vendredi 28 octobre 2011

Recherche et enseignement. Quo vadimus ?

Victor Ginsburgh

Voici deux exemples récents de la raison pour laquelle la question peut (ou doit) être posée. Le premier est européen, le second américain, mais ils se valent dans leur médiocrité.

En 2011, dans une université européenne que je ne nommerai pas, une faculté que je ne nommerai pas non plus veut engager un professeur à 80% du temps. Pourquoi 80% du temps demande le candidat ? Parce que 80% du temps, répond le doyen, c’est votre salaire pour enseigner, nous ne sommes pas intéressés par votre recherche. Ben voyons, on sait bien que de nos jours les universités c’est fait pour enseigner, pas pour chercher.

Toujours en 2011, une enquête administrée par l’OCDE, qui porte sur l’enseignement moyen, montre que seulement 32% des élèves américains sont « compétents » (proficient) en mathématique, ce qui situe les Etats-Unis entre le Portugal et l’Italie (bravo, Silvio) et loin derrière Singapour (63% de compétents), la Finlande et le Liechtenstein (56%), la Belgique (47%, ouf), la France (39%, tout fout le camp, Nicolas) et une vingtaine d’autres pays, y compris Macao (48%, moi qui croyais qu’il n’y avait là que des salles de jeux). L’honneur n’est même pas sauvé par l’Etat du Massachusetts (avec 51%), malgré la présence de deux parmi les universités les plus prestigieuses du monde, le MIT et Harvard. La Louisiane, la Virginie de l’Ouest, l’Alabama, le Nouveau Mexique et le Mississippi se situent au niveau de la Turquie (18%) et de la Bulgarie (15%) (1).

Mais mon propos n’est pas là. Il concerne plutôt les « recettes » que proposent deux mathématiciens américains, Sol Garfunkel, directeur exécutif du Consortium for Mathematics and its Applications et David Mumford, professeur émérite de mathématique de la Brown University (2).

Ces deux mathématiciens trouvent que les cours actuels ne préparent pas bien la grande majorité des élèves, parce que trop abstraits. Combien de fois, écrivent-ils, un adulte est-il amené à résoudre une équation du deuxième degré ? Pourquoi enseigner les nombres complexes ? Il vaudrait beaucoup mieux enseigner comment il faut évaluer une hypothèque, et comment interpréter les résultats statistiques d’une expérience médicale (3). Les traditionalistes objecteront, comme ils l’ont fait contre la suppression du latin qui était censé aider les étudiants à développer leurs capacités linguistiques (dans les pays de langue romane mais aussi dans ceux de langue « anglaise », où le nombre de mots empruntés au français est important).

Remplaçons, écrivent Garfunkel et Mumford, ces mathématiques traditionnelles par de la finance—ces deux érudits ne doivent pas trop savoir ce que nous fait subir la finance—avec laquelle les étudiants apprendront ce qu’est la fonction exponentielle, par des calculs sur des tableurs, par l’étude des comptes des entreprises et de l’Etat—dans lesquels y a plus que des centimes négatifs, et les nombre négatifs, faut plus les enseigner—comme nous avons remplacé l’étude du latin par celle des langues modernes.

Avec le résultat que l’on sait. Lorsqu’on reproche à une étudiant universitaire de faire des fautes d’orthographe et de grammaire dans sa copie d’examen, il répond que la secrétaire qui l’assistera « quand il sera grand » se chargera de les corriger.

Où allons-nous, conclut un vieillard que je connais depuis qu’il est jeune…


(1) Why can’t American students compete with the rest of the world, Newsweek, 5 septembre 2011.

(2) How to fix our math éducation, The New York Times, 24 août 2011.

(3) A condition que celle-ci soit faite honnêtement et qu’on permette à ceux qui ne sont pas d’accord de le dire ou de l’écrire, ce qui, lorsqu’on relit le blog « Anastasie » posté par Pierre Pestieau le 7 octobre 2011, est loin d’être le cas.

2 commentaires:

  1. J'ai eu un peu de mal à suivre la fin du billet... (on m'a sans doute mal appris le français). Mais en faisant un effort (même si je n'aime pas les fonctions exponentielles qui ne mènent nulle part) j'ai fini par me faire une idée du message que Victor voulait faire passer (même si je ne sais pas qui est ce vieilard qu'il connait depuis qu'il est jeune, mais en tous cas ce n'est pas moi). Moi aussi je suis un jeune qui veillit et plus mon temps passe, plus je pense que seul l'art pourra sauver l'Humanité du désespoir. Il faut donc enseigner les arts, ces choses futiles et non-productives qui élèvent l'âme.A quoi bon apprendre à jouer du piano, du cors ou du djembé (pour ne prendre que 3 exemple)? Il existe mille réponses à travers les arts. L'une est celle donnée par Michel Petruciani qui ré-invente "So what" de Miles Davis et que je partage pour ceux qui ne connaissent pas. http://www.youtube.com/watch?v=tJngXnWtVnI Plus ça va, plus j'écoute ça au mieu de lire des articles d'économie: ne dites pas ça à mon recteur.Disons que je fais mon travail d'économiste, mais je pense que la science économique, même si elle a fait beaucoup pour lui, ne sauvera pas l'Homme. Il lui faut autre chose.

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  2. Il y a plusieurs Thierry dans notre liste d'adresses, mais quel qu'il soit (et je crois deviner), je le remercie des milliers de fois de m'avoir fait connaître Michel Petrucciani et de prendre aussi directement la défense de l'art

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