mardi 20 juin 2017

Quelques réflexions sur les paradis fiscaux


 Pierre Pestieau

Optimisme béat.
Parmi mes collègues, spécialistes des finances publiques, j’entends souvent dire que les paradis fiscaux sont en voie de disparition suite aux récents accords initiés par l’OCDE. Les Etats procèderaient à des échanges d’information qui rendraient difficile, voire impossible, la fuite cachée des capitaux. C’est oublier que les institutions financières ont dans la fraude comme dans l’évasion fiscale un coup d’avance sur les Etats nations. Ainsi Gabriel Zucman (1) qui est sans doute le meilleur spécialiste des paradis fiscaux montre que les capitaux se sont déplacés des pays couverts par les traités vers les pays qui ne le sont pas, laissant le volume de la fuite des capitaux inchangé, si ce n’est augmenté.



Paradis ou enfer fiscal.
Que la fiscalité du travail soit lourde en Belgique et qu’elle soit en fait pour de nombreux contribuables un enfer fiscal est incontestable. Et pourtant, pour de nombreux analystes, la Belgique peut être considérée comme un paradis fiscal, du moins pour un certain public. Chaque paradis fiscal essaie de trouver sa propre niche. En Belgique, il y a une volonté affichée d’attirer des grandes entreprises et de grandes fortunes qui veulent ‘optimiser’ leurs feuilles d’impôt.

La première source d’attraction de la Belgique est son système d’intérêts notionnels, un mécanisme d’allègement fiscal dont l’objectif, lors de la création, était de permettre aux entreprises de se recapitaliser tout en encourageant les investissements. Certes l’impôt des sociétés en Belgique reste supérieur à la moyenne européenne : 26% contre 20% mais cela se fait au détriment de nos partenaires. Une seconde source est ce qu’on appelle les « excess profit rulings » qui permettent à une entreprise de profiter d’une exonération partielle de ses bénéfices excédentaires. La troisième source d’attractivité concerne les grandes fortunes qui bénéficient d’un traitement fiscal favorable des donations et des plus-values. En outre pour les contribuables français, la Belgique n’a pas d’imposition annuelle de la richesse (ISF).

Un monde meilleur ?
On peut se demander si les paradis fiscaux sont inhérents au capitalisme financier et mondialisé que nous connaissons. En d’autres termes peut-on imaginer que les acteurs de l’économie de marché puissent avoir des valeurs éthiques qui les amènent à ne pas cacher leurs transactions financières et de ce fait à payer l’impôt en vigueur sur leurs placements domestiques ou étrangers ? Théoriquement, une économie de marché peut fonctionner avec des agents respectant les règles fiscales ; on peut d’ailleurs penser que l’équilibre qui en résulterait serait socialement préférable à celui que l’on observe dans le monde réel. Dans la pratique, il est difficile d’imaginer qu’un agent économique dont le principal objectif est de maximiser son profit puisse ne pas recourir à des stratagèmes qui permettent d’augmenter ces mêmes profits. Les paradis fiscaux représentent un de ces stratagèmes.


(1) The End of Bank Secrecy? An Evaluation of the G20 Tax Haven Crackdown (with Niels Johannesen), American Economic Journal: Economic Policy, 2014, 6(1): 65-91.

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