vendredi 14 octobre 2011

S’il existe un bon impôt, c’est celui-là

Pierre Pestieau

La phrase de Gide (1) « Famille, je vous hais » ne connaît jamais autant d’actualité qu’au moment des héritages. Que de conflits souvent irréparables, le plus souvent pour des broutilles. Et les institutions n’y changent rien. Dans la vieille Europe où le partage égalitaire entre enfants est la loi, il y a autant de zizanies que dans les pays anglo-saxons où la liberté de tester prévaut. Mais ceci n’est pas mon sujet. Balzac l’a fait avant moi et sûrement bien mieux. Je voudrais traiter du risque de perdre des amis auquel peut mener une discussion sur les droits de succession. Dans la même semaine, cela m’est arrivé à deux reprises en France.

La première fois, un jeune collègue me raconte le traumatisme de son père lorsqu’une de ses tantes qui tardait à mourir finit par se décider pour le plus grand bonheur de ses héritiers. Elle n’avait pas d’enfants et les héritiers légaux étaient ses neveux et nièces. Horreur, chacun d’entre eux devait s’acquitter de droits de succession de 60% à partir du premier euro légué (2). En bon économiste sans cœur, ma première réaction fut de dire « Bravo, voilà un bon impôt ». En effet, du point de vue théorique, les legs collatéraux représentent une base fiscale bien plus appropriée que les legs en ligne directe. Ils sont en effet rarement volontaires ou intentionnels et la présence d’un impôt ne devrait par conséquent pas en diminuer l’importance. Il s’agit d’un impôt qui est bien plus efficace que les impôts qui poussent à moins épargner ou à travailler moins. Mais les considérations théoriques sur l’intérêt général n’ont guère de poids devant la perspective de « laisser » à l’ogre étatique 60%, une somme dont chacun pense qu’il pourrait en faire un bien meilleur usage.

Le deuxième incident met en scène un couple d’excellents amis qui eux n’ont pas d’enfants et veulent faire bénéficier de leur héritage plusieurs neveux et nièces qu’ils chérissent depuis toujours. Ils font face au même problème, puisque près des deux tiers de ce qu’ils ont l’intention de léguer « partira en fumée ». Ici aussi il ne me semble pas anormal de voir l’Etat ponctionner 60% de la succession ; de surcroit, il leur est loisible d’éviter ce prélèvement en recourant à des donations ou à une série de techniques que les notaires connaissent bien.

Les donations présentent de nombreux avantages. Elles sont moins lourdement taxées et peuvent, dans certaines conditions, ne pas l’être du tout ; mais en outre, elles peuvent bénéficient à des personnes plus jeunes qui en ont davantage besoin. L’âge auquel la plupart des gens décèdent est tel que l’héritier est souvent près de la retraite, un âge où ses besoins de liquidités sont généralement plus faibles. Pourquoi pas davantage de donations ? Deux raisons majeures : d’abord, garder un patrimoine est une assurance en cas de coup dur, par exemple une maladie coûteuse et non couverte par l’assurance médicale ; ensuite, maintenir sur les futurs héritiers un certain moyen de pression.

Parfois avec raison : le Père Goriot de Balzac et le Roi Lear de Shakespeare, deux malheureux pères, se sont retrouvés privés de l’amour de leurs filles pour leur avoir, l’un et l’autre, légué leur fortune… trop tôt.

Depuis quelques semaines, certains hommes politiques, soucieux de combler le déficit budgétaire, font flèche de tout bois. Cette démarche les a amenés à ressortir des tiroirs l’idée d’un impôt annuel sur la fortune, idée chère à notre regretté collègue de l’ULB Max Frank. C’est là une idée singulière venant de gens qui ont permis il y a peu que les droits de succession soient régionalisés et donc fragilisés. Du point de vue de l’analyse économique, les droits de succession sont plus efficaces qu’un impôt sur la richesse même si les deux types de prélèvement se heurtent à des obstacles similaires : impopularité, fraude et évasion, évaluation de certains actifs…. On notera à ce propos, même si ce n’est pas une raison suffisante, que l’on compte sur les doigts de la main les pays qui prélèvent impôt sur la fortune. La France et tout récemment l’Espagne aux abois sont sans conteste les exceptions qui en Europe confirment la règle.

(1) Dans Les Nourritures terrestres. Gide ne dit pas que du mal de la famille ; il lui reconnaît certains mérites mais note cependant que… « la famille ne respecte pas certains choix ce qui peut pousser à un mal être ; elle peut aussi être source de conflit ; enfin une forte divergence d’opinion peut pousser ses membres à la haine entre eux. »

(2) En fait, il semblerait qu’en France pour les neveux et nièces les droits de succession s’élèvent à 55% sur la totalité du montant reçu après abattement.

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