interagir avec des animaux de compagnie, sans se soucier des aspects de la vie qui peuvent causer de l'anxiété. Un environnement sûr, apaisant et chaleureux, combiné à des soins adaptés, contribue considérablement à leur confort et à leur bonheur. Des professionnels formés ou des proches attentionnés peuvent aider à minimiser les sources de stress et à offrir des activités qui apportent du plaisir.
Des expériences sensorielles, telles qu’écouter des musiques familières, sentir des fleurs, ou toucher des textures agréables, peuvent susciter des émotions positives et favoriser des moments de bien-être, même si la mémoire consciente n'est pas active. À mesure que la maladie progresse, certaines pressions sociales ou responsabilités de la vie quotidienne sont souvent atténuées. Les personnes peuvent ne plus avoir conscience de certains problèmes qui préoccupent habituellement.
Parmi les quelques études sur le sujet, on citera celle de Person et Hansen (3) qui partent de l’hypothèse que les personnes atteintes de démence avancée peuvent encore profiter de la vie. Leur étude a adopté une approche indirecte : en raison du déclin de leur accès à la langue, il a été nécessaire de faire parler d'autres personnes en leur nom. L'analyse des résultats s'est appuyée sur une approche herméneutique inspirée de Ricœur (4). Les principales conclusions sont que toutes les personnes interrogées ont mis l'accent sur l'humour et l'interaction avec d'autres personnes comme source de bonheur. Il en ressort qu'il devrait être possible de créer des opportunités de bonheur et de plaisir dans les unités de soins spécialisées pour les résidents atteints de démence avancée grâce à des moments de convivialité et de partage d’humour et de joie. Le bonheur de ceux dont ils s’occupent doit être un objectif essentiel des soins infirmiers et, par conséquent, un défi majeur pour les infirmiers et autres soignants.
Ces auteures ne sont assurément pas des économistes, car ma première réaction — dont j'ai honte — a été : Combien cela va-t-il coûter, surtout si l’on peine à trouver le personnel qualifié ? L’allongement de la durée de vie conduit à une augmentation du nombre de personnes nécessitant ce type de soins, tandis que le nombre de personnes actives capables de les fournir ou de les financer diminue suite à la baisse de la fécondité. Une perspective qui, malheureusement, invite au pessimisme.
Les prévisions de croissance pour la maladie d’Alzheimer sont en effet alarmantes, en raison du vieillissement démographique mondial. D'ici à 2050, le nombre de cas de démence, dont Alzheimer représente la majorité, pourrait tripler. En France, par exemple, les cas d’Alzheimer, qui concernent actuellement environ 1,2 million de personnes, pourraient dépasser 2 millions en 2050.
(1). Par exemple Le Fils de la mariée (El hijo de la novia) film argentin sorti en 2001 ou Floride, film français sorti en 2015.
(2). Voir Lybb Shell (2015), The picture of happiness in Alzheimer's disease: Living a life congruent with personal values, Geriatric Nursing, 36, S26-S32.
Creat Nurs, 21(1):47-52.
(4). L’approche herméneutique consiste en la recherche de la compréhension des phénomènes dans leur singularité.. Elle est l'art de retranscrire un discours afin d'en extraire les besoins des individus, une sorte de traduction des discours.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire