jeudi 11 mars 2021

Nos MRS sont-elles mortifères ?

Pierre Pestieau

La fraction des morts du covid-19 qui résidaient dans des maisons de repos et de soins (MRS en Belgique, EHPAD en France) varie nettement d’un pays à l’autre. Pour prendre quelques exemples en ordre décroissant, on a l’Australie (75%), la Belgique (61%), la France (46%) et l’Autriche (36%) (1). A quoi peut-on attribuer ces différences ? Deux catégories de facteurs viennent à l’esprit: les caractéristiques intrinsèques des résidents de MRS et celles des MRS. Il est clair que, si en Belgique, les ainés rejoignent les MRS en mauvaise santé, alors qu’en Autriche, il y vont plutôt parce que suite à un décès ou un autre événement familial, ils se retrouvent seuls et préfèrent vivre en communauté, on doit s’attendre à un taux de mortalité plus élevé dans le premier pays que dans le second. Autre explication, si les MRS autrichiennes sont mieux conçues (en équipement et en personnel) que leurs équivalentes belges pour accueillir des personnes de santé fragile, on aboutira au même résultat.

On ne dispose pas de bonnes données sur les caractéristiques des résidents et sur le côté plus ou moins mortifère des MRS pour expliquer les différences de mortalité covid dans celles-ci. En revanche, pour les années qui précèdent la pandémie, l’enquête SHARE nous livre de nombreuses informations sur les ainés qui habitent chez eux ou qui résident dans des MRS (2). Il est donc possible d’étudier le rôle respectif de ces deux catégories de facteurs, caractéristiques des résidents et fonctionnement des MRS. Plus précisément, ces informations devraient nous permettre de distinguer dans la mortalité naturellement plus élevée au sein des MRS que chez les ainés restant chez eux, ce qui est imputable à ces deux catégories.

Pour ce faire, on utilise une méthodologie statistique qui consiste à identifier un échantillon d’ainés qui ont choisi de rester chez eux mais qui ont les mêmes caractéristiques intrinsèques que les résidents de MRS. Ces caractéristiques concernent notamment l’état de santé, le degré de dépendance, l’âge, le sexe, le niveau de richesse et d’éducation. Dès que nous disposons de cet échantillon, il nous suffit de comparer son taux de mortalité avec celui qui prévaut dans les MRS. La différence entre le deux représente la mortalité qui est imputable à la manière dont les MRS sont conçues, organisées et gérées.

Les résultats de cette comparaison sont intéressants et peuvent contribuer à expliquer ce qui se passe aujourd’hui avec le covid-19. Dans l’ensemble des pays européens pour lesquels on disposait de suffisamment d’observations, on distingue trois groupes : les pays nordiques (Suède, Danemark, Autriche et Pays Bas), les  pays du sud (Italie et Espagne) et les pays centraux (Suisse, Allemagne, Luxembourg, France, Belgique et Tchéquie). Dans les deux premiers groupes, on n’observe pas de mortalité excédentaire dans les MRS, ce qui n’est pas le cas du troisième, celui des pays centraux.

Comment expliquer ces différence ? Les pays Nordiques sont ceux qui sont les plus généreux dans leurs dépenses publiques pour la dépendance. Cela pourrait expliquer pourquoi on y meurt moins dans les MRS.  Les pays du sud sont ceux qui au contraire dépensent le moins ; ils comptent moins de MRS et de surcroit ont une culture du « mourir chez soi, entouré des siens » qui peut biaiser la décision de rester chez soi ou d’habiter dans une MRS.

Il faut rappeler que ces premiers résultats concernent l’Europe d’avant le covid. On peut gager que dans les années à venir on pourra appliquer la même méthodologie pour étudier  la véritable surmortalité covid dans les MRS. Les comparaisons présentées tout au début sont en effet trompeuses puisqu’elles ne tiennent pas compte des caractéristiques intrinsèques des résidents.   On peut aussi souhaiter qu’il soit bientôt possible de distinguer entre les différentes MRS, celles qui sont publiques, privées et sans but lucratif.

Enfin, quelles leçons peut-on tirer de cet exercice ? Rappelons les deux grands facteurs de surmortalité dans les maisons de retraite. Il semble clair qu’il faille s’intéresser  aux seuls facteurs qui relèvent de la conception, de la gestion et de l’efficacité des MRS, C’est sur ces facteurs qui définissent la qualité d’une MRS que les reformes doivent porter. Une étude américaine récente montre que la qualité des MRS avait conduit à une mortalité plus faible au cours de la première vague de la pandémie (3). Les Américains disposent de données  d’enquêtes portant sur la qualité de leurs « nursing homes ». Ces données ne sont pas disponibles chez nous. Elles seraient diablement utiles. Il n’est pas acceptable de savoir que des MRS soient des mouroirs et de ne pas agir en conséquence.

(1) Comas-Herrera A, Zalakaín J, Lemmon E, Henderson D, Litwin C, Hsu AT, Schmidt AE, Arling G and Fernández J-L (2020) Mortality associated with COVID-19 in care homes: international evidence. Article in LTCcovid.org, International Long-Term Care Policy Network, CPEC-LSE, 14 October.
(2)
Flawinne, X., Lefebvre, M., Perelman, S., Pestieau, P. & Schoenmaeckers, (2021), Nursing Homes and Mortality in Europe: Uncertain Causality.
(3) Cronin, Ch. et W. Evans (2020), Nursing home quality, covid-19 deaths, and excess mortality,  NBERWorking Paper 28012.


2 commentaires:

  1. Si les Nord-Américains disposent de données d’enquêtes portant sur la qualité de leurs « nursing homes », c'est parce qu'ils sont socialisés à la transparence, à la performance, à l'excellence académique et à la concurrence. Ces données ne sont pas disponibles chez nous parce qu'en Belgique, nous sommes socialisés à l'opacité et à la culture du secret visant à cacher notre médiocrité et incompétence.

    Aux États-Unis, pour être infirmier/e en MRS, il faut poursuivre ses études de "Bachelor of Science in Nursing degree" (33 mois net - soit entre 4 et 5 années d'études académiques - pour un programme accéléré) vers un Master of Science in Nursing (MSN) spécialisé vers les soins infirmiers en gérontologie (minimum 18 mois net - soit encore 2 àtrois années académiques - pour le programme accéléré).




    On peut même faire un PhD en soins infirmier aux USA (j'ai pris ces infos sur le site de l'université de Rasmussen: https://www.rasmussen.edu/degrees/nursing/blog/how-long-is-nursing-school/

    En Belgique, on est infirmier/e patenté en 3,5 années académiques (voir sur https://www.cpsi.be/devenir-infirmiere-quelles-formations-quelles-passerelles-choisir). Ceci explique cela en plus des questions qu'on est en droit de se poser sur la qualité scientifique de la formation des infirmier.e.s en Belgique quand on considère la proportion de ceux/celles qui refusent de se faire vacciner en invoquant des délires métaphysiques.

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  2. L'investissement dans les maisons de repos peut être rentable et coté en bourse.
    Je voudrais dès lors qu'on m'explique comment concilier deux objectifs opposés : le but lucratif et le soin.
    Les personnes âgées, dépendantes et sans capacité de se défendre, sont des cibles toutes désignées pour la maltraitance, conséquence des économies réalisées sur ces deux postes très coûteux : le personnel et la nourriture.

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