dimanche 26 août 2018

A qui la faute de la fausse science ?
Victor Ginsburgh

Poisson d'avril
Le Monde du 20 juillet dernier (1) a lancé une « alerte au business de la fausse science » qui accuse des éditeurs de « pseudo-revues savantes [de publier] des milliers d’articles qui n’ont pas de valeur scientifique ». Je reçois presque tous les jours des emails de « directeurs » de revues m’expliquant qu’ils ont lu mon dernier article sur ceci ou cela et m’encouragent à leur soumettre un article de la même veine, qui sera « arbitré » (refereed en anglais) par des pairs et qu’ils se feront un plaisir de publier le plus rapidement possible [je me permets d’ajouter, quelle que soit la qualité de mon article]. Le plus amusant (et le plus scientifique aussi), c’est que la revue a vu une critique que j’ai faite d’un livre sur le vin, et me propose de lui envoyer un article qui n’a absolument rien à voir avec la chose. Comme ce sont des revues consultables gratuitement sur internet (open access), ils me chargeront bien entendu les frais de publication. D’autres m’invitent à coordonner un numéro spécial de leur revue. J’en donne deux exemples en annexe, et suis sûr que mes collègues en reçoivent tout autant.


Il suffit d’introduire sur Google les mots « list of fake scientific journals » pour tomber sur 2,95 millions d’entrées (en tout cas le 7 août 2018). La première entrée, la « Beall’s list of predatory journals and publishers » contient une liste de 2.425 maisons d’édition (2) et des revues telles que, l’American Journal, tout simplement (c’est con, personne n’y avait pensé avant eux), l’Advanced Science Research Journal, l’American Society of Registered Nurses, qui publie The Journal of Nursing, The Journal of Advanced Practice Nursing, The Chronicle of Nursing, American Nursing Review, Nursing Today, World News & Nursing Report, presque plus de revues qu’il n’y a d’infirmières dans toute la francophonie européenne.

On ne peut donc reprocher à personne de ne pas faire de la publicité négative concernant ce nouveau domaine commercial. Et on ne peut pas reprocher aux universités de demander aux chercheurs de publier, mais comme le dit Le Monde, les deux naviguent de conserve : « les titres prédateurs prospèrent sur l’injonction faite aux chercheurs de publier beaucoup ». Et même de vieux singes, comme ce professeur émérite de l’Université de Bordeaux, ex-directeur du département de médecine générale, racontent qu’ils se font piéger, comme le rapporte Le Monde.

Alors, ose-je dire, là cela ne va plus du tout. Je suis aussi professeur, mais seulement honoraire, et plus très jeune. Et même si je publie dans des revues qui ne sont pas toujours parmi les 10 ou 20 premières classées, j’essaie, et ne me contente pas de publier le résultat de mes « recherches » sur le site que les universités mettent, à tort, à notre disposition (3). Pourquoi à tort ? Parce que l’on y met tout et n’importe quoi, parfois (voire souvent) sans que le manuscrit ait été lu par quiconque d’autre que son producteur. On en est donc au même point que celui des revues bidon dont il est question plus haut, sauf que c’est gratuit, ce qui incite à écrire encore plus, et personne ne gagne, au contraire.

Il va de soi qu’il est dans l’intérêt de la société scientifique d’éviter de publier n’importe quoi. Et ce n’importe quoi naît évidemment dans les universités et les centres de recherche, en partie parce que « il faut publier ». En effet, il faut publier, parce que croire qu’en publiant moins on publiera mieux n’est pas prouvé. Bien au contraire. Il y a bien longtemps, De Solla Price (4), le créateur de la scientométrie, a montré que qualité et quantité des publications sont souvent liées. Linus Pauling, prix Nobel de chimie en 1954 et prix Nobel de la Paix en 1962 a publié 1.200 articles et livres, dont 850 sont scientifiques. Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie, en a plus de 1.000, et ses écrits sont cités 190.000 fois.

Mais, il est évident que les universitaires, professeurs et chercheurs seniors, doivent mettre en garde leurs étudiants et chercheurs juniors contre les revues qui ne valent rien et, de surcroît, chargent des frais de publication aux chercheurs ou aux institutions.

C’est d’ailleurs facile. Il existe dans chaque domaine des revues que tout chercheur senior connaît, soit parce qu’elle ou il en a une connaissance intuitive ou parce que des listes ont été établies par des organisations reconnues. Voir par exemple, le classement CNRS en sciences économiques et de gestion (5). Ni l’intuition ni les listes ne sont parfaites, mais au moins l’une comme les autres, voire les deux permettent d’éviter des catastrophes majeures sur lesquelles Le Monde attire notre attention.

Après tout, si les éditeurs de ces revues sont foireux, parce que seul l’argent les attire, les scientifiques devraient être sérieux et défendre la science. Sans quoi ils sont tout aussi foireux.

(1). Stéphane Foucart et David Larousserie, Alerte au business de la fausse science, Le Monde, 20 juillet 2018. Voir aussi Des centaines de chercheurs néerlandais victimes de la fausse science et ses revues bidon, RTBF, 8 août 2018 https://www.rtbf.be/info/societe/detail_des-centaines-de-chercheurs-neerlandais-victimes-de-la-fausse-science-et-ses-revues-bidons?id=9990663
(3). Voir par exemple le site https://orbi.uliege.be de l’Université de Liège, mais c’est le cas de bien d’autres aussi. Notons cependant que les universités font la différence entre documents publiés, et indiquent le nom de la revue, et documents non publiés. Il s’ensuit qu’il est possible de trier entre le probablement bon et le probablement pas très bon.
(4). Derek de Solla Price, Little Science Big Science, New York : Columbia University Press, 1963.

Annexe

Dear Victor Ginsburgh,

I have had an opportunity to read your paper “Book Reviews: MARK A. MATTHEWS: Terroir and Other Myths of Winegrowing. University of California Press, Oakland, 2016, 288 pp., ISBN 978-0-520-27695-6 (hardcover), $34.95.” published in The Journal of Wine Economics and believe that you are an expert in this field.

Economics, Law and Policy (ELP) focuses on scholarly research and practical experience of a wide range of research areas within the general field which covers, but is not limited to the following areas:
Economic Theory, Economic Philosophy, Economic Development, Law, and Economics, Legal History and Theory, Civil Law, International Law, Comparative Law, Public Law, Technology Law, Public and Social Policy, Education Policy, Environmental Policy, Monetary Policy, Language Policy, EU Policy, Science and Innovation Policy, Foreign Policy

We are calling for submission of papers.

1) Original Papers (within 3000-8000 words are better). Review Cycle: within 2-3 weeks.
2) Short Papers (Book Review, Study Protocol, Case Study, Short Communication, Short Research Report, etc. within 2000 words). Review Cycle: within 1 week.

Interested authors are strongly encouraged to submit their article online or send submissions to elp@scholink.org

If you are interested in the position of reviewing submissions, Please click the home page of Scholink: http:/www.scholink.org and download the application form in the block of “For reviewer”, fill in your information and send it to the editor: elp@scholink.org

For more questions, please contact me freely.

Thank you.

Best Regards,

Sophia Walker
Editorial Assistant, Economics, Law and Policy
Scholink
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Fax: (626)333-8885

Parfois c’est beaucoup plus court et direct comme le montre cet exemple plus chic, puisqu’au moins on s’adresse à moi comme “Dear Professor”.

Dear Professor,

On behalf of editorial team, we invite you to submit your articles for upcoming issue. Kindly submit your articles on or before 25th August 2018.

Best Regards,
Christiana Lawrence 
Journal Manager
Journal of Fine Arts



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