jeudi 20 mai 2021

Pour une taxation ponctuelle de la richesse

Pierre Pestieau

 

La crise sanitaire accentue fortement les inégalités. Quelques chiffres permettent d’en prendre la mesure : la fortune des 43 milliardaires français a progressé de 2 % en 2020 et les dix personnalités les plus riches du monde se seraient même enrichies de 540 milliards de dollars en 2000. Sans prendre de cas aussi extrêmes, en Belgique, l’épargne des classes moyennes supérieures a bondi à 20,7% du revenu disponible en 2020 alors qu‘elle s'élevait à 13,0% en 2019. Tout à la fois, une fraction de la population a vu son pouvoir d’achat tomber en dessous du seuil de pauvreté. En clair, il y a des (grands) perdants et des (grands) gagnants. Les révélations récentes de l’Open Lux ont confirmé cette concentration de la richesse et ses mécanismes.

Dans des travaux récents (1), j’ai indiqué mes réticences vis-à-vis de l’instauration d’une taxe sur le patrimoine. Non pas que je ne veuille pas lutter contre la concentration de richesse qui ne cesse de croître et conduit à des inégalités injustifiables, mais nous disposons déjà d’un arsenal bien suffisant avec la taxation des revenus du capital et les droits de succession. Il vaut mieux améliorer la perception de ces deux impôts que d’en introduire un troisième qui ne serait pas mieux administré.

Il peut cependant exister une exception à cette conclusion. On peut en effet défendre l’idée d’un impôt ponctuel sur la fortune lorsque des circonstances particulières, telles qu’une guerre ou une pandémie, conduisent à un changement radical dans la répartition des revenus et de la richesse. Pour être plus précis, un certain nombre d'économistes ont prôné une telle taxe suite à la montée du Covid-19 (2). Il semble en effet que le ‘lockdown’ imposé par la pandémie a accru les inégalités économiques en mettant à l'abri les rentiers et ceux dont les revenus sont protégés et en pénalisant les travailleurs indépendants et non qualifiés. Une telle taxe qui ne serait imposée qu’une seule fois devrait être suffisamment importante pour financer une partie des énormes déficits causés par la pandémie. Son principal avantage serait d’atteindre les plus-values effectives, et pas uniquement réalisées, et d'éviter la plupart des effets dissuasifs des impôts dans la mesure où celui-ci serait ponctuel et non anticipé.  Ce serait équitable sur le plan intergénérationnel car il toucherait principalement les personnes qui n’ont pas souffert des pandémies. Parmi celles-ci, on compte beaucoup de personnes âgées qui détiennent une partie de la richesse nationale et qui bénéficient de revenus que la pandémie n’a pas affectés.

Divers pays ont utilisé un tel impôt ponctuel à la suite de guerres tant pour en couvrir les coûts que pour taxer ceux qui se sont indûment enrichis. Fin 2020, l'Argentine a adopté un impôt sur la fortune qui conduira à un tel prélèvement alors que le gouvernement tente d'augmenter les revenus durement touchés par la pandémie de Covid-19 (3). Ironiquement, il y a vingt ans, dans un plan visant à effacer la dette nationale et à renforcer ses ambitions présidentielles, Donald Trump a proposé une taxe unique de 14,25% sur le patrimoine des ménages américains. Tout récemment, une étude officielle du gouvernement britannique en défendait l’idée.

Les économistes sont, pour dire le moins, tièdes face a cette proposition. Plusieurs raisons à cela. D’abord, beaucoup d’entre eux seraient pénalisés par une telle taxe. Ils redoutent en outre que l’État décide de pérenniser cette proposition en reniant son engagement. Enfin, ils trouvent moins douloureux de recourir à l’emprunt qui paraît indolore en ces temps de taux d’intérêt nuls.

Pas de commentaire sur la première raison. Quant à la seconde, elle se comprend et il importe d’être prudent dans la formulation de la proposition. La dernière est trompeuse à moins de rembourser rapidement les emprunts. Viendra un jour ou les taux d’intérêt augmenteront et le risque de se trouver coincé dans un effet boule de neige cauchemardesque est réel.

 

(1). Boadway, R. et  P. Pestieau (2021), “An Annual Wealth Tax? Not Such a Good Idea”, à paraitre dans FinanzArchiv.

(2). Landais, C., E. Saez and G. Zucman (2020), “A Progressive European Wealth Tax to Fund the European COVID Response,” https://voxeu.org/article/progressive-european-wealthtax-fund-european-covid-response

Advani, A., E. Chamberlain et A. Summers (2020), A wealth tax for the UK, Wealth Tax Commission Final Report   https://www.ukwealth.tax

(3). La Bolivie a aussi mis en place une taxe sur la richesse non-reconductible

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