jeudi 6 septembre 2012

Un monde de jockeys ou de sumokas


Pierre Pestieau

Il est parfois bon de laisser courir son imagination. Supposons que l’on puisse sans coût financier et humain revenir au temps où les hommes mesuraient 1,70 m et pesaient 65 kg, ce qui est loin des moyennes actuelles. On vivrait sans doute mieux dans ce monde rapetissé. La plupart des activités ne réclament plus de force brute mais le simple maniement de machines et la production ne s’en trouverait pas affectée. En revanche, il faudrait moins de ressources pour nourrir, loger et transporter cette société compactée. Il faut s’arrêter à ces dimensions. Une trop forte réduction, celle qui par exemple nous amènerait à la taille des Lilliputiens, aurait des avantages économiques certes mais poserait des problèmes existentiels terribles. Il faudrait par exemple changer le registre des animaux de compagnie. Adieu chats, chiens et furets beaucoup trop monstrueux.

Sans aller aussi loin, il est certain que la surpondération actuelle dont souffre une partie importante de l’humanité a un coût pour la société. Mais comment le mesurer ? Ce n’et pas compliqué, mais il faut y penser. Rompant avec la mesure démographique habituelle, qui consiste à compter les humains, une équipe de médecins et chercheurs britanniques a eu une l’idée singulière de les peser. Tous ensemble, nation par nation, continent par continent. Le fruit de leurs calculs, publié dans la dernière édition de BMC Public Health (1) offre une frappante image de la surcharge pondérale de l'humanité, de sa répartition et, aussi, de la manière dont elle affecte l'exploitation des ressources.
Selon ces chercheurs, en 2005, l'humanité adulte pesait environ 287 millions de tonnes dont 3,5 millions seraient dues à l'obésité (2) dont le « poids » est inégalement réparti. L'Amérique du Nord rassemble 6% des habitants de la planète, mais concentre 34% de l’excès de biomasse humaine due à l’obésité. En revanche, l'Asie représente 61% de la population, mais seulement 13% de cet excès de biomasse.
Ces chiffres en main, les auteurs en viennent à se demander combien coûte cette surcharge pondérale. Alors que cette question est généralement abordée sous l'angle de la santé publique, ils ont choisi un autre point de vue : cette biomasse humaine " excédentaire ", il faut bien la transporter, la nourrir, l'entretenir en somme. Et tout cela se paie en calories consommées. Le résultat est que le surpoids général de l'humanité correspond aux besoins caloriques de 111 millions d'adultes de corpulence moyenne. De quoi relâcher la pression sur les ressources de notre planète.
Les auteurs montrent en outre que si l’humanité décidait d’adopter le mode de vie des Américains et donc d’hériter de leur surpoids, la masse humaine grimperait de 58 millions de tonnes. Supporter et entretenir cette surcharge reviendrait à consommer la nourriture requise pour faire vivre 473 millions d'individus moyens.
Devant la finitude de notre environnement, il ne suffit pas de contrôler la population ; il faut aussi en limiter le poids.
(1) Sarah Walpole, David Prieto-Merino, Phil Edwards, John Cleland, Gretchen Stevens and Ian Roberts, The weight of nations : an estimation of adult human biomass, BMC Public Health 2012, 12
(2) Les auteurs distinguent obésité et surpondération en utilisant l’IMC, l’indice de masse corporelle qui est donné par le poids divisé par le carré de la hauteur. L’obésité correspond à un IMC supérieur à 30 et la surpondération à un IMC supérieur à 25.

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