jeudi 11 février 2016

Jeunes et vieux sçavants

Victor Ginsburgh
 
Le grand physicien allemand Max Planck, qui est à l’origine de la théorie des quanta, a du mal prendre les plaisanteries d’Einstein, qui aurait, en 1927, dit que « Dieu ne joue pas aux dés » pour exprimer sa méfiance à l’égard de l’interprétation probabiliste de la mécanique quantique. Ce n’est donc pas étonnant que Planck, un luthérien qui croyait en l’existence d’un créateur, ait pu écrire :

« Une nouvelle théorie scientifique ne triomphe pas parce ses tenants convainquent ses opposants en leur faisant voir la lumière, mais plutôt parce que les opposants finissent par mourir, ce qui permet à une génération plus jeune et  familière avec cette nouvelle théorie, de s’exprimer ».

Trois économistes (1) ont essayé de tester si Planck avait raison. Le principe qu’ils utilisent est subtil. Ils examinent comment le départ pour l’éternité de quelque 450 éminents chercheurs a modifié la vitalité du domaine dans lequel ils ont travaillé durant les dernières années de leur vie. Et ils découvrent que leurs « découvertes » disparaissent du fait que leurs collaborateurs cessaient de publier sur la question. Par contre, ce déclin est plus que compensé par le nombre de publications de ceux qui n’ont pas collaboré avec la star disparue.
 La réduction du nombre de publications et de citations à l’œuvre de la star et de ses collaborateurs est à la fois liée à la perte de contrôle (souvent indirect) qu’avait ladite star dans les revues avant sa disparition, et aux restrictions qu’elle pouvait (toujours de façon indirecte) imposer à la publication des nouvelles idées. Elle résulte aussi de  la réserve de ceux qui n’ont pas collaboré avec la star mais qui ne veulent pas (trop) la chahuter tant qu’elle est en vie, par respect pour son apport.

Il faudrait par conséquent faire la chasse aux vieux professeurs qui traînent dans les couloirs des universités et empêcheraient les jeunes de s’épanouir alors qu’ils pourraient renouveler le domaine.

Planck avait sans doute raison, mais pas dans tous les cas. Il y en a au moins un dont on a envie de dire que c’est un cas d’école. Un professeur de médecine dans une université belge s’est fait éjecter de son laboratoire parce qu’atteint par une crise aigüe d’âge critique. Un aimable collègue, professeur d’une autre université belge, lui a proposé de le rejoindre dans son laboratoire, ce que le premier a accepté. Et le prix Nobel de Médecine a été décerné à la paire durant l’année qui a suivi le déménagement du premier. Mais il faut reconnaître qu’il n’y a quand même pas beaucoup de Prix Nobel, bien moins que ceux qui se font éjecter, donc le risque d’éjecter à tort reste très faible.
 
Je termine ce blog avec un petit pincement lié à un petit doute. C’est mon excellent ami A.E., mais néanmoins collègue, qui a attiré mon attention sur l’article d’Azoulay, Fons-Rosen et Graff Zivin (2015) qui aborde cette question. Dois-je le remercier, ou m’a-t-il fait un subtil et discret signe qu’il était temps que je dégage le plancher de mon bureau ?



(1) P. Azoulay, C. Fons-Rosen and J. Graff Zivin, Does science advance one funeral at a time?, NBER Working Paper Series 21788, December 2015. La phrase de Max Planck que je viens de citer figure en épigraphe de leur texte. Elle est tiré de l’ouvrage de Max Planck, Scientific Autobiography and Other Papers.

1 commentaire:

  1. tu restes à ta place et tu complexes pas: y'en a pas deux comme toi!

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