mercredi 20 mai 2020

Masques et Belgamasques


Victor Ginsburgh

Je veux d’abord vous rappeler ce joli poème de Verlaine, qui a pour titre Clair de Lune, et parle de bergamasques dans un contexte un peu différent de celui que nous vivons aujourd’hui, lorsque nous parlons de masques. Bergamasque est un mot qui devrait nous faire songer à Bergame qui a été une des premières villes italiennes à souffrir du virus. Il faut savoir que la bergamasque est une chanson à danser paysanne de la région de Bergame. On pourrait la chanter et la danser, pour célébrer la danse des masques en Belgique et l’appeler la « belgamasque » en souvenir de ces fameux masques qu’on nous promet, et que nous ne recevons jamais et ne recevrons sans doute que lorsque la pandémie aura terminé ses dégâts en 2021, voire 2022. Et c’est très bien ainsi, puisque certains disent qu’ils ne servent à rien, alors que d’autres disent qu’il est interdit de s’aventurer dans une rue, sans masque. Mais nous sommes tous paniqués, et ces petites erreurs ne font que rajouter une ‘note mineure’ à notre panique, même si nous restons dans notre cave. Voici Verlaine, pour nous consoler un peu :


Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.


Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune
Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres

Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.

Au moins je vous aurai rappelé un poème que nous avions sans doute tous étudié au lycée, et oublié. Mais revenons à nos moutons.
Suis-je un métèque, un immigrant non autorisé (et ce depuis septembre 1957), un Juif mal léché, un bachi-bouzouk, pour qu’on me prive d’un masque payé par notre commune ? Des amis proches, qui habitent dans la même commune bruxelloise que moi ont été avertis qu’ils pouvaient aller chercher leur masque. Ce qu’ils ont fait. Moi je n’ai pas été averti. Il faut bien dire que la belgamasque a commencé bien avant cela. Cela vaut la peine de rappeler les grands pas de la danse, décrits dans un article du Vif (1) :
(a) 3 février : La Chine appelle à l’aide et plusieurs pays lui envoient des équipements, sans se douter de ce qui pourrait se passer plus tard.
(b) 5 mars : Le virus arrive lentement mais sûrement en Europe, ce à quoi, bien sûr, aucun pays, et la Belgique encore moins que les autres, n’avaient pensé. Des médecins inquiets demandent des masques buccaux et des lunettes. Où est passé notre stock de masques, palsambleu ? Comme vous le savez, la Princesse de la santé, Maggie Céline Louise De Block avait fait jeter le bloc, pardon, le stock de masques (trop vieux) sans les remplacer, une bonne mesure pour réduire les frais de santé.
(c) 6 mars : La belgamasque, aussi appelée le carnaval des fabricants, écrit Le Vif, se met en route : « Le marché des masques s’emballe. Pour les fabricants c’est belgamasque tous les jours » :  la Belgique envoie poliment des masques en Chine, tout en se disant, vive le pognon vite gagné.
(d) 15 mars : « Maggie prend le taureau par les cornes », écrit Le Vif, et lance un marché public. La Turquie se met en avant, promet d’envoyer 5 millions de masques, que la Belgique paie.
(e) 23 mars : La Belgique s’est fait rouler par la Turquie, et ceci « pourrait cacher un scandale politique », parce qu’un certain Mahmut Öz, membre du parti de Mme De Block, est dans la combine.
(f) 26 mars : Tout à coup, les politiques se mettent à danser la belgamasque : « il faut des centaines de millions de masques ».
Maggie en train de danser
(g) 30 mars : Les artisans belges se mettent à créer de masques, en dansant la belgamasque. Heureusement, parce que « Mme De Block et le ministre De Backer, président de la ‘taskforce shortages’, un autre mot pour désigner la belgamasque, expliquent « qu’une commande de millions de masque FFP2 [avec un nom pareil, ce ne pouvait qu’être des super-masques] a été annulée à cause d’un fournisseur peu scrupuleux.
(h) 31 mars : « 100.000 masques commandés par le gouvernement flamand s’avèrent inutilisables ».
(i) Maggie de Block qui avait inventé une variante de la belgamasque se fait tarabuster. Elle réplique par un « Pourtant je danse [en réalité, elle travaille] jour et nuit ».
(j) La région wallonne « a réussi à passer une commande de 19 millions de masques en Chine, grâce à ses relations privilégiées avec la province d’Hubei [où se situe Wuhan, dont un des citoyens avait composé la musique de la belgamasque] où se trouvent beaucoup de producteurs de masques ».
(k) Et ce n’est sûrement pas la fin.

Chantons et dansons la belgamasque, et fi ! Verlaine, qui avait fait une faute en remplaçant dans son poème la lettre « l » par un « r ».


(1) Olivier Mouton, L’hallucinante saga des masques ou deux mois d’errements coupables, Le Vif, 3 avril 2020. Les morceaux de phrase entourés de «  » proviennent généralement de l’article du Vif.



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