jeudi 4 mars 2021

Deux grands « hommes » et beaucoup de petits « hommes » israéliens

Victor Ginsburgh

Heureusement tous les israéliens ne sont pas pareils. Voici deux grands personnages : Yeshayahou Leibowitz et Avraham Burg.

Yeshayahou Leibowitz (1903-1994) était philosophe, et docteur en biochimie. Il portait la kippah (calotte juive), était un Juif orthodoxe, mais n’était pas tout-à-fait convaincu que dieu existe. Il appelait « Discotel », le Kotel (Mur des Lamentations). Il défendait, avec virulence, la séparation de la religion et de l’Etat. Professeur à l’Université de Jérusalem, il a enseigné la chimie organique et la neurologie. Par la suite, il a été invité au département de philosophie où il a fait des conférences, dont l’une avait trait à l’autorisation donnée par le Président de la Cour Suprême israélienne de torturer des prisonniers palestiniens. Il va jusqu’à dire, avec grande violence « qu’Israël n’est plus une démocratie, les Israéliens sont devenus des Judéo-Nazis ». Prenez la peine d’écouter son interview sur l’usage de la torture en Israël (1), qui est en hébreu, mais il y a des sous-titres anglais. Voir

Avraham Burg (1955- ) a été Président de la Chambre (Knesset), président ad interim d’Israël et Président de l’Agence Juive, une organisation sioniste chargée de l’immigration des Juifs en Israël. Il est religieux et (c’est difficile de juger, étant donné ce qui suit) sioniste. Il porte évidemment la kippah. L’article (2), dont j’extrais ce qui suit, note « qu’aucune biographie ne peut être aussi sioniste et juive » que celle de Burg. 

Cet homme vient de demander qu’on élimine la mention de Juif sur sa carte d’identité (comme Arabe figure sur la carte d’identité d’un citoyen arabe d’Israël) et dans le registre de la population du Ministère des Affaires Intérieures.  Dans une déclaration sous serment qu’il a déposée à la Cour du district de Jérusalem, il explique qu’il ne se considère plus de nationalité « juive ». Il ajoute que « sa conscience ne lui permet plus d’être membre de la nation juive, parce que cela signifie qu’il appartient au groupe des maîtres auquel il ne peut plus s’identifier … En effet, en 2018 a été promulguée la loi qu’Israël « est l’état du peuple juif » uniquement. « Ce qui implique évidemment », continue-t-il, « qu’un citoyen non-juif qui vit en Israël devra souffrir d’un statut inférieur, exactement celui dont les Juifs ont pâti pendant des générations ».


Avraham Burg

On dira de chacun d’eux qu’il est un Mensch en allemand, qui pourrait être traduit en français par bon, qui a du caractère, qui est correct, digne, responsable et qui a le sens de la justice. Ou Tzadik en hébreu qui signifie quelqu’un(e) dont le mérite dépasse son iniquité.

On ne pourra pas dire cela des hommes et des femmes d’état en Israël, dont beaucoup sont petits-petits. Par exemple, parmi tant d’autres :

Ariel Sharon. En 1982, le général Sharon s’est fait connaître pour le massacre de réfugiés palestiniens dans le camp de Sabra et Shatila au Liban. Ce massacre a été perpétré par des phalangistes chrétiens libanais, autorisés à pénétrer dans ledit camp grâce à Sharon, qui a aimablement fermé les yeux. Voici un de ses arguments : « Nous n’avons pas envoyé les forces de [notre armée] dans les camps afin de préserver des vies humaines [celles des soldats israéliens]. Nous n’avons pas envoyé nos soldats, puisque d’autres qu’eux pouvaient réaliser cette opération… (3) ». Mais il suffit de patienter un peu : le Général Sharon deviendra premier ministre de 2001 à 2006.

En voici un autre, Yuli Edelstein, qui est actuellement Ministre de la Santé. Il explique qu’Israël n’a aucune obligation d’étendre le programme de vaccination contre le covid aux Arabes en Palestine occupée. En tout cas pas plus que l’obligation qu’aurait le Ministre palestinien de la Santé de se soucier des dauphins dans la Méditerranée (4). Il faut quand même beaucoup d’élégance pour parler ainsi.

(1) Voir https://www.youtube.com/watch?v=zM2fXTkjU2E, minute 8, mais prenez 10 minutes pour écouter le tout.
(2) Ravit Hecht, A scion of Zionist aristocracy wants to quit the Jewish people.
Will Israel let him?, Haaretz, December 31, 2020.
(3) Voir Amnon Kapeliouk, Sabra et Chatila, Enquête sur un massacre, Paris : Seuil, 1982, p. 58. Ce livre paru il y a bien longtemps, reste remarquable.
(4) Philip Weiss, Israeli health minister likens his obligation to vaccinate Palestinians to Palestinians’ responsibility to care for “dolphins in the Mediterranean”, Mondoweiss, January 24, 2021.




3 commentaires:

  1. J'ai récemment lu le très impressionnant "Rise and Kill First" de Ronen Bergman. Très détaillé et documenté, il explique comment la machine de self-défense d'Israel s'est progressivement transformée en une machine plus offensive, et comment Sharon a contourné les règles (entre autres celles de la morale) au fil des années.

    Merci pour votre blog,

    Micael

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  2. L'attitude d'A. Burg me fait penser au Ruanda, où l'appartenance à l'ethnie (Tutsi/Hutu) figurait sur les cartes d'identité et aux terribles évènements qui s'en sont suivis.
    Bernadette

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  3. Heureusement, comme le dit l'auteur de l'article, qu'en regardant les sondages, la quantité de petits israéliens est inférieure à celle des grand: 100% de la gauche et à peu près 35% de la droite israéliennes sont en faveur d'un État palestinien indépendant. De même, les résultats des élections rendent impossible pour nettanyahou de former un gouvernement sans faire l'inconcevable : s'allier avec l'extrême droite raciste créée par feu le rabbin Kahana.

    Burg n'est pas le seul à avoir caviarder le mot "juive" à côté de la mention "Nationalité" et à l'avoir remplacé par le mot "Israélienne". beaucoup de mes amis et moi-même l'avions déjà fait, depuis la moitié des années 70.

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