jeudi 10 avril 2025

Monastères isolés à voir dans le monde

2 commentaires:

Shoshi Parks, Historien and Journaliste, 
Isolated, Gravity-Defying Monasteries, You Can Visit Around the World, Smithsonian Magazine, January 31, 2025.


Pendant des siècles, les moines ont recherché la solitude et l'isolement sur leur chemin vers l'illumination spirituelle, choisissant certains des endroits les plus reculés du globe pour construire leurs monastères. En dépit de leur splendeur, je ne suis pas sûr que j’y grimperais. En voici néanmoins une collection magnifique... A visiter, dit l’article. Je préfère la vue de loin (Victor Ginsburgh).

Météores, Grèce

Météores, Grèce

Paro Taktsang, Bhutan

Popa Taung Kalat, Myanmar, Birmanie

Sevanavank Guenterguni, Arménie

Ostrog Giulio Andreini, Montenegro

Montserrat, Espagne

Temple Suspendu, Chine

Sumela, Turquie

Key Monastery, Inde



jeudi 3 avril 2025

Entre Paradis Perdu et Paradis Retrouvé

2 commentaires:

Pierre Pestieau


Nous vivons dans un monde en proie au chaos, où crises environnementale, économique et politique s’entremêlent. La planète est menacée, l’État-providence vacille moralement et financièrement, et la démocratie subit des assauts sous toutes ses formes. Il est difficile d’imaginer une situation plus désastreuse dans l’histoire contemporaine, tant l’incapacité des individus et des nations à coopérer efficacement semble au cœur de ce désordre.

Deux concepts essentiels permettent d’éclairer cette impasse : le dilemme du prisonnier et la tragédie des communs. Ils illustrent comment la quête de l’intérêt individuel, loin de produire une solution optimale pour la société, mène à des conséquences délétères pour tous. Dans le dilemme du prisonnier, deux complices arrêtés après un vol sont confrontés à un choix simple : se taire et être relâchés faute de preuves, ou dénoncer l’autre pour obtenir une peine réduite. Craignant la trahison, chacun finit par avouer, s’exposant ainsi à une sanction plus lourde que s’ils avaient fait preuve de solidarité. Cet exemple illustre la manière dont l’égoïsme individuel peut aboutir à un résultat perdant-perdant, y compris pour les malfrats.

La tragédie des communs renvoie quant à elle à une époque où des fermiers partageaient des pâturages collectifs. Chacun cherchant à maximiser son profit, l’exploitation effrénée mena à la surexploitation des ressources, provoquant leur épuisement. Pour contrer cette menace, la solution adoptée fut l’introduction de la propriété privée, incarnée par les célèbres fils barbelés qui ont nourri l’imaginaire des westerns. Ces deux scénarios traduisent un dilemme fondamental : sans régulation ou coopération, les intérêts individuels finissent souvent par nuire au bien commun.


Pris entre le souvenir idéalisé des sociétés traditionnelles et le mirage du "grand soir", nous oscillons entre un paradis perdu et une utopie à reconstruire. Les sociétés d’antan, souvent perçues comme des modèles d’harmonie sociale, reposaient sur des normes partagées, un fort sentiment d’appartenance et des pratiques d’entraide. Mais peut-on vraiment revenir à ce modèle ? Rien n’est moins sûr. Ces sociétés étaient limitées par leur homogénéité culturelle et leur fermeture à l’altérité. Dans un monde globalisé et interdépendant, ce retour en arrière serait non seulement irréaliste, mais aussi porteur de dangers. Pourtant, certains prônent un repli sur soi : fermeture des frontières, exclusion des étrangers des systèmes de redistribution, recentrage des solidarités sur une communauté nationale restreinte. Mais même dans cette hypothèse, il serait impossible de recréer les conditions des sociétés traditionnelles, tant elles reposaient sur des dynamiques incompatibles avec la diversité contemporaine.

Face à cette impasse, d’autres rêvent de rupture radicale. Le "grand soir" incarne cette aspiration à un monde nouveau qui abolirait non seulement le capitalisme, mais aussi les normes sociales établies. Cette idée s’inscrit dans la longue tradition des mythes millénaristes, nourrissant l’espoir sans offrir de solutions concrètes. Une alternative plus pragmatique pourrait être un État-providence réinventé, mieux adapté aux défis du XXIᵉ siècle. Mais cette ambition suppose un changement de paradigme : une gestion plus rigoureuse des ressources publiques, une adaptation constante des politiques aux nouvelles réalités économiques et sociales, ainsi qu’une valorisation de l’innovation, notamment à travers les outils numériques.

Une société plus solidaire nécessiterait également un dialogue inclusif entre cultures et générations, permettant de consolider un sentiment d’appartenance collective. Les États-providence, par nature nationaux, devraient aussi repenser leurs formes de coopération pour répondre aux enjeux pressants du climat, de la paix et de la répartition des richesses. Si un retour aux sociétés traditionnelles est illusoire et le "grand soir" une chimère, la modernisation de l’État-providence demeure une ambition réalisable, bien que loin d’être acquise. Elle exige un effort concerté et une vision partagée d’un avenir où justice sociale et efficacité économique cesseraient de s’opposer pour enfin se renforcer mutuellement. C’est à cette seule condition que nos sociétés pourront espérer surmonter leurs fractures et bâtir un modèle de solidarité durable. Mais au fond, cette perspective elle-même n’est-elle pas une forme d’utopie ?


jeudi 27 mars 2025

Le plus grand iceberg du monde se déplace

3 commentaires:

Victor Mather (*), 4 mars 2025

 

Le plus grand iceberg du monde, connu sous le nom de A23a, s'est déplacé au large de l'île de Géorgie du Sud la semaine dernière.



Bien qu'un scénario « Titanic II » soit peu probable et que les manchots de la région semblent être pour la plupart en sécurité, l'iceberg pourrait être un symptôme d'un changement indésirable en Antarctique et sur la planète.


Comment en sommes-nous arrivés là ?


L’iceberg A23a est né en 1986 lorsqu'il s'est détaché d'un autre iceberg qui s'était arraché de l'Antarctique plus tôt cette année-là.



La jeunesse de l’A23a fut sans histoire; il est resté dans la mer de Weddell, à l'est de la péninsule Antarctique, pendant des décennies. Ses voyages ont commencé en 2020, lorsqu'il s'est libéré du fond marin et a commencé à se déplacer. En 2023, il était prêt à quitter complètement les eaux de l'Antarctique.


Ce printemps, sa progression a rencontré un problème lorsqu'il a commencé à tourner sur place, pris dans un courant près des îles appelées Orcades du Sud.


S'échappant après plusieurs mois de rotation, il s'est ensuite dirigé vers la Géorgie du Sud, une île à l'est de la pointe sud de l'Amérique du Sud qui est un territoire britannique et qui abrite quelques dizaines de personnes et de nombreux phoques et pingouins. Mais il n'a pas pu se rendre jusqu'en Géorgie du Sud et est maintenant coincé sur le plateau continental, à environ 50 miles de l'île. Jusqu'à présent, il semble être assis paisiblement et n'a pas commencé à se briser en petits morceaux, comme l'ont fait d'autres icebergs géants après s'être séparés de l'Antarctique.


Quelle est la taille de cette chose ? Initialement, il était d'environ 1 500 miles carrés. Il a perdu une partie, mais on pense qu’il fait encore plus de 1 300 miles carrés. En revanche, la ville de New York fait 300 miles carrés.


Les icebergs de cette taille sont rares, mais il y en eut deux autres de taille similaire dans la même région au cours des cinq dernières années environ.


« On dirait de la terre, c'est la seule façon de la décrire », a déclaré l'été dernier Alexander Brearley, océanographe physique au British Antarctic Survey.


L'iceberg qui a coulé le Titanic faisait peut-être un quart de mile de long, une chose ridiculement petite en comparaison.


Quelle est la prochaine étape ?


A23a commencera à se désagréger et à fondre, mais cela prendra probablement un certain temps, peut-être des années.


« Maintenant qu'il est ancré, il est encore plus susceptible de se disloquer en raison de l'augmentation des contraintes, mais c'est pratiquement impossible à prévoir », a déclaré le Dr Meijers. De grands icebergs ont déjà fait un long chemin vers le nord – l'un d'eux s'est approché à moins de 1 000 kilomètres de Perth, en Australie, une fois – mais ils se brisent inévitablement et fondent rapidement par la suite.


Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?


Il est peu probable que les phoques et les manchots de Géorgie du Sud soient touchés par l'iceberg. Pourtant, potentiellement, cela pourrait interrompre leur chemin vers les sites d'alimentation et forcer les adultes à dépenser plus d'énergie pour le contourner. Cela pourrait réduire la quantité de nourriture revenant aux chiots et aux poussins sur l'île, et ainsi augmenter leur mortalité. 


L'iceberg contient également des nutriments qui sont libérés dans la mer lors de sa fonte : Si la glace stimule la productivité de l'océan, cela pourrait en fait stimuler les populations de prédateurs locaux comme les phoques et les pingouins.


On dirait que l'océan l'a creusé, et il y a des fissures visibles à la surface de la glace lorsque la glace réagit aux contraintes changeantes », a déclaré Indrani Das, glaciologue à l'Observatoire de la Terre Lamont-Doherty de l'Université Columbia.


Au fil du temps, le glacier s'enfoncera plus profondément dans l’eau, ce qui le fera commencer à se fragmenter davantage. À un moment donné, il peut même devenir lourd et se renverser. Compte tenu de sa taille, cela peut prendre des années.


Il y a peu de crainte d'un « Titanic II » car les bateaux de la région seront bien conscients de l'emplacement de l'iceberg. Une fois que l'A23a se disloquera, cependant, les plus petits icebergs seront plus difficiles à suivre, ce qui augmentera le danger.


Les plates-formes de glace ont perdu des milliards de tonnes de glace au cours des 25 dernières années, ce que les scientifiques attribuent au changement climatique. La perte de toute cette glace peut contribuer à une élévation du niveau de la mer.


« Le climat change et cela a un impact sur la façon dont les plates-formes de glace fondent », a déclaré le Dr Das en 2023, alors que l'iceberg se déplaçait encore. « Les plates-formes de glace perdent de la masse parce que l'océan se réchauffe. Le vêlage est un processus naturel, mais ce vêlage naturel pourrait être amélioré par le climat.


Pourtant, il en a toujours été ainsi. Les icebergs gigantesques « font partie tout à fait normale du cycle de vie des calottes glaciaires de l'Antarctique et du Groenland », a déclaré le Dr Meijers.


 

(*) Victor Mather, journaliste et rédacteur en chef au Times depuis 25 ans. Le texte a été traduit en français par Victor Ginsburgh.

jeudi 20 mars 2025

Finance, je te hais (1)

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Pierre Pestieau

Depuis toujours, la gauche au pouvoir entretient des relations ambivalentes avec le monde de l'argent et de la finance. Officiellement hostile, elle se montre pourtant souvent accommodante dans ses pratiques. Les déclarations des deux derniers présidents de gauche illustrent bien cette dualité.

Lors du Congrès d’Épinay (11-13 juin 1971), François Mitterrand dénonçait violemment l’influence de l’argent : « L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes. » Plus de quarante ans plus tard, François Hollande reprenait cette rhétorique en affirmant : « Mon ennemi, c’est la finance. »



Mais d’où vient cette aversion, si largement partagée, notamment en période de crise ? Dès que les marchés vacillent, la finance est désignée coupable des inégalités, des bulles spéculatives et des licenciements massifs.

La finance suscite à la fois admiration et crainte. Son rôle est fondamental : sans elle, il n’y aurait ni épargne, ni investissement. Ce qui est rejeté, ce sont ses excès. Plusieurs facteurs expliquent cette défiance : son opacité, son rôle dans l’accroissement des inégalités, son instabilité chronique et son éthique souvent contestée.

Le monde financier est perçu comme complexe et impénétrable. Nombreux sont ceux qui estiment que son jargon technique masque des pratiques opaques, rendant le système incompréhensible pour le citoyen moyen. Même les économistes peinent parfois à expliquer comment la Bourse peut prospérer alors que l’économie réelle est en récession.

Les grandes institutions financières et leurs dirigeants engrangent des profits colossaux tandis que la majorité de la population lutte pour maintenir son niveau de vie. Cette asymétrie alimente un profond sentiment d’injustice, exacerbé par des situations où des banques sont renflouées avec des fonds publics tandis que les citoyens doivent subir des politiques d’austérité. Il est difficilement acceptable de voir de jeunes diplômés décrocher des contrats à Wall Street leur garantissant une revenu à 7 chiffres  et une retraite dorée dès 50 ans, tandis que d’autres peinent à trouver un emploi stable.

La finance est également responsable de crises majeures, dont celle de 2008, qui a causé faillites, chômage et pertes massives d’épargne. Beaucoup accusent les financiers d’avoir pris des risques excessifs sans jamais en assumer les conséquences, laissant les citoyens ordinaires payer la facture. Dans la mesure où elle soutient sans réserves la croissance, la finance est aussi associée au dérèglement climatique

Les grandes entreprises et les banques usent souvent de montages financiers complexes pour minimiser leur charge fiscale, suscitant l’indignation des contribuables ordinaires, contraints de s’acquitter de leurs impôts sans échappatoire. Scandales après scandales, la confiance envers le secteur financier s’érode, renforçant la perception d’un monde régi par la cupidité.

En conclusion, la finance est perçue comme un acteur avide, opaque et excessivement puissant, servant avant tout une élite au détriment du reste de la société. Des tentatives existent pour encadrer et moraliser ce secteur, notamment avec les fonds d’investissement éthiques et des régulations plus strictes. Cependant, leur efficacité reste encore limitée. Le défi majeur est donc de concilier un système financier performant avec des règles garantissant une répartition plus équitable des richesses et une responsabilité accrue des acteurs économiques. Faut pas rêver.



(1). En référence a Gide et son « Familles, je vous hais »


jeudi 13 mars 2025

Nous sommes aussi morts que ceux qui sont sous les tombes... Ou quand un cimetière devient la maison des vivants

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Sahar Al-Ijla, Ecrivain à Gaza, 1er février 2025 (*)


Voir les photos et cartes de Gaza dans https://www.ledevoir.com/interactif/2024-10-07/gaza-1an/index.html

Lorsque des centaines de milliers de Palestiniens de Gaza se sont entassés dans des abris surpeuplés pendant la guerre, une famille a trouvé refuge parmi les pierres tombales. Pendant la guerre, les Gazaouis se sont réfugiés dans les endroits les plus improbables : dans les rues, sur les falaises, sur la plage, dans les mosquées, les gymnases, les hôpitaux et les écoles – mais la famille Allouh n'aurait jamais imaginé qu'elle vivrait parmi les morts.

Et pourtant, depuis un an, 14 membres d'une famille vivent dans des tentes au cimetière d'Ansar, dans l'ouest de Deir al-Balah, entouré de centaines de tombes, d'un espace petit, malodorant et effrayant. Les forces israéliennes ont bombardé leur maison le même mois. Pendant toute la durée de la guerre, cette zone plus proche d'Israël est restée interdite aux Palestiniens.

Victimes de multiples déplacements alors que la guerre faisait rage, Ahmad, 32 ans, sa femme Nada, 33 ans, leurs enfants et leur famille élargie se sont retrouvés dans l'incertitude. Sans endroit où se trouver ou sans connaissances pour demander de l'aide, la famille s'est dispersée – les femmes et les enfants ont réussi à trouver un peu de place dans les écoles surpeuplées qui s'étaient transformées en refuges pour les déplacés, tandis que les hommes ont été laissés à errer dans les rues de l'ouest de Deir al-Balah.

« Je marchais et je cherchais un endroit vide pour dormir », a déclaré Ahmad, qui, comme tous les membres de la famille qui ont parlé à Mondoweiss pour cet article: « Je suis allé au cimetière pour me reposer, et je ne sais pas comment je me suis retrouvé le lendemain matin à dormir là sur le marbre froid d'une tombe ! ».

Après avoir passé une nuit à dormir seul dans le cimetière d'Ansar, Ahmad s'est senti encouragé à y passer plus de temps. Enfin, il avait trouvé un endroit où se réfugier. Le cimetière d'Ansar est l'un des principaux cimetières de Deir al-Balah, abritant quelque 50 000 tombes sur 3,5 hectares. Le cimetière a été utilisé jusqu'il y a peu, lorsqu'il a manqué d’espace pour enterrer les morts suite à l'effusion de sang implacable de la guerre, forçant les Palestiniens à enterrer les martyrs les uns sur les autres.

Ahmad souhaitait être réuni avec sa famille, mais il n'a pas été facile de les convaincre de déménager au cimetière d'Ansar. Ils ont tous refusé par peur, mais Ahmad n'a pas abandonné. Il a commencé à amener ses enfants au cimetière pendant la journée, les laissant jouer et s'habituer à cet environnement inhabituel.

« Cette vie ne mérite pas d'être appelée vie pour nous, c'est injuste. Nous sommes aussi morts que ceux qui sont sous les tombes, mais ce ne sont que des os ; il n'y a rien à craindre ». C'est ce dont Nada se souvient que son mari lui a dit de la persuader de l'accompagner.

Finalement, la famille a décidé que tout était préférable à rester déchiré. Ils se sont entretenus avec plusieurs cheikhs, ou chefs religieux, qui ont confirmé que, malgré l'interdiction générale dans l'Islam de vivre dans un cimetière, mais c’était autorisé en raison des circonstances exceptionnelles et des difficultés de la famille.

Lorsque la famille a emménagé, ils ont installé leurs tentes dans les espaces étroits entre les pierres tombales. Cependant, le cimetière surpeuplé les empêchait d'éviter complètement les tombes.

« Je dors sur la tombe d'un bébé ; c'est sous mon oreiller parce qu'il n'y a pas d'autre place pour moi dans la tente ! ». Ses tentes et celles de son frère sont chacune installées au-dessus de deux tombes, tandis que les autres tentes des Allouh ne couvrent qu'une seule tombe chacune.

Les premières semaines ont été difficiles. Les femmes et les enfants ne pouvaient pas dormir la nuit, criaient et avaient des crises de panique chaque fois qu'ils entendaient le bruit des chiens errants qui erraient dans le cimetière.

Ahmad a dû creuser un trou pour que la famille puisse installer une fosse septique – une expérience inoubliable et troublante. Une odeur de moisi imprègne les tentes en plastique, les obligeant à passer la plupart de leur temps à l'extérieur, exposés au regard des visiteurs comme s'ils étaient dans un zoo. Le manque d'intimité est encore aggravé par le fait que les gens viennent visiter les tombes de leurs proches enterrées là où les tentes de la famille Allouh sont installées.

La famille effectue toutes ses tâches quotidiennes – cuisiner sur le feu, faire la vaisselle et faire la lessive à la main – dans les ruelles étroites entre les tombes. « Imaginez-vous en train de faire la vaisselle lorsque des hommes apportent soudain un cadavre et commencent à creuser pour l'enterrer juste à côté de vous pendant que vous travaillez et regardez calmement », dit Aya, décrivant une situation dont elle a été témoin elle-même.

La décision de la famille de s'installer au cimetière a suscité la controverse parmi de nombreux Palestiniens déplacés.

« Un mot peut soit vous réchauffer le cœur, soit verser vos larmes », a déclaré Amna, la mère d'Ahmad. La famille fait face à deux types de visiteurs au cimetière. Les compatissants les soutiennent avec des mots chaleureux, des regards et des prières, leur souhaitant une vie meilleure et expriment leur compréhension de vivre dans un tel endroit.

Cependant, la plupart des gens sont choqués par leur situation de vie et réagissent de manière agressive, a déclaré la famille. Certains membres de la famille de ceux qui sont enterrés dans les tombes près ou à proximité des tentes ont ordonné aux Allouhs de garder les tombes et leurs environs propres en tout temps, même s'ils n'y ont pas causé de désordre, et leur ont interdit de s'.approcher d'eux, même pas de s'asseoir. Ils crient aussi parfois et menacent de jeter la famille hors du cimetière s'ils n'obéissent pas à leurs ordres.

Chaque fois que la famille Allouh pense à sa vie et à ses ancêtres, cela lui fait mal aussi. « Nous nous sentons morts, tout comme nos ancêtres, parce que nos vies n'ont pas le nécessaire pour vivre décemment », a déclaré Ahmad. « La seule différence, c'est que nos ancêtres sont sous terre, et nous sommes au-dessus ».

La famille Allouh attendait avec impatience l'annonce du cessez-le-feu le 19 janvier, dans l'espoir de pouvoir bientôt retourner dans leur maison bombardée. Le seul soulagement qu'ils ont trouvé pendant le cessez-le-feu est simplement le répit des frappes aériennes et le bruit des bombes. Les ancêtres qui reposent dans leurs tombes, quant à eux, n'ont rien à craindre.

(*) Mondoweiss traduit en français par Victor Ginsburgh.

jeudi 6 mars 2025

Richesse et dépendance

3 commentaires:

Pierre Pestieau


Les riches vivent plus longtemps que les pauvres et comme les sources de dépendance telles que la maladie d’Alzheimer ou les maladies chroniques sont liées au grand âge, on pourrait s’attendre à ce que la dépendance augmente avec la richesse. Or, il n’en est rien. Des études récentes (1) montrent que les pauvres courent un plus grand risque de perte d’autonomie et une fois qu’ils sont dans cet état, ils en souffrent plus longtemps que les riches. C’est ce que j’ai appelé la triple peine (2) dans un blog récent.


La relation inverse entre richesse et dépendance (ou le fait que les personnes plus riches sont généralement moins dépendantes en vieillissant) s'explique par une combinaison de facteurs socio-économiques et environnementaux.  D’abord, les individus riches ont un meilleur accès à des soins de santé préventifs et curatifs, tels que les examens médicaux réguliers pour dépister et traiter tôt les maladies chroniques ou l’accès à des spécialistes et à des traitements avancés, qui réduisent les complications susceptibles de conduire à une perte d’autonomie. En revanche, les populations plus modestes rencontrent souvent des obstacles financiers pour accéder à ces services, retardant les traitements et augmentant le risque de dépendance.


Ensuite, les personnes aisées vivent généralement dans des environnements plus sûrs et adaptés. Leurs logements sont mieux équipés pour prévenir les accidents (escaliers sécurisés, douches adaptées, etc.). Elles bénéficient davantage d’espaces verts et d’infrastructures favorisant une activité physique régulière. Au contraire, les personnes moins riches habitent souvent dans des logements précaires ou surpeuplés, augmentant les risques de chutes ou de maladies.

 


Autre raison : les individus plus riches ont souvent un mode de vie plus sain : une alimentation équilibrée et accès à des produits de meilleure qualité, la pratique régulière d'activités physiques qui maintiennent leur condition physique et retardent la perte de mobilité; moins de comportements à risque, comme le tabagisme ou la consommation excessive d’alcool. Par contre, les personnes en situation de précarité sont plus exposées à des aliments de moindre qualité (riches en sucres et graisses) et à des modes de vie sédentaires par manque de moyens ou d’information. Ajoutons à cela que les individus avec un niveau d'éducation élevé ont une meilleure compréhension des pratiques préventives.



Enfin, et c’est sans doute le facteur majeur, les riches occupent généralement des emplois physiquement moins exigeants, ce qui réduit les blessures et les troubles musculo-squelettiques en vieillissant. En revanche, les travailleurs des milieux modestes, souvent exposés à des conditions de travail pénibles, accumulent des problèmes de santé qui augmentent la probabilité de dépendance (arthrose, fatigue chronique, etc.).


Cette relation inverse entre la richesse et le risque de perte d’autonomie devrait constituer le fondement de toute politique de soutien à la dépendance. Un gouvernement soucieux de redistribution des revenus serait bien avisé de privilégier l'offre d’une assurance dépendance aux populations les plus vulnérables, plutôt que de recourir à un impôt sur le revenu. Il est en effet démontré qu'une telle assurance a des effets moins désincitatifs sur le travail et l’épargne que la taxation. Cette conclusion est largement reconnue et documentée. En dépit de cela, le statu quo persiste. Cela soulève la question de savoir si nos États-providence sont véritablement déterminés à adopter les réformes nécessaires. Il semble parfois que les inégalités, qu’elles soient liées à la santé, à l’éducation ou au logement, fassent intrinsèquement partie de l’ADN des États-providence dans les économies capitalistes.




(1). Connolly, M., Leroux, M.-L., & Konou, A. (2024). Evaluating the relationship between income, survival, and loss of autonomy among older Canadians, non publié; Lefebvre, M., Perelman, S., & Schoenmaeckers, J. (2018), Inégalités face à la mort et au risque de dépendance, Revue française d’économie, 33(2), 75–111; M. Lefebvre, J. Schoenmaeckers et L. Heymans, (2025) Impact of socio-economic status on loss of autonomy in the old age, non publié.

(2). 21 novembre 2024.

jeudi 27 février 2025

Un nouveau conflit éclate en Afrique centrale

1 commentaire:

 Victor Ginsburgh (*)


Je suis né au Rwanda il y a bien longtemps et ai vécu à Kisenyi (Rwanda) et à Bukavu (Congo), sur les bords du lac Kivu. J’ai quitté l’Afrique à 18 ans pour faire mes études en Belgique et n’y suis plus jamais retourné, malgré la jeunesse magnifique que j’y ai connue. Trop tard pour mes 86 ans..., mais je continue à suivre ce qui se passe entre le Rwanda et le Congo.


Les rebelles soutenus par le Rwanda s'emparent d'immenses étendues de la République démocratique du Congo. Leurs progrès ont été rapides et stupéfiants. En un mois, ils ont mis en déroute l'armée congolaise sous-équipée à plusieurs reprises et ont provoqué la fuite de plus d'un demi-million de personnes.



Les habitants de Goma qui vivent à proximité de Kisenyi (4 Km) se cachent dans leurs maisons sans électricité ni eau courante. Des coups de feu, et parfois des bombes, explosent autour d'eux. Certains ont accueilli des familles qui avaient fui les camps et les villages hors de la ville. Mais beaucoup de ces déplacées sont arrivées à Goma sans connaître personne.


Pourquoi les rebelles, connus sous le nom de M23 (*), s'emparent-ils de certaines parties de l'est du Congo ? Dans leur récit, ils protègent les Tutsis, le groupe minoritaire massacré lors d'un génocide en 1994, dont certains vivent également au Congo.


Au tournant du siècle, la région des Grands Lacs d'Afrique a été au centre d'une guerre régionale qui a fait rage pendant cinq ans. Plusieurs pays ont envoyé des soldats et des millions de personnes sont mortes. La bataille actuelle semble également susceptible de s'étendre au-delà de l'est du Congo.


Quelques dirigeants africains ont récemment essayé de régler ce gâchis, mais le président congolais ne s'est pas présenté.



On ne sait pas jusqu'où les grands pays iront et si la rafale de déclarations diplomatiques changera quoi que ce soit. Le Rwanda s'est efforcé de se rendre utile sur la scène internationale. Il fournit des soldats de la paix de l'ONU pour des missions dangereuses ailleurs en Afrique. Il a proposé d'accueillir des demandeurs d'asile que les pays européens refoulent, mais il y a peu d’espoir que les choses changent dans cette magnifique région.


C’est, on l’espère un jour que ce Coeur sur le lac Kivu, à Gisenyi, remplacera les insupportables luttes des uns sur les autres et des uns comme les autres.



(*) Basé sur Life after a rebel takeover, The New York Times, Février 2025.



(*) Le mouvement M23 (ou 23 mars) est un groupe armé actif dans le Nord-Kivu en République Démocratique du Congo. Il a été créé le 6 mai 2012 par des officiers des forces armées de la république démocratique du Congo, entrés en rebellion contre le gouvernement congolais.

jeudi 20 février 2025

Mon Waze a eu un AVC

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Pierre Pestieau

Mon GPS Waze semble avoir eu un AVC. Après un mois sans conduire, j'ai repris le volant et quelle ne fut pas ma surprise d'entendre sa voix affaiblie, comme épuisée. Cette expérience m'a rappelé une conversation récente avec mon petit-fils au sujet de ChatGPT. Je lui confiais ma tendance à toujours commencer mes requêtes par "please". À ma grande surprise, il m'a révélé que lui et ses amis faisaient de même, tout en suggérant que ce n'était peut-être pas optimal - selon lui, ChatGPT serait plus efficace sans ces formules de politesse.

Cette réflexion a fait resurgir le souvenir d'une conversation déplaisante avec un colon français à Abidjan. Nous partagions un taxi et il s'adressait au chauffeur de manière particulièrement directive, sans la moindre courtoisie. Lorsque je lui en ai fait la remarque, il m'a rétorqué qu'avec la politesse, le service était moins bon.

Me voilà donc à méditer sur mon Waze souffrant et un ChatGPT comparé à un chauffeur de taxi ivoirien. Quel monde étrange que le nôtre.


Ces comportements peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs psychologiques et sociaux. D'abord, les humains ont une tendance naturelle à l'anthropomorphisme - cette propension à attribuer des caractéristiques humaines aux objets, aux animaux ou aux technologies. Quand nous interagissons avec une intelligence artificielle qui communique en langage naturel, cette illusion de personnalité humaine se renforce, nous poussant à employer des formules de politesse. Dans notre société contemporaine, où les animaux de compagnie prennent souvent la place d'enfants absents, on observe couramment des personnes conversant avec leur chien (plus qu'avec leur chat) comme ils le feraient avec un enfant.

Les habitudes sociales et les normes culturelles jouent également un rôle majeur. Les formules de politesse comme "s'il vous plaît" et "merci" sont profondément ancrées dans nos interactions sociales. Elles surgissent automatiquement, souvent inconsciemment, même face à une entité non humaine. C'est le reflet de notre éducation et de notre culture.

Même en sachant pertinemment que l'IA ne ressent pas d'émotions, nous pouvons craindre inconsciemment de paraître impolis, particulièrement dans des contextes où le langage est analysé. Cette attitude découle d'une réflexion morale suggérant que maintenir des normes respectueuses dans toutes nos interactions favorise un comportement global plus civilisé.


En définitive, notre utilisation de formules de politesse avec une IA résulte d'un mélange de réflexes sociaux et d’une tendance naturelle à humaniser notre environnement. Cela contribue à rendre nos interactions plus naturelles et agréables, même si nous sommes conscients que notre interlocuteur n'est pas véritablement humain.


A un ami qui ne voyait pas où je voulais en venir, je posais la question : « Imagine que le matin, un robot t’apporte ton petit dejeuner au lit. Au moment où il te tend le plateau, que diras-tu? Rien ou merci? Ta reponse sera-t’elle modifiee s’il te dit: Voici votre petit dejeuner, monsieur. J’espere que vous avez bien dormi'.


J’ai d’ailleurs posé cette même question à ChatGPT, sans lui dire S’il vous plait. Voici sa réponse :


Si un robot m’apportait mon petit-déjeuner au lit, mon premier réflexe serait probablement de dire "merci", par simple habitude de politesse, même s'il ne s'agit pas d'un être humain.


Si le robot ajoutait une phrase plus chaleureuse comme "Voici votre petit-déjeuner, monsieur. J’espère que vous avez bien dormi", alors ma réponse serait encore plus spontanée et naturelle, peut-être quelque chose comme "Oh, merci ! Oui, j’ai bien dormi" ou même "Merci, c’est gentil", car son message simulerait une interaction humaine plus aboutie.


En fin de compte, notre réponse dépend de la manière dont nous percevons le robot : s'il agit de manière plus humaine, nous serons plus enclins à lui répondre comme nous le ferions avec une personne réelle. 

 

 

 

 

 

jeudi 13 février 2025

Peut-on s’emparer d’une météorite tombée du ciel ?

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Victor Ginsburgh (*) 

Pas en Suède, semble-t-il. Les juges suédois où la météorite est tombée ont dû débattre pour décider à qui devrait revenir une météorite tombée dans une forêt au nord de Stockholm : au propriétaire du terrain ou bien à ceux qui l’ont trouvée ?  

Quelques jours après l'atterrissage de la météorite, le géologue Anders Zetterqvist trouve le site où elle a touché le sol. Après plusieurs semaines de recherches plus profondes, Andreas Forsberg son collègue géologue, trouvent le trésor qui fera l’objet d’un procès dans une cour suédoise. 

                             

Météorite


La plupart des météoroïdes qui atteignent l'atmosphère terrestre, brûlent dans l’atmosphère, changent leur nom en météoriteet ne laissent qu'une trace de lumière. Cette météorite-ci, faite de fer, était la dixième trouvée en Suède, et l'une des plus rares trouvée dans le monde, déclare M. Forsberg. 

Environ une semaine après que les géologues aient rendu leur découverte publique, le propriétaire du domaine où la météorite avait atterri, envoie une lettre au musée et revendique la propriété. Une bataille juridique s'ensuit, évidemment.  En Suède, il n'existe pas de législation, mais le Tribunal d’Uppsala est propriété sur laquelle il atterrit, écrit le juge dans un communiqué. Mais le propriétaire du terrain où l’objet est tombé interjette appel et la Cour d’Appel de Stockholm statue en sa faveur. 

Un des quatre juges chargés de l'affaire, Robert Green, estime que la décision de la cour d'appel repose sur deux questions : savoir si les météorites pouvaient être considérées comme des biens « immobiliers » et si l'étendue d'un droit coutumier suédoiprévoit le droit d'accès du public. Les lois s'appliquant aux biens immobiliers – maisons et terrains – sont claires, déclare le juge. 

« Pour ce qui concerne les biens immobiliers le propriétaire foncier y a droit », déclare-t-il lors d'une entrevue. « Mais nous n'avons pas de loi spécifique concernant les météorites, ce qui a rendu cette affaire spéciale. » 

La loi dite Allemansrätten (droit à l’accès public) permet à tout le monde en Suède de se déplacer dans la nature, y compris de faire de la randonnée, du vélo ou du camping, même sur une propriété privée. « Ce qui inclut un certain droit de prendre des baies et même des petites pierres sur la propriété d'autrui », déclare le juge Green. 

Les demandeurs ont fait valoir que le droit de ramasser de petites choses pouvait inclure l'ambre et des découvertes de plus grande valeur. Mais, dans sa décision, le juge Green déclare : « Nous avons estimé que la chose la plus proche à faire est de considérer les météorites ou les roches spatiales comme faisant partie d'un bien immobilier, tout comme les autres pierres, même si l'on peut avoir l'impression qu'une météorite est étrangère à la terre. » 

Un juge fait valoir que si la météorite devait être considérée comme un bien immobilier, le droit coutumier s'appliquerait également et devrait être interprété de manière à inclure le droit de prélever une météorite sur une propriété privée et d’en conserver la propriété. 

Les géologues n'ont pas encore décidé s'ils feraient appel devant la Cour suprême de Suède. M. Forsberg s'est dit déçu par la décision de la cour d'appel : 

« C'est très triste pour mon ami et pour moi », a-t-il déclaré. « Toute ma vie, j'ai été passionné par la collecte de roches et de fossiles. C'est triste aussi pour tous les passionnés qui sont intéressés à trouver de nouvelles météorites. Si les gens pensent qu'ils n'obtiennent aucune récompense, comment allons-nous les inciter à chercher ? » 

 

(*) Ce texte a été traduit et raccourci. L’original provient de Christina Anderson, A rock fell from space into Sweden. Who owns it on earth? The New York Times, March 25, 2024 

 

 

 

 

jeudi 6 février 2025

Les limites du conservatisme compassionnel

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Pierre Pestieau

La rénovation de Notre-Dame de Paris, largement financée par des dons privés, est un exemple frappant de ce que peut accomplir la générosité individuelle et collective. Cependant, cela ne signifie pas que les dons pourraient un jour remplacer l'impôt pour financer les dépenses publiques. Ce cas particulier met en lumière plusieurs limites des contributions charitables en tant que mécanisme de financement.

Il est crucial de le rappeler, en ces temps où la poussée droitière pousse une partie de l’opinion publique à envisager de sabrer (ou, comme le diraient Millei et Ciotti, de tronçonner) les dépenses publiques, tout en misant sur les initiatives individuelles pour assumer des missions jusqu’ici dévolues à l’État. Avec le retour de Donald Trump, les États-Unis pourraient renouer avec le conservatisme compassionnel, une approche qui vise à transférer la responsabilité des politiques sociales aux individus, et plus particulièrement aux organisations caritatives.

Tout d'abord, la restauration de Notre-Dame est un projet exceptionnel, chargé d'une forte valeur symbolique et émotionnelle. Cette attractivité a mobilisé des donateurs du monde entier, attirés par la visibilité et l'importance culturelle de l'édifice. En revanche, de nombreux domaines cruciaux du financement public, comme les hôpitaux, les écoles, les routes ou encore les services sociaux, ne bénéficient pas du même attrait. Ces secteurs, bien qu'essentiels, sont moins susceptibles de recevoir des financements significatifs de la part de donateurs privés.

Ensuite, les dons pour Notre-Dame illustrent une concentration des ressources sur une cause particulière, souvent choisie en fonction des préférences des donateurs. Contrairement à cela, l'impôt permet une redistribution équitable et universelle des richesses, répondant aux besoins collectifs définis démocratiquement. La priorité donnée à Notre-Dame, aussi légitime soit-elle, ne reflète pas nécessairement les besoins les plus urgents de la société.

Enfin, la dépendance excessive aux dons pourrait affaiblir la souveraineté financière des États. Si des projets majeurs reposaient systématiquement sur la philanthropie, cela risquerait de détourner les priorités publiques au profit des intérêts ou des préférences des grands donateurs, érodant le principe démocratique selon lequel les besoins collectifs doivent être définis par la communauté dans son ensemble.

Les contributions charitables, bien qu'importantes, ne peuvent jamais remplacer le financement des dépenses publiques par l'impôt en raison de leur nature fondamentalement différente. L'impôt est un mécanisme obligatoire qui garantit des ressources stables et prévisibles pour financer des services publics essentiels tels que la santé, l'éducation, la sécurité ou les infrastructures. En revanche, les dons charitables, basés sur la générosité individuelle, sont imprévisibles et sujets à des fluctuations liées à des facteurs économiques ou personnels.

De plus, l'impôt repose sur un principe d'équité et de redistribution, où les citoyens contribuent en fonction de leurs capacités, permettant de réduire les inégalités et d'assurer une couverture universelle des besoins. Les contributions charitables, elles, reflètent souvent les priorités subjectives des donateurs, favorisant certaines causes au détriment d'autres moins visibles mais tout aussi cruciales.

L'État, à travers le processus démocratique, décide de l'allocation des ressources publiques en tenant compte de l'intérêt général, tandis que les organisations caritatives, bien qu'utiles, ne sont pas soumises à cette responsabilité démocratique. Par ailleurs, l'État a la capacité unique de mobiliser des ressources à grande échelle, de s'endetter si nécessaire pour répondre à des crises ou pour financer des projets d'envergure, ce qui dépasse largement les moyens des initiatives philanthropiques.

Si l'on devait compter sur la charité pour remplacer l'impôt, les secteurs moins attrayants pour les donateurs risqueraient d'être négligés, compromettant ainsi la cohésion sociale et la justice distributive. En somme, les contributions charitables ne peuvent qu’être un complément à l'action publique, l'impôt restant le pilier fondamental du financement des dépenses collectives.

Enfin, la théorie économique nous enseigne que le financement d’un programme public, quel qu’il soit, par le biais de contributions volontaires entraîne inévitablement une offre bien inférieure à l’optimum. En effet, dans cette situation, chaque individu adopte un comportement de passager clandestin.

En conclusion, bien que des initiatives comme la rénovation de Notre-Dame montrent la puissance des dons pour des projets spécifiques, elles ne constituent pas une alternative viable à l'impôt. L'impôt reste indispensable pour financer de manière équitable, stable et démocratique l'ensemble des dépenses publiques nécessaires au fonctionnement de la société.