jeudi 9 décembre 2021

Faut-il une économie de guerre pour améliorer notre bien-être ?

Pierre Pestieau

 

Il est frappant de voir à quel point la société américaine bénéficie de l’économie de guerre. En d’autres termes, les situations de guerre semblent conduire les américains à des avancées qui seront utiles en cas de retour à la paix.

Quelques exemples illustrent ce propos. Après la guerre du Vietnam qui causa la mort de plus de cinquante mille jeunes américains mais aussi de nombreux blessés avec des handicaps physiques et mentaux de tout genre, le gouvernement fédéral obligea toutes nouvelles constructions privées et publiques à adopter des installations permettant l’accès de personnes handicapées : ascenseurs, rampes, indications en braille, … En Belgique, 90% des bâtiments publics ne sont pas accessibles aux chaises roulantes. 

Pendant la seconde guerre mondiale, le Congrès instaura un vaste programme de crèches avec le but de permettre à davantage de femmes de travailler dans les usines qui manquaient cruellement de main d’œuvre. Cette initiative se termina en eau de boudin dès que les républicains revinrent au pouvoir.

L’utilisation généralisée de la pénicilline pendant la seconde guerre mondiale a conduit à des progrès considérable dans la capacité thérapeutique de cet antibiotique. Sans cette guerre, il aurait certainement fallu attendre avant que de tels progrès ne soient réalisés.

A plusieurs reprises, les besoins de réarmement des présidents républicains ont permis de relancer une économie en récession et de retourner au plein emploi avec réduction de la violence et de la pauvreté. Reagan a parfois été qualifié de président keynésien « malgré lui ». 

Tout récemment, les États Unis ont démontré leur capacité à résoudre des problèmes jugés ailleurs insurmontables. Ce fut le cas à l’occasion de la récente pandémie, que les Américains abordèrent comme une guerre, comme ils l’avaient fait cinquante ans plus tôt en envoyant les premiers hommes sur la lune. Par l’entremise de la fameuse agence DARPA (1), ils mirent le paquet pour que le plus rapidement possible un vaccin soit trouvé et ce fut le cas. En donnant les moyens aux entreprises pharmaceutiques et en les mettant en concurrence, ils ont réussi à placer sur le marché deux vaccins qui firent rapidement leurs preuves. 

On notera que cette économie de guerre réussît beaucoup mieux aux Américains que les guerres qu’ils conduisent depuis 50 ans. Que faut-il en conclure pour nous Européens ? Simplement souhaiter que sans entrer en guerre nous puissions, lorsqu’un problème majeur se présente, mobiliser toutes les énergies des 27 États membres pour lui trouver une solution. 

Dans un ouvrage récent, Philippe Aghion et ses coauteurs (2) abondent dans ce sens. Ils montrent qu’à des époques différentes, la France et le Japon ont amélioré leur système éducatif à la faveur d’une rivalité militaire. Pour eux, la sécurité sociale française telle qu’elle existe aujourd’hui n’aurait pas vu le jour sans la seconde guerre mondiale. 

 

(1). Cette agence (Defense Advanced Research Projects Agency), fondée en 1958, relève du Département de la Défense des États-Unis et est chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire.
(2). Aghion, Ph., C. Antonin et S. Bunel, Le pouvoir de la destruction créative, Odile Jacob, 2021.

2 commentaires:

  1. Mobiliser toutes les énergies des 27 États membres pour trouver une solution?

    A mon sens, c'est totalement utopique.

    Le projet Galileo n'était-il pas sensé aboutir il y a à peu près 10 ans?

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  2. Merci Pierre, voilà qui est évidemment interpellant sur l’intelligence humaine. Devoir dire « vive la crise » est déjà une défaite de l’esprit, a fortiori s’agissant d’un « merci la guerre ».
    De manière plus pacifique on trouve le « vive la surchauffe » de Stiglitz et de Brainard, vantant les vertus de celle-ci en termes d’intégration des minorités sur le marché du travail et de hausse relative des bas salaires, plus sensibles à la conjoncture.

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