jeudi 17 mars 2016

Tabelle, gabelle et baballe, ou le prix du livre en Belgique

Victor Ginsburgh

La Commission Européenne essaie depuis des années de réduire les frais de roaming, c’est-à-dire des différences de prix des communications téléphoniques locales et à l’intérieur de l’Union Européenne. Aux dernières nouvelles, le 15 juin 2017, les prix des communications internationales seront égaux aux prix des communications nationales (1). Le Commission part aussi en guerre contre le géoblocage. Ce dernier rend impossible de voir certains programmes étrangers sur le web en Belgique. C’est notamment le cas pour l’émission Secrets d’Histoire de Stéphane Bern (2), qui est pourtant loin d’être érotique. Je parle de l’émission, pas de son présentateur.

Exemple de gabelle
Le Commission devrait, pour des raisons identiques, s’attaquer à une veille institution belge, appelée la tabelle, un joli mot — sûrement forgé sur gabelle, une taxe abhorrée levée sur le sel durant le Moyen-Age — qui permet de faire du fric gratuitement, en augmentant de 12 à 15% le prix des livres édités en France (y compris ceux des auteurs belges) lorsqu’ils sont vendus en Belgique. Il est vrai que quand cet instrument a été inventé durant les années 1970, il prétendait couvrir les droits de douane et les frais de change entre le franc français et belge, comme si la différence de change était toujours au désavantage des éditeurs français.

Entretemps, les droits de douane et le risque de change ont tous deux disparu depuis longtemps, mais la gabelle sur le livre continue d’être perçue par trois sociétés qui n’ont aucune raison si ce n’est d’avancer leur gamelle et d’attraper la baballe de la tabelle : Interforum Benelux (Pocket, Nathan et Le Robert), Dilibel, filiale de Hachette (Albin Michel, Le Livre de Poche, Larousse) et Nord-Sud (Jouvence, Economica, Présence Africaine) (3).  La plus importante de ces sociétés est Dilibel, une filiale de Hachette, qui distribue à peu près 50 à 60% des livres français en Belgique.


Voici la réponse sibylline faite par Le Monde à quelqu’un qui a récemment essayé d’acheter le numéro spécial sur Einstein édité par ledit journal, parce qu’elle ne le trouvait pas en Belgique :

« Votre demande nous est bien parvenue et nous vous en remercions. Malheureusement, il nous est impossible d'expédier nos produits (CD, livres d'art, DVD) à l'étranger en raison des droits d'auteur. Toutefois, si vous disposez d'une adresse en France métropolitaine, nous vous invitons à passer votre commande en utilisant cette adresse de livraison.

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Le Monde et ses publications ».

On peut se demander pourquoi l’Association des Editeurs Belges (ADEB) « particulièrement attentive à l’évolution du secteur [du livre] » (4) de même que le Service général des Lettres et du Livre (SGLL) de la Fédération Wallonie Bruxelles (5), « chargée de la promotion du livre, de la littérature, des auteurs, des éditeurs et des librairies » attendent qu’il n’y ait plus de librairies en Belgique, si ce n’est dans les supermarchés.

Achetez néanmoins le petit ouvrage de Paul Veyne, Palmyre dont la quatrième de couverture illustre mon article. De préférence chez amazon.fr, même s’ils ont fait souffrir mon ami Pierre.

[Une version légèrement différente de cet article a paru dans La Libre du 13 mars 2016.]

(2) Jean François Sacré, La Commission européenne part en guerre contre le géoblocage, L’Echo, 2 septembre 2015.
(3) Voir Pourquoi les livres sont plus chers en Begique, Le Vif, 5 mai 2015. http://www.levif.be/actualite/belgique/pourquoi-les-livres-sont-ils-plus-chers-en-belgique/article-normal-393393.html
(5) http://www.lettresetlivre.cfwb.be/index.php?id=sgll_missions

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