Je ne comprends plus…

Victor Ginsburgh

Il y a quelques années, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Russie, la France, la Chine (tous membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies) auxquels on ajoute l’Allemagne, signent un Traité de dénucléarisation avec l’Iran. Bien sûr, c’est l’Iran qui doit dénucléariser, et ceux qui font partie du Conseil de sécurité ont les engins qu’il faut. C’est de « bonne guerre », peut-on dire. Certaines sanctions imposées à l’Iran sont allégées, et les choses ont l’air de fonctionner pas trop mal. D’après l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), l’Iran tient sa parole. Israël et son clown prétendent que ce n’est pas vrai, on est habitué à cela, mais l’AIEA maintient son point de vue.

Arrive le Trompettiste. J’aurais préféré l’appeler Trumpeldor, dont les mots prononcés avant son dernier souffle sont « quoi qu’il en soit, il est bon de mourir pour la patrie » à quoi Brassens répond « oui, mais de mort lente ». Soit parce qu’il déteste Obama qui a réussi à faire écrire le Traité, soit parce qu’il déteste l’Iran, le Trompettiste se retire du Traité et non seulement impose des sanctions américaines contre l’Iran, mais s’arrange aussi pour empêcher l’importation de pétrole iranien en Europe et peut-être ailleurs, et freiner le commerce avec l’Iran. Et l’Europe n’arrive, comme souvent, à rien de bien grandiose.

L’Iran se remet (ou dit, ou on dit qu’il se remet) à ses bricolages nucléaires et autres, attaque un peu bêtement l’Ambassade américaine à Téhéran (heureusement sans faire de morts, et puis, de toute façon l’ambassadeur ne risquait rien puisqu’il était en goguette quelque part), mais reste bien entendu étouffé par les sanctions et essaie tant bien que mal de s’en sortir et manigance des choses pas toujours élégantes au Moyen-Orient. Mais quand on essaie de se dégager, on n’a pas toujours le choix. Bref, la situation finit par tourner très mal avec la mort du Général Qassim Suleimani, assassiné sous des prétextes que le Trompettiste n’a jamais clairement expliqués. Bien sûr ce Général iranien n’était sans doute pas très gentil, mais le Trompettiste et ses généraux ne le sont pas davantage. L’Iran réplique à l’assassinat, mais bien mollement puisque manifestement aucun militaire américain ne se promène dans la base militaire au moment du bombardement.

Le Trompettiste se venge, une fois de plus, en imposant des sanctions supplémentaires, ce qui n’étonnera personne, mais ce qui devient paradoxal, c’est que, « tout en voulant sauver l’accord » (?),  la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni s’y sont mis aussi ce 14 janvier en spécifiant « nous n’avions plus de choix, étant donné les actions iraniennes, sinon de dire nos préoccupations devant l’Iran qui ne respecte plus les engagements pris en signant le Traité » puisqu’ils ont repris leurs recherches nucléaires. Ce qui pourrait signifier qu’endéans les 15 prochains jours les Nations Unies pourraient imposer, elles aussi, des sanctions à l’Iran (1). Et bien entendu Netanyahou en rajoute avec une grande louche: « Nous savons exactement ce qu'il se passe dans le programme nucléaire iranien. Je le dis encore une fois: Israël ne permettra pas à l'Iran d'obtenir des armes nucléaires »(2).

Quant aux avions civils abattus « par erreur » et toujours par des militaires, en voici la liste depuis 1938 (3) :

24 août 1938 : Avion chinois (opéré par la Pan Am) abattu par les chasseurs japonais ; le pilote réussit à poser l’avion. Pas de morts, mais ils le seront, parce que les Japonais mitraillent l’avion posé au sol. 10 morts.

30 juin 1962 : Vol russe Aéroflot abattu par erreur en Sibérie. Bon, c’est entre eux, pas de problème. 84 morts.

11 septembre 1968 : Vol Air France abattu par un missile accidentel tiré par l’armée française. De nouveau, c’est entre nous. 95 morts.

21 février 1973 : Après avoir été repéré par Israël, l’avion de la Libyan Arab Airlines essaie de retourner en Egypte, mais les militaires israéliens estiment que l’appareil ne répond pas à leurs signaux. Bon, c’est possible, mais fait quand même plus de 100 morts.

27 juin 1980 : Le vol italien Itavia s’abîme en Méditerranée. Probablement descendu par les forces françaises, qui pensaient que c’était Khadafi. L’avion dans lequel il voyageait était proche du vol Itavia. 81 morts.

1 septembre 1983 : Vol Korean Air. L’avion dévie dans sa trajectoire vers une zone interdite russe. Abattu par un missile russe. 269 morts.

3 juillet 1988 : Vol Iran Air abattu par un croiseur américain qui confond l’Airbus avec un avion de chasse F15 iranien. Faut le faire et oser le dire. 290 morts.

4 octobre 2001 : Vol de Siberia Airlines abattu au-dessus de la mer Noire par l’armée ukrainienne, alors que les russes et les ukrainiens faisaient des exercices conjoints. 78 morts.

17 juillet 2014 : Vol Malaysia Airlines abattu au-dessus de l’Ukraine par un missile russe tiré depuis l’Ukraine par des séparatistes russes. 298 morts.

8 janvier 2020 Vol Ukraine International Airlines, abattu par erreur par les militaires iraniens. 176 morts. Le président iranien Rohani avoue que c’est « une grande tragédie et une erreur impardonnable ».

Ben oui, tout le monde peut se tromper.

(1). Steven Erlanger, France, Germany and UK serve notice on Iran under nuclear deal, The New York Times, January 14, 2020.
(2). Times of Israel Staff, Nucléaire: Netanyahou appelle à améliorer les sanctions contre l'Iran, The Times of Israel, 15 janvier 2020.

(3). Guerric Poncet, Russie, Etats-Unis, Israël, Iran : ces Etats qui ont abattu des avions civils, Le Point International, 14 janvier 2020.