mardi 14 juin 2016

Nouvelle politique de la Banque Centrale Européenne. Mais merdRe où allons nous ?

Victor Ginsburgh

La Tour Penchée de la BCE à Francfort
Comme le note le quotidien espagnol Expansión (1), Mario Draghi le président de la Banque Centrale Européenne (BCE) a une nouvelle baballe avec laquelle il peut jouer : Acheter sur les marchés des obligations (peu liquides et pas très bien notées par les agences) des entreprises de la zone Euro. Et L’Echo ajoute que dès le début [mercredi 8 juin] la BCE a acheté des titres « non spéculatifs, mais presque » et a « plongé les mains dans le cambouis » (2).

Etant donné la taille des achats que la Banque peut se permettre (jusqu’à € 20 milliards par mois), ces achats vont évidemment réduire le taux des emprunts pour ces entreprises (et pour l’ensemble des entreprises). Ce qui n’a d’ailleurs pas manqué.

Qu’a donc acheté la BCE ? Je vous le donne en mille.


AB InBev: L'envol des impôts
Des obligations d’AB InBev, la brasserie dont font partie les bières Stella, Jupiler et pas mal d’autres, et dont le « AB » du nom provient de celui d’une brasserie américaine Anheuser-Busch achetée en 2008. AB InBev est aujourd’hui une multinationale belgo-brésilienne qui a ses quartiers généraux à Leuven (Belgique) et à Sao Paulo (Brésil). Elle possède des brasseries dans plus de 25 pays, occupe quelque 155.000 personnes, fait 25% du marché mondial de la bière et est dirigée à partir du Brésil par Carlos Brito ; son Président est le Hollandais Kees (le prénom d’un Hollandais sur deux) Storm. Elle réalise un bénéfice avant impôts et intérêts à payer (EBIT) de € 15 milliards, qui représentent à peu de chose près son bénéfice net, étant donné qu’elle s’arrange pour ne pas payer d’impôts du tout, en tout cas en Belgique. Si vous voulez savoir pourquoi, allez voir une article dans L’Echo, intitulé « Pourquoi AB Inbev ne paie pas d’impôt en Belgique » (3).

Les actions d’AB InBev sont en partie détenues par les familles les plus riches de Belgique, Spoelberch, de Mévius et Vandamme, liées par des mariages divers remontant aux années 1925 et dont la fortune familiale s’élève à quelque € 53 milliards (4), alors que le second belge le plus riche, Albert Frère, atteint minablement € 6,2 milliards (5) et la famille Colruyt vient en troisième position des fortunes belges avec € 3,7 milliards (6). Vous conviendrez avec moi qu’il s’agit là d’une distribution bien inégalitaire du patrimoine, non ?

Mais ceci nous éloigne de ce que fait le Président de la BCE en achetant des obligations d’AB InBev. Il acquiert des titres qui ont un rendement assez minable et un risque assez élevé d’une multinationale dont une bonne partie des capitaux se situent hors de l’Union Européenne et de la zone Euro (Etats-Unis et Brésil essentiellement) ; celle-ci réalise des bénéfices non négligeables et ne paie pas d’impôts en tout cas dans un des deux pays où elle a ses quartiers généraux.

Pour tous ces bienfaits, elle est récompensée puisque, si elle doit emprunter sur le marché des obligations, elle paiera, grâce à la BCE, un taux d’intérêt plus faible.

Vive l’Union Européenne, vive l’Euro, vive la BCE, vive AB InBev. Quelle chance nous avons de vivre dans un aussi bel environnement, où il n’y a pas de pauvres, sauf Albert Frère et Colruyt, pas de chômeurs, et pas des réfugiés mal accueillis.

[Merci A.E. de m’avoir donné une nouvelle baballe avec laquelle je peux jouer].



(1) El BCE inicia la compra des bonos de Telefónica, Pepsol, y Gas Natural, Expansión, 9 juin 2016.

(2) Philippe Galloy, La BCE devient créancière d’AB InBev, de Renault ou encore d’Engie, L’Echo, 9 juin 2016.

(3) Michel Lauwers, Pourquoi AB Inbev ne paie pas d’impôt en Belgique, L’Echo, 27 mai 2014.




(6) http://derijkstebelgen.be/vermogende/familie-colruyt/

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