mercredi 22 mai 2013

Charité bien ordonnée commence par soi-même


Pierre Pestieau

J’ajouterais à ce dicton: et « finit par soi-même ».  C’est là l’enseignement d’un livre récent de Ken Stern (1) qui porte sur les contributions charitables aux Etats-Unis. Celles-là même que de nombreux conservateurs verraient bien remplacer les taxes qui financent nos Etats- providence. L’ouvrage illustre deux faits surprenants sur la pratique des contributions charitables. Tout d’abord, ce sont ceux qui peuvent le moins se le permettre qui contribuent le plus en pourcentage de leur revenu. En 2011, les Américains les plus pauvres – ceux dont les revenus appartiennent à la tranche inférieure des 20 pour cent – donnent 3,2 pour cent de leur revenu aux œuvres charitables. Les 20 pour cent dont les revenus sont les plus élevés y ont consacré en moyenne 1,3 pour cent. Cette différence est en réalité plus importante qu’il ne paraît du fait que, contrairement aux donateurs plus aisés, la plupart des moins riches ne peuvent pas profiter de la moindre déduction fiscale de leurs dons.

L’autre fait surprenant a trait aux œuvres ou fondations qui bénéficient de la générosité des riches ; elles n’ont souvent rien à voir avec la précarité ou l’exclusion. Parmi les 50 plus importants dons individuels en 2012, 34 sont allés aux institutions d'enseignement, la grande majorité d'entre elles étant les universités, qui comme Harvard, Columbia ou Berkeley s'adressent à l'élite. Les musées et les organismes artistiques tels que le Metropolitan Museum of Art ont reçu neuf de ces dons majeurs. Les dons restants se répartissent entre les institutions médicales et les organismes de préservation de l’environnement comme le Central Park Conservancy. Pas un seul n’est allé à une œuvre sociale qui sert principalement les pauvres et les dépossédés.

En soi, ces faits ne seraient pas choquants. Après tout si le système fiscal et la protection sociale d’un pays jouaient leur rôle redistributif, rien de plus normal que les ménages les plus aisés veuillent financer des projets qu’ils jugent prioritaires dans les domaines de l’art, de l’environnement et de la recherche. Il y a problème lorsque les pouvoirs publics ne remplissent pas ce rôle et qu’il sont poussés en cela par les mouvements de conservateurs compassionnels (compassionate conservative) (2) qui, précisément, veulent remplacer les impôts par ces contributions charitables.

On m’objectera que tout cela se passe loin de chez nous. Pas si sûr. Il y aussi des conservateurs compassionnels dans notre vieille Europe.

(1) Ken Stern (2013), With Charity for All: Why Charities Are Failing and a Better Way to Give, Random House.
(2) Bel exemple d’oxymore pour reprendre un mot à la mode.

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