vendredi 18 novembre 2011

Super-Mario, éminent économiste italien

Victor Ginsburgh

La presse de ces derniers jours a beaucoup qualifié d’« éminent » ou de Super-Mario, un certain Mario Monti, nouveau Président du Conseil italien, ministre de l’Economie et ancien commissaire européen. Il y a beaucoup d’économistes éminents, aussi bien parmi les morts, que parmi ceux qui, comme nous, vivent encore et Dieu sait combien la situation dans laquelle ils nous ont fourgués les a rendus éminents. Mais proclamer que Super-Mario est éminent est plutôt paradoxal.

Lorsqu’il était commissaire européen, il a contribué à l’introduction dans l’Union Européenne du droit de suite (DS). Ce droit réserve à l'artiste (et surtout à ses ayants droit, jusqu’à 70 ans après son décès) une partie (3 à 5%) du prix de vente lorsque ses œuvres originales (peintures, sculptures, multiples, vidéos, etc.) sont revendues en vente publique. Le prétexte à son introduction vient du bon (mais, aujourd’hui, peu vérifié) sentiment que l’artiste est en position de faiblesse lorsqu’il négocie avec la galerie ou le marchand et pourra, grâce au DS, et pour autant qu’il vive encore (1), récupérer une partie de son dû, lorsque ses œuvres seront revendues à gros prix chez Christie’s ou Sotheby’s.

Ce que tout économiste admettra dès sa première année à l’université, même s’il n’est pas éminent, c’est que le prix de la première vente, grevée par le DS futur, s’ajustera à un niveau plus faible que celui qui prévaudrait sans DS. La raison est simple. Le DS impose une contrainte sur les transactions futures qui se traduit par une réduction des prix lors de la première vente par l’artiste. En effet, les acheteurs anticiperont la contrainte et ne seront pas prêts à payer le « prix plein » puisque le DS pèsera sur les prix futurs et rendra la revente plus difficile. C’est comme une maison avec servitude qui se vendra moins cher que la même maison sans servitude.

On peut donc s’attendre à ce qu’un jeune artiste qui calcule mieux que Super-Mario préfèrera la valeur immédiate plus élevée que son œuvre aurait en l’absence de DS, plutôt que d’investir avec l’espoir (assez mince, d’ailleurs) que son œuvre se revendra chez Christie’s dans quelques années.

Du fait que le prix de la première transaction entre l’artiste et son acheteur diminue, certains artistes qui auraient embrassé la carrière seront découragés et se tourneront vers d’autres possibilités : trader, professeur d’économie, ministre des affaires économiques, ce qui pourra sans doute provoquer une nouvelle crise, mais difficilement contribuer à l’augmentation de la production artistique.

Or, que dit Super-Mario ? Il dit : « Le droit de suite contribuera de façon décisive au développement de l'art moderne en Europe » (2). Un manque élémentaire de rigueur économique, qui n’a d’ailleurs pas manqué d’être repris dans la plupart des pays de l’UE, comme en Belgique, par son ministère des affaires économiques. Le titre du communiqué de presse qui faisait part de la bonne nouvelle aux futurs artistes belges annonçait : « Jeunes artistes ? Le droit de suite assure votre avenir » (3).

Super-Mario, qui a aussi été professeur de science économique à Turin et à Milan, a fait là une erreur de raisonnement qui serait de nature à le voir échouer à l’examen de première année qu’il ferait subir à ses propres étudiants. Espérons qu’il fera mieux en tant que Président du Conseil italien et ministre de l’Economie. Ce qui ne devrait pas être trop difficile après Bunga-Bunga-Silvio.

(1) Ce qui est rare. On a pu montrer qu’exception faite du top 50, les artistes vivants dont les œuvres sont revendues dans des ventes publiques (il faut qu’ils soient déjà très célèbres pour que cela arrive) perçoivent plus ou moins mille euros par an de DS et que la grande partie du DS collecté est versée aux ayants droit des artistes décédés. Forcément, le DS est payé pendant les 70 ans qui suivent le décès de l’artiste. Voir Victor Ginsburgh, Droit de suite, in R. Towse, ed., A Handbook of Cultural Economics, Cheltenham: Edward Elgar, 2011.

http://www.ecares.org/ecare/personal/ginsburgh/papers/176.%20towse.pdf

(2) Voir Suzanne Perry, Artists should benefit when works sold, EU says, Reuters REU2348 3 OVR 365 (ECR EEC GB LIF NEWS) F1301225, March 13, 1996.

(3) Communiqué de Presse, SPF Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie, site web: http://mineco.fgov.be/press_releases/press_releases_pdf/press_release_31102007_fr.pdf

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