jeudi 19 avril 2012

Ô les belles banques et leurs honnêtes dirigeants

Victor Ginsburgh

Un député, membre de la commission spéciale qui a examiné la faillite de Dexia, a été très direct en disant « La chute de Dexia ? Tout sauf à pas de chance » ; néanmoins, ajoute-t-il, « identifier les responsabilités, même si pour moi elles sont évidentes, la Commission ne le fera pas » (1). Et ce en dépit du fait que « les constatations mettent explicitement le doigt sur certaines responsabilités personnalisables [et avancent] des faits utilisables pour des devoirs d’enquête supplémentaires » (2), y compris pour ce qui s’est passé durant l’ère Dehaene et Mariano pour laquelle « nous avons clairement identifié des problèmes, des faiblesses, des signes de choses qui n’auraient pas dû arriver » (2). Donc, personne—sauf nous, c’est-à-dire vous et moi—ne sera tenu pour responsable des €4 milliards qu’a coûtés la reprise de Dexia par l’Etat belge, et des 45 milliards de garantie que nous lui avons donnés. Nous parce que c’est nous qui allons un jour, pas si lointain sans doute, devoir payer. Y compris les retraites dorées et les « virages ambulatoires » (3) de leurs ex-dirigeants.

Les anciens dirigeants de Fortis sont (enfin) soupçonnés par l’autorité des marchés financiers d’avoir lancé en 2008 des « informations incorrectes et trompeuses », ce qui pourrait les amener à comparaître en justice (4). Amende maximum : €2,5 millions, des cacahuètes.

Constater que ce n’est guère différent dans le reste du monde est une piètre consolation, mais voyons quand même comment « les banques gagnent, une fois de plus » ou pire pourquoi « les banques gagnent toujours », deux titres d’éditoriaux récents du New York Times (5).

Il y a peu, huit banques, dont JPMorganChase, Bank of America, Wells Fargo et Citigroup, ont été condamnées par les autorités américaines de régulation (la SEC, dont le rôle principal est de surveiller les institutions financières) pour diverses malversations. Parmi celles-ci, citons au hasard les suivantes : conseiller à ses propres clients d’acheter des fonds de placement, tout en jouant soi-même à la baisse sur ces fonds ou en tâchant de s’en débarrasser ; rouler les acquéreurs de logements en leur refusant à tort des modifications des contrats d’emprunt ; utiliser à son profit et pas à celui des clients, les milliards qu’ils ont déposés—chez Goldman Sachs, les clients sont d’ailleurs appelés « marionnettes » (6). L’amende s’élève à $1,2 milliards, mais les banques ne devront probablement pas la payer si elles acceptent d’assumer les obligations qui leur ont été imposées par la justice pour aider les propriétaires de logements à rééchelonner leurs dettes.

En réalité, dans la plupart des cas de fraudes, la SEC permet aux banques de ne pas payer les amendes qu’elle leur impose, en leur faisant promettre… de ne plus frauder, promesses qu’elles oublient évidemment dès le lendemain du « pardon ». La JPMorganChase, par exemple, a payé six amendes durant les 13 dernières années, mais a obtenu durant la même période 22 pardons, en arguant qu’elle « pouvait faire preuve d’un palmarès solide de son respect pour les lois » (7). Le New York Times (8) qui a analysé les investigations de la SEC durant les dix dernières années a dénombré 350 cas de pardons, ce qui permet entre autres aux banques d’éviter des poursuites collectives (class-action) par leurs actionnaires.

Et l’une des raisons pour laquelle les banques américaines gagnent à tous les coups, est qu’entre 1990 et 2010, elles ont distribué $2,3 milliards de contributions aux campagnes électorales des parlementaires, ce qui fait dire au New York Times que « notre parlement est aujourd’hui un forum de corruption légale » : 61 parlementaires sur les 435 qui font partie de la Chambre sont membres du Comité des Services Financiers (9). Y a plein de grosses miettes à ramasser.

« Bonus, bona, bonum, Deus sanctus » (10), comme le prétendent les banquiers quand ils vous proposent un placement.

(1) Voir RTBF Info du 19 mars 2012. http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_georges-gilkinet-la-chute-de-dexia-tout-sauf-la-faute-a-pas-de-chance?id=7732926

(2) George Hübner, expert faisant partie de la Commission. Voir L’Echo, 11 avril 2012.

(3) Voir le blog qui précède de Pierre Pestieau.

(4) RTBF 17 avril 2012, http://www.rtbf.be/info/economie/detail_fortis-la-justice-pourrait-vouloir-remettre-les-pendules-a-l-heure?id=7749134

(5) The banks win, again, New York Times, March 17, 2012 et Banks always win, New York Times, April 5, 2012. http://www.nytimes.com/2012/03/18/opinion/sunday/the-banks-win-again.html et http://www.nytimes.com/2012/04/06/opinion/banks-always-win.html

(6) Greg Smith, Why I am leaving Goldman Scahs, New York Times, March 14, 2002. http://www.nytimes.com/2012/03/14/opinion/why-i-am-leaving-goldman-sachs.html?pagewanted=all

(7) Traduction libre de l’anglais « a strong record of compliance with securities laws ».

(8) Voir E. Wyatt, SEC is avoiding tough sanctions for large banks, New York Times, February 3, 2012. http://www.nytimes.com/2012/02/03/business/sec-is-avoiding-tough-sanctions-for-large-banks.html?pagewanted=all

(9) T. Friedman, Did you hear the one about the Bankers ?, New York Times, October 29, 2011. http://www.nytimes.com/2011/10/30/opinion/sunday/friedman-did-you-hear-the-one-about-the-bankers.html

(10) Sganarelle dans l’acte II, scène 4, du Médecin malgré lui de Molière.

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