jeudi 3 juillet 2025
L'Allocation Universelle : La Nouvelle Chimère à la Mode
jeudi 26 juin 2025
Moins de rapports et plus d’action. Un vœu pieux ?
jeudi 19 juin 2025
Les milliards de la couvée XIV de cigales émergeront bientôt après avoir « vécu » durant 17 ans sous terre. Surveillez-les
jeudi 12 juin 2025
Pourquoi la rente viagère reste-t-elle si impopulaire, malgré ses vertus ?
Pierre Pestieau
jeudi 5 juin 2025
Les enfants de Gaza meurent de faim
Catherine Russell, Directrice générale de l'UNICEF (*) , The NewYork Times, 29 mai 2025
Le matin du 15 mai, Miran Mohammad aidait son grand-père à faire du pain chez lui à Beit Lahia, une ville du nord de Gaza. Compte tenu de la rareté de la nourriture, Miran, âgée de 7 ans, avait faim et était impatiente d'avoir un morceau de pain fraîchement cuit. Elle n'en aura pas l'occasion.
La mère de Miran a insisté pour qu'elle attende que la famille rentre chez elle avant de manger. Alors qu'ils entraient dans leur maison, une frappe aérienne, s'effondrant sur eux leur cause de graves blessures.
Miran est maintenant une patiente de l'hôpital arabe Al-Ahli ; les médecins nous disent que ses jambes sont endommagées de façon permanente. Elle est l'une des 3.700 enfants de moins de 18 ans qui auraient été blessés à Gaza depuis la fin du récent cessez-le-feu. Plus de 1.300 autres enfants auraient été tués dans les hostilités au cours de la même période. En vingt mois de guerre, près de 17.000 enfants auraient été tués et plus de 34.000 blessés, soit environ un enfant sur 20 à Gaza, ce qui en fait le conflit le plus meurtrier qui a touché les enfants de mémoire récente.
Le sort des enfants de Gaza ne manquera pas de s'aggraver. Selon la dernière analyse de la Classification intégrée de la sécurité alimentaire, un outil utilisé par l'UNICEF et ses partenaires pour évaluer la sécurité alimentaire et la malnutrition, l'ensemble de la population de Gaza est désormais confrontée à une insécurité alimentaire aiguë. Près d'un demi-million de personnes sont au bord de la famine. On estime que plus de 71.000 enfants et 17.000 mères souffriront de malnutrition aiguë, caractérisée par une perte de poids rapide et un faible rapport poids/taille, au cours des 10 prochains mois, en l'absence d'une aide humanitaire et d'un traitement insuffisant.
L'UNICEF et ses partenaires font tout leur possible pour y répondre. Pourtant, en raison du blocus de l'aide d'Israël qui se prolonge depuis deux mois, les stocks sont extrêmement limités à Gaza. À moins que nous ne retrouvions un accès sûr et durable à Gaza d'autres enfants souffriront.
Avant la reprise des hostilités, les Nations Unies on mis en place un vaste et efficace système d'acheminement de l'aide à l'intérieur de Gaza. Au cours du récent cessez-le-feu, nous avons fourni de l'aide sous forme de vaccins et de médicaments essentiels, de services nutritionnels vitaux et d'accès à de l’eau potable dans 400 points de distribution. L'UNICEF et ses partenaires sont allés encore plus loin, en acheminant de l'aide de porte à porte, atteignant les enfants souffrant de malnutrition et les femmes enceintes dans leurs lieux de refuge.
Ce vaste système est maintenant mis de côté, et nos activités ont été considérablement réduites. La Fondation humanitaire pour Gaza acheminerait l'aide à travers quelques points de distribution dans le sud de Gaza qui ont été sécurisés sur place par des entrepreneurs privés américains et des soldats israéliens se tenant à l'extérieur du périmètre. Le fait de disposer d'un nombre limité de sites de distribution obligera les civils à se déplacer loin de chez eux, ce qui les exposera à la violence.
Selon les autorités israéliennes, ces sites de distribution d'aide sont alimentés par 60 camions par jour – un dixième du nombre de camions qui se rendent à Gaza pendant le récent cessez-le-feu – et distribuent des boîtes familiales, une aide alimentaire destinée à répondre aux besoins minimaux de survie. Mais notre équipe sur le terrain signale que ces boîtes sont très insuffisantes pour assurer le bien-être des enfants. Ce plan ne peut pas soutenir une population de 2.1 millions de personnes, dont plus d'un million d'enfants.
Nous pensons que ce nouveau mécanisme est incompatible avec les principes humanitaires, notamment la neutralité, l'impartialité et l'indépendance. De plus, il ne respecte pas les obligations d'Israël en vertu du droit international.
De plus, étant donné que le nouveau système prévoit la présence de services de sécurité dans les sites de distribution, on craint que ces endroits seront perçus comme des objectifs militaires. Le personnel humanitaire et les civils cherchant de l'aide sur ces sites pourraient donc être exposés à des attaques.
Israël a défendu le nouvel effort de distribution comme un moyen d'empêcher le Hamas de voler des fournitures. Mais l'ONU et ses partenaires savent déjà comment faire inspecter, dédouaner, décharger et livrer l'aide humanitaire, sans détournement, sans retard et dans la dignité.
Notre aide peut être suivie du point d'inscription au point de livraison. Avec nos partenaires, nous accompagnons nos approvisionnements jusqu'à la fin. Notre nourriture parvient à l'enfant mal nourri. Nos vaccins vont dans le bras d'un enfant. Et nous sommes transparents sur les sources de financement de nos programmes d'aide.
Ce dont nous avons besoin, c'est que l'UNICEF et ses partenaires humanitaires soient autorisés à faire leur travail. Nous avons prouvé que les produits essentiels comme les médicaments, les vaccins, l'eau, la nourriture et la nutrition pour les bébés peuvent atteindre les personnes en détresse, où qu'elles se trouvent, lorsque nous y avons un accès libre et sûr.
Nous ne demandons pas l'impossible. Nous demandons que le droit international humanitaire soit respecté et appliqué ; pour un retour à la filière d'aide fonctionnelle dirigée par l'ONU avec un accès humanitaire sûr et durable par tous les points de passage disponibles ; pour le retour de tous les otages restants ; et pour le Hamas et Israël d'accepter un cessez-le-feu durable.
Si ces mesures sont prises, nous pouvons commencer un chemin hors des ténèbres de la guerre pour tous les enfants de Gaza et d'Israël touchés par cette guerre. J'exhorte toutes les parties et tous ceux qui ont de l'influence sur elles à nous laisser faire, ainsi qu'à nos partenaires humanitaires, notre travail. L'alternative risque de militariser l'aide humanitaire et condamnerait très probablement les enfants de Gaza à plus de souffrance et de morts.
(*) Catherine Russell est la directrice exécutive de l'UNICEF. Elle a été ambassadrice itinérante pour les questions féminines mondiales au département d'État sous l'administration d’Obama.
mercredi 28 mai 2025
Le Titanic
Pierre Pestieau
jeudi 22 mai 2025
Lettre n° 439 (*)
Il s’agit d’une des nombreuses lettres que Napoléon à écrites à son épouse Joséphine, lorsqu’il était en guerre, je ne sais pas trop où (en Belgique peut-être...) Je n’ai pas pu résister de vous la transmettre. Elle est magnifique comme le sont sans doute beaucoup d’autres lettres de Napoléon (Victor Ginsburgh).
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Le général Bonaparte (en guerre) à son épouse Joséphine, 1796 |
Adieu ! Ah ! si tu m’aimes moins, tu ne m’aurais jamais aimé. Je serais alors bien à plaindre.
Femme ! ! !
(*) Voir Henri Foljambe Hall: Projet Gutenberg, Lettres de Napoléon à Joséphine, 1796-1812
jeudi 15 mai 2025
Détestent-ils vraiment Trump autant qu’ils le prétendent ? / Do They Really Hate Trump as Much as They Say?
Pierre Pestieau
(English version below)
Il peut sembler surprenant, voire paradoxal, que la moitié de l’Amérique opposée à la politique de l’administration Trump — souvent plus aisée, plus instruite et davantage préoccupée par les biens publics globaux tels que la santé ou l’environnement — n’ait pas cherché à compenser, par des contributions volontaires, le retrait des financements fédéraux imposé par la présidence. Faut-il y voir une contradiction entre les discours et les actes ? Plusieurs explications structurelles, psychologiques et culturelles peuvent éclairer cette apparente inertie. Sont-elles pour autant pleinement convaincantes ?
Dans les sociétés développées, et plus particulièrement dans les démocraties sociales européennes, les citoyens ont tendance à déléguer aux institutions publiques la responsabilité de la solidarité et de la protection des biens communs. Une fois l’impôt payé, ils considèrent que la mission est accomplie. Ainsi, lorsque l’État se désengage, le réflexe d’auto-substitution ne va pas de soi. Ce schéma, cependant, est moins enraciné aux États-Unis, où la défiance envers l’État fédéral et la valorisation de l’initiative privée sont plus fortes. Cette observation affaiblit donc l’argument de la délégation morale automatique.
Plus convaincante est sans doute la difficulté bien connue en économie politique : celle de la coordination collective. Même si un grand nombre d’individus sont prêts à agir, l’absence d’un cadre organisé empêche souvent une mobilisation à grande échelle. Contrairement à l’impôt, qui repose sur une obligation universelle, les dons volontaires dépendent de l’initiative personnelle et se heurtent au problème du « passager clandestin » : chacun attend que d’autres agissent à sa place, ce qui entraîne une sous-provision chronique des biens publics. Cette dynamique est exacerbée par la dispersion des causes soutenues. Les citoyens progressistes s’engagent volontiers dans des projets locaux, militants ou sectoriels, mais il manque souvent une infrastructure commune pour canaliser ces ressources vers des objectifs globaux, comme ceux que poursuivaient certaines grandes ONG internationales.
Certes, on ne peut nier que des réactions ponctuelles ont émergé. Des plateformes telles que Planned Parenthood ou des campagnes de financement participatif ont bénéficié, sous Trump, d’un afflux de dons motivés par l’indignation. Mais ces élans sont souvent réactifs, émotionnels, et éphémères — loin d’une stratégie cohérente de remplacement du financement public à long terme.
Au fond, si l’opposition progressiste n’a pas comblé le vide laissé par le désengagement de l’État fédéral, c’est peut-être aussi parce que cette politique ne l’affecte que marginalement. Quand elle le fait, les personnes concernées se concentrent sur la résolution de leurs difficultés immédiates, sans toujours avoir les moyens ou la disponibilité d’organiser une réponse collective.
Ce constat met en lumière les limites du volontarisme individuel face au recul de l’action publique, même dans les sociétés les plus riches, les plus cultivées, et les plus engagées en apparence. Derrière la rhétorique de l’indignation, l’inertie persiste — révélant une fois encore que l’efficacité des politiques publiques ne se laisse pas aisément remplacer par la bonne volonté des individus, fussent-ils nombreux et sincères.
Pour conclure, on rappellera cette citation de Berthold Brecht :
Do They Really Hate Trump as Much as They Say?
Pierre Pestieau
It may seem surprising — even paradoxical — that the half of America opposed to the Trump administration’s policies, a group generally wealthier, better educated, and more attuned to global public goods like health and the environment, did not step in to offset, through voluntary contributions, the public funding cuts implemented during his presidency. Does this reveal a gap between stated values and actual behavior? Several structural, psychological, and cultural factors may help explain this apparent inertia — but how convincing are they?
In developed societies — particularly in Europe’s social democracies — citizens traditionally delegate responsibility for the common good to public institutions. Once taxes are paid, there is a sense that one's civic duty has been fulfilled. Thus, when the state withdraws, that delegation is broken, but individuals do not necessarily respond with a reflex to substitute it through private giving. However, this logic holds less firmly in the United States, where distrust of centralized government and a strong culture of private initiative are more prevalent — which somewhat weakens the delegation argument.
More compelling is the classic challenge of collective action. Even when many individuals are willing to contribute, the absence of a centralized coordination mechanism often undermines effective mobilization. Unlike taxation, which applies universally, voluntary donations rely on individual initiative and are subject to the “free rider” problem: each person hopes others will contribute, resulting in the underprovision of public goods. This difficulty is compounded by the fragmentation of causes: progressive citizens tend to support local, targeted, or activist efforts, but there is often no common platform to channel resources toward global issues — the very issues that many international NGOs used to address with public support.
It is true that some responses did occur. Organizations such as Planned Parenthood and various online crowdfunding campaigns experienced a surge in donations during the Trump years. Yet these gestures were often emotional, short-lived reactions to specific policy decisions, rather than a coherent long-term strategy to replace public funding.
Ultimately, the reason progressive Americans did not step in to fill the gap left by federal disengagement may be that they were not personally affected by these policies — or when they were, their priority was simply to cope. This reality underscores the limits of individual voluntarism as a substitute for public action, even in wealthy and socially engaged societies.
Behind the rhetoric of outrage lies a deeper inertia — a reminder that collective problems rarely find adequate solutions through scattered private efforts, no matter how sincere. In the end, public policy remains difficult to replace, and moral conviction alone seldom builds institutions.
To conclude, it might be relevant to recall this citation of Berthold Brecht:
jeudi 8 mai 2025
Une étude révèle que les perruches ont des régions productrices de langages qui ressemblent aux nôtres
Ella Jeffries, Science News, 21 mars 2025
Pendant ma vie passée en Afrique (1939-1957), j’ai vécu avec trois perroquets qui étaient bien plus grands que les perruches. Deux d’entre eux grimpaient dans mon lit de grand matin et m’ont souvent grignoté les doigts et même les oreilles. Je n’ai été mordu qu’une seule fois. Comme vous le voyez, je suis heureusement encore là, mais sans mes bavardages avec mes perroquets hélas... (Victor Ginsburgh).
Les perroquets et les perruches fascinent depuis longtemps les humains en imitant leur parole. De nouvelles recherches pourraient aider les scientifiques à mieux comprendre le fonctionnement de la parole chez l'homme, en particulier dans les cas de troubles de la parole.
Pour étudier comment les perruches traitent et produisent des sons semblables à ceux des humains, des chercheurs se sont concentrés sur une région du cerveau, qui joue un rôle essentiel dans le contrôle de la production vocale. Ces chercheurs ont découvert que différents modèles neuronaux dans cette région correspondent à différents sons – un processus qui reflète la façon dont le cerveau humain encode la parole.
L'étude s'ajoute à un nombre croissant de recherches sur la cognition animale, soulignant que les oiseaux peuvent posséder des processus neuronaux plus avancés qu'on ne le croyait. Les perroquets sont déjà connus pour leur mémoire impressionnante, mais cette nouvelle découverte remet en question l'hypothèse selon laquelle le contrôle vocal complexe est propre aux humains.
Un chercheur de l'Université Rockefeller souligne l'importance de la découverte, et montre que l'activité neuronale et le comportement vocal associé sont plus proches entre perroquets et humains qu’entreperroquets et oiseaux chanteurs.
Les similitudes entre les cerveaux humains et les cerveaux de perruches suggèrent que ces deux espèces pourraient avoir développé des stratégies neuronales comparables pour l'apprentissage vocal, bien qu'elles soient séparées par des millions d'années d'évolution.
La recherche pourrait avoir des applications pratiques pour la santé humaine. En comprenant mieux comment le cerveau organise la production vocale des perruches, les chercheurs espèrent obtenir de nouvelles connaissances sur les troubles de la parole humaine, tels que l'aphasie et la maladie de Parkinson.
« De telles études promettent de faire progresser les thérapies orthophoniques et inspirer les technologies d'interface cerveau-ordinateur », écrit un neuro-scientifique de l'Université du Delaware.
Une équipe de la New York University travaille avec des chercheurs en apprentissage automatique pour tenter une « traduction » des vocalisations des perruches. Si ces chercheurs sont couronnés de succès, leurs travaux pourraient fournir des informations plus approfondies sur la question de savoir si ces oiseaux communiquent vraiment lorsqu'ils imitent la parole humaine.
jeudi 1 mai 2025
Sont-ils vertueux ?
Pierre Pestieau
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Si vous saviez que l'économie était une science lugubre, pourquoi êtes-vous devenu économiste ? |
jeudi 24 avril 2025
Le pays des contes où je suis né
Victor Ginsburgh
Je suis né et j’ai vécu en Afrique de l’Est à quelque 1.500 mètres d’altitude, entre des volcans, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des lacs, sans me rendre compte qu’aussi bien des volcans et certains lacs étaient dangereux. Mais pire, sans doute, des fractures (failles tectoniques) divisaient déjà certaines parties du continent dans la vallée du Rift de l’Est africain.
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Rift africain |
Dans la photographie qui suit, je voyais de chez moi le plus important volcan, le Nyiragongo avec ses 3.500 de mètres d’altitude. Il vient de se réveiller le 14 mars 2025, mais je ne l’ai jamais vu en éruption du temps de ma jeunesse.
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Le volcan Nyiragongo |
Plusieurs éruptions se sont produites bien après mon départ vers l’Europe en 1958. J’ai néanmoins eu la chance de voir de près une coulée de lave provenant du Nyamulagira, un volcan bien plus petit que le Nyiragongo. Et puis il y avait la plage de Gisenyi où je passais mes journées durant les vacances. La maison où j’habitais en était à quelque 500 mètres.
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Le lac Kivu à 500 mètres de la maison où je suis né et ai vécu |
Ma première neige s’est montrée lorsque je suis arrivé en Belgique, à l’âge de 18 ans. En janvier 1958, alors que je devais me lever pour me rendre au cours de mathématiques (dites générales) à l’université, j’ai vu la neige, collée sur la petite tabatière dans une maison à Ixelles.
Première neige que j’avais vue de près… Mais de loin j’avais aperçu des neiges sur certains vieux volcans éteints.
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Ancien volcan rwandais enneigé |
Depuis lors, et malgré les voyages les plus exaltants que j’ai faits en Afrique du Nord, Chine, Russie, Amérique du Nord et du Sud, et Europe, je ne suis pas retourné dans le pays où je suis né. Je ne sais pas pour quelle raison. Aujourd’hui, je préfère sans doute mes souvenirs… et le bon vin.
jeudi 17 avril 2025
Taxes peccamineuses : quand l'État moralise la consommation
Pierre Pestieau
Il existe différentes motivations pour taxer. Les deux principales sont le besoin de financer les dépenses publiques et celui de redistribuer les revenus. Deux autres motivations, moins connues, sont d'une part la nécessité d'internaliser des coûts ignorés par le marché et d'autre part le souci de modifier le comportement des agents économiques. L'environnement est un domaine où la taxation pénalise ceux dont les activités génèrent pollution et nuisances. Dans le jargon économique, on parle de "taxe pigouvienne", souvent conçue pour transformer les comportements. La santé constitue également un champ d'action où l'État surtaxe des produits jugés nocifs afin d'en décourager la consommation.
Lorsque l'objectif premier est de transformer les habitudes de consommation, on parle parfois d’ une "taxe comportementale", voire une "taxe peccamineuse" (sin tax). La taxe vous dissuade de "pécher". Inversement, l'État peut subventionner des alternatives vertueuses. La taxe carbone appartient à cette catégorie d'imposition — j'y reviendrai dans un prochain billet. Les taxes sur le tabac, l'alcool et les sodas s'inscrivent également dans cette logique.
En 1990, le paquet de cigarettes coûtait 1,50 euros. Aujourd'hui, il atteint 11,50 euros, dont 80% reviennent à l'État. Le tabagisme quotidien a certes reculé, mais demeure encore largement répandu. On observe des disparités régionales significatives, avec des taux généralement plus élevés en Wallonie qu'en Flandre. L'impact dissuasif reste finalement modeste.
Outre cette résistance des consommateurs, deux problèmes majeurs persistent. D'une part, l'explosion des circuits parallèles. Les achats transfrontaliers et le marché noir privent l'État de recettes substantielles. D'autre part, une injustice sociale flagrante. L'écart de prévalence du tabagisme quotidien entre les plus bas et les plus hauts revenus est élevé et grandissant. Ce sont donc les populations défavorisées qui supportent le poids le plus lourd de cette fiscalité. En d'autres termes, cette taxe s'avère régressive. Sans réellement modifier le comportement des personnes à faibles revenus, elle leur enlève du pouvoir d’achat..

Les boissons sont aussi un marqueur social; les sodas sont davantage consommés par les classes populaires. Introduite en 2015, la taxe soda vise à lutter contre l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, ainsi que leur coût pour l’Assurance maladie.
Elle rapporte beaucoup a l’Etat mais elle semble avoir peu d’effet sur le comportement d'achat. Une faible taxe augmentée petit à petit, comme cela se passe actuellement, ne crée pas d’effet-choc. Le consommateur s’habitue simplement à ces nouveaux prix sans modifier son comportement. Au final, ce sont surtout les moins aisés qui ressentent l’impact financier d’une telle taxe. Cela étant, ce sont également eux qui vivent et mangent en général de manière un peu moins saine et qui risquent donc davantage de devenir obèses.
Les problèmes de santé causés par le tabac et les boissons sucrées nécessitent une approche globale et transversale. Il est essentiel de définir une politique claire, avec des objectifs concrets et un suivi rigoureux. L'augmentation des taxes sur les produits dont il faut limiter la consommation peut faire partie d'un plan global, mais elle ne sera jamais aussi efficace que d'autres mesures telles qu'un meilleur étiquetage, des portions plus petites et une meilleure information. Il importe surement de moins moraliser la politique de dissuasion, comme le fait le terme « peccamineux ».

Ces taxes semblent davantage destinées à remplir les caisses de l’État qu’à modifier réellement les comportements. Ce sont les plus modestes qui en paient le prix.
jeudi 10 avril 2025
Monastères isolés à voir dans le monde
Shoshi Parks, Historien and Journaliste,
Isolated, Gravity-Defying Monasteries, You Can Visit Around the World, Smithsonian Magazine, January 31, 2025.