vendredi 21 septembre 2012

Des ours et des hommes


Victor Ginsburgh

Le manque de nourriture par suite de la récente sécheresse aux Etats-Unis rend les cervidés, les ours et autres animaux sauvages des montagnes et des plateaux américains de plus en plus « téméraires » : ils quittent leurs lieux de chasse et de cueillette habituels, et se rapprochent des habitations humaines pour trouver la nourriture dont ils ont un urgent besoin avant l’hiver.

Ils ne sont pas les seuls à se demander ce qu’ils vont manger et où ils vont le trouver. D’après un rapport récemment publié par l’Economist Intelligence Unit (1), les prix des denrées agricoles ont augmenté deux fois plus vite que l’indice général des prix dans le monde durant la dernière décennie. Si ce n’est pas trop grave pour les pays de l’OCDE dans lesquels la part de la nourriture dans le budget est de 20%, ce l’est bien davantage en Afrique Subsaharienne et dans l’Asie du Sud, où cette part s’élève à plus de 50%. Même les pays d’Europe de l’Est et de feu l’Union Soviétique ne sont pas épargnés : cette part s’y élève à 45% du budget d’un ménage. La Banque Mondiale estime qu’en 2008, l’augmentation des prix a précipité 44 millions d’individus supplémentaires sous la ligne de pauvreté de $2 par jour. Il faut savoir que 95% de la population de la République Démocratique du Congo (RDC, ex-Congo belge), 94, 93 et 82 des populations libérienne, burundaise et rwandaise vivent sous le seuil de $2 par jour. Et ils sont loin d’être les seuls (2).  Chaque habitant de ces pays dépense un dollar par jour pour se nourrir ; il lui reste à peine un dollar par jour pour tout le reste. C’est pire en RDC, au Cambodge et au Népal. En RDC, la ration journalière s’élève à 1500 calories, alors que la FAO estime qu’un adulte a normalement besoin de 2300  calories.

Les sécheresses et les augmentations des prix ne sont pas les seules à créer ces situations. Y contribuent aussi les difficultés qu’il y a d’approvisionner certains pays ou régions suite à des contraintes politiques et économiques. Mais, il arrive aussi que les réserves qui existent ne soient pas vendues dans l’espoir que les prix continuent d’augmenter et que les bénéfices ainsi réalisés deviennent plus juteux au fil du temps. Ou encore, comme dans le cas de la fameuse famine de 1943 au Bengale, parce que les colonisateurs anglais de l’époque ont jugé qu’il fallait plutôt contribuer à l’effort de guerre que distribuer les stocks de riz aux habitants locaux (3).

La question des OGM (et des pesticides) qui semblaient promettre une agriculture plus efficace vient de se pointer à l’horizon avec l’expérience qui montre les effets désastreux sur les rats du maïs transgénique produit par Monsanto (4). Etude (5) bien entendu immédiatement contestée (6). Faudrait-il, comme dans le bon vieux temps, permettre de tuer les messagers porteurs de mauvaises nouvelles ?

(1) Economist Intelligence Unit, Global Food Security Index 2012.
(3) Cormac O Grada, Sufficiency and sufficiency and sufficiency. Revisiting the Bengal famine of 1943-44.  http://researchrepository.ucd.ie/bitstream/handle/10197/2655/wp10_21.pdf?sequence=1
(5) Séralini, G.-E., et al. (2012), Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize, Food and Chemical Toxicology. http://research.sustainablefoodtrust.org/wp-content/uploads/2012/09/Final-Paper.pdf

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