jeudi 13 mai 2021

Bancs publics

J’ai laissé la plume à un de mes amis, Daniel Vander Gucht, professeur à l’Université Libre de Bruxelles et éditeur de livres (1). Il écrit tellement mieux que moi mais me vole quand-même un blog que je voulais écrire au sujet des bancs publics. Je suis, comme lui, fatigué par les promenades, surtout quand les rues montent. Je cherche plutôt des rues qui descendent depuis ma maison jusqu’à ma maison, comme dans les dessins d’Escher. Mais ce n’est pas plus simple à trouver que des bancs publics. Voici son texte. V.G.

***

Les amoureux des bancs publics

Daniel Vander Gucht


Il y a quelques jours, l’homme d’intérieur qu’a fait de moi le télétravail obligatoire pour ma profession a entrepris une fantastique odyssée, sur le conseil impérieux de mes proches, qui craignent que mon exosquelette prenne la forme de mon divan : me rendre de mon domicile ucclois au Parvis de Saint-Gilles, à pied évidemment.

Maison typique uccloise
 
Maison typique de St Gilles : la prison
dans laquelle nous nous trouvons tous
les jours pour le moment

Au retour, pour éviter les montées trop raides, j’ai décidé d’emprunter un autre chemin qui me permette, tant que faire se peut, de regagner mes pénates en longeant les courbes de niveau qui me reliaient à mon adresse à l’aide de la carte topographique greffée à mon cortex cérébral.

C’est que les mesures d’altitude ne sont pas réservées aux ingénieurs et aux pompiers et ne servent pas qu’au calcul des risques d’inondation, à la construction de routes et de ponts, aux prévisions météo ou encore à la circulation aérienne mais elles permettent aux piétons lancés dans la circulation urbaine d’économiser leurs forces et de profiter du paysage sans avoir la sensation de gravir le mont Ventoux car, à partir d’un âge certain (et d’un poids tout aussi assuré), le seul col qui importe est celui du fémur.

Ce que je voulais vraiment dire, c’est que j’ai été totalement scandalisé de constater que durant tout mon périple à travers les rues de Saint-Gilles, de Forest et d’Uccle, je n’ai pas croisé un seul banc public où j’aurais pu m’assoir et reprendre mes forces un instant. Pas un seul !

Les endroits où j’ai pu poser mes fesses auront été un arrêt de bus, un rebord de fenêtre et un arceau en métal pour parquer les vélos. Les bancs publics font pourtant bien partie du mobilier urbain que je sache. Et comment font les personnes âgées ou les femmes enceintes, les « impotents et les ventripotents » qu’évoque Georges Brassens dans sa chanson ? Est-ce vraiment pour éviter de croiser des amoureux qui s’y bécotent ou des malheureux sans toit ni abri qui s’y reposent ? Est-ce pour cacher cette misère et chasser ces inciviques qui osent encore s’assoir sur les bancs publics que l’on traite les flâneurs et les moins valides comme des nuisibles ? 

Amoureux qui se bécotent sur les bancs publics

Franchement c’est honteux et cela me révolte. Et puisque nos édiles se donnent tant de mal pour « humaniser la ville », qu’ils commencent par offrir à leurs concitoyens des bancs agréables et généreux qui nous redonnent le goût d’observer et de jouir du spectacle de la vie urbaine qui fait tout son charme plutôt que de les obliger à courir d’un point à un autre sans possibilité de s’arrêter un instant et de profiter de la vie.

À moins que cela aussi nous soit désormais interdit ? 


(1) Editions La Lettre Volée, http://www.lettrevolee.com/spip.php

 


5 commentaires:

  1. Un des meubles les plus ignobles que je connaisse (pire que l'absence voulue des bancs publics), c'est cette forme hypocrite de banquette dessinée pour que l'on puisse y poser ses fesses un moment (tout en se retenant de glisser), mais en aucun cas s'y coucher. Ce meuble, que l'on trouve notamment dans les gares et les stations de métro, est l'emblème de l'exclusion des sans-logis, et la manifestation la plus criante de l'apartheid qui s'infiltre dans nos habitudes urbaines.

    RépondreSupprimer
  2. Mon ravissement a été profond à la lecture du billet de Daniel décrivant son chemin et la montée de sa colère. Mais au fur et à mesure de ma lecture un doute m’est venu : ma mémoire me ferait-elle défaut ? Ou mes promenades sont-elles si différentes ? Ou encore sont-ce mes angles de vue ? Et je me suis décidé à entreprendre une promenade similaire. Parti de ma Place Constantin Meunier (Forest, neuf bancs publics), je retrouvai six sièges publics dès le deuxième carrefour (Berkendael-Rodenbach). Puis deux bancs publics, face à la prison de Saint-Gilles, et quatre ou cinq encore Place Van Meenen. A la Porte de Hal une bonne quinzaine de bancs publics et puis encore quelques-uns Place de la Chapelle et Place de la Vieille Halle aux Blés. Au retour j’ai vaillamment remonté le parc Pierre Paulus et me suis mis à rêver sur un de ses nombreux bancs publics, avant de ne pas compter ceux de la Place Morichar.

    Nos édiles méritent parfois, souvent même peut-être, des reproches. Mais gardons-nous prudemment de reproches infondés. Pour les bancs publics . . . comme pour la gestion de la crise sanitaire.

    RépondreSupprimer
  3. Daniel Vander Gucht21 mai 2021 à 10:21

    Nous n'avons en effet pas fait le même parcours mais je peux certifier que de l'avenue Coghen puis la chaussée d'Alsemberg et la chaussée de Waterloo, jusqu'au Centre culturel Jacques Franck puis en remontant et en bifurquant par l'avenue Albert puis la rue Vanderkinderen jusqu'à mon retour avenue Coghen, je n'ai pas rencontré un seul banc public. Ce qui ne signifie évidemment pas qu'il n'y en ait pas dans les environs et, pour avoir résidé moi-même place Constantin Meunier et avant cela rue de la Victoire, près de la place Morichar, je connais bien ces bancs (généralement dans les parcs ou les places, pas forcément dans les grands axes ou les petites rues, ceci dit). Et peut-être d'autres communes sont-elles encore mieux loties de ce point de vue, j'avoue n'avoir pas fait d'enquête au-delà de ma promenade occasionnelle, mon petit mot d'humeur destiné à quelques amis, que Victor a souhaité partagé sur son blog, n'ayant pas vocation de lettre ouverte à nos édiles. Il n'en reste pas moins que la politique de la ville n'a pas toujours été des plus "urbaines" des dernières années en supprimant nombre de ces bancs de peur de les voir "squattés" par des clochards et des SDF — voire en concevant des bancs qui empêchaient qu'on puisse s'y allonger! Et je me suis réjoui d'apprendre, quelques jours après avoir publié cette tirade sur facebook, que l'échevine des sports et de la jeunesse d'Uccle venait de réclamer à son tour à la commune plus de bancs dans l'espace public afin renforcer la convivialité, le confort des piétons et l'agrément des flâneurs — et je l'en ai félicité, comme il se doit.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le constat de Daniel est bien exact en particulier pour les grands axes qui ont perdu leurs bancs (trottoirs plus étroits pour permettre des places de stationnement voir des pistes cyclables ou voies réservées pour le transport collectif). Mais de mes fréquentes et longues balades dans Bruxelles j’ai appris que la ville était pleines de petits parcs, squares et autres recoins aux bancs publics. C’est pourquoi mes promenades évitent la plupart du temps les grands axes.

      Supprimer
  4. Merci pour cette belle indignation ! Triste consolation, il y a pire que l'absence de bancs publics, ce sont les bancs anti-SDF de la STIB.

    RépondreSupprimer