jeudi 6 octobre 2022

A la poursuite du bien commun

Pierre Pestieau

Les économistes soucieux de la chose publique sont sûrement soucieux que leurs travaux influencent le décideur public et contribuent ainsi au bien commun. Pour s’en assurer, il suffit de voir dans quelle mesure leurs recommandations se traduisent dans les politiques que mènent les gouvernements. Dans les domaines que je connais relativement bien, celui de la fiscalité et de la protection sociale, le bilan est plutôt mitigé.

Deux remarques avant de poursuivre. Je ne parle pas ici des rapports que les gouvernements commandent à diverses sociétés de consultance, dont le représentant le plus emblématique est McKinsey. On sait que les études émanant de ces sociétés ont le plus souvent pour but de justifier ce que le gouvernement compte faire et non d’indiquer ce qu’il devrait faire. Ensuite, il est clair que le bien commun est un concept assez flou. Le bien commun de Jean Tirole (1) n’est pas celui de Michael Sandel (2), dont la version originale de la « Tyrannie du Mérite » a pour sous-titre : « Qu’est devenu le bien commun ? ». Le bien commun de Jean Tirole repose sur une organisation efficiente et équitable d’une société qui récompenserait le mérite. En revanche, Sandel défend l’idée que la méritocratie conduit à un mélange de colère et de frustration qui conduisent aux votes populistes et à la polarisation extrême.

Dans un blog précèdent, j’ai montré que les rapports sur la réforme fiscale établis par les meilleurs spécialistes du domaine sont restés lettre morte. De nombreux économistes recommandent l’adoption d’une cinquième branche de la sécurité sociale pour couvrir les besoins croissants de couverture de la dépendance. Là aussi, on ne voir guère d’avancée.

Dans le domaine des retraites, en France comme en Belgique, on a pu lire une série de rapports dont le fameux livre blanc de Michel Rocard. Et pourtant la grande réforme annoncée se fait toujours attendre dans l’un et l’autre pays. Ceci dit, il demeure que grâce à une série de réformettes l’âge effectif de départ à la retraite a été relevé garantissant une certaine pérennité au système. Ces réformettes résultent vraisemblablement de la percolation d’idées rabâchées dans ces rapports. C’est sans doute par ce processus de percolation que les rapports d’experts trouvent parfois un écho.

A qui la faute ? Certainement au manque de courage et de vision de nos dirigeants. Mais aussi à la manière dont ces rapports sont rédigés, avec un ton technocratique et paternaliste du type : faites-nous confiance, on ne vous veut que du bien. C’est apparu nettement lors de l’épisode des gilets jaunes dont le mouvement a été déclenché par l’introduction de la taxe carbone. Cette taxe, tous les experts l’appellent de leurs vœux. Alors que les changements climatiques font des dégâts de plus en plus néfastes, les émissions de carbone ne cessent d’augmenter. Clairement, lorsque cette taxe a été introduite en France, il aurait fallu l’expliquer mieux et la préparer mieux. Jean Tirole en est un fervent défenseur au nom du bien commun. En revanche Michael Sanders (3) est plus réservé. Il est particulièrement critique du marché des droits d’émission de carbone et plus généralement des droits à polluer.

Il doute de l’efficacité de ce marché et il le compare à la pratique médiévale de l'Église catholique romaine consistant à permettre aux individus de payer pour réduire la punition d'un péché.



(1). Jean Tirole, Économie du Bien Commun,  PUF, 2016.
(2). Michael Sandel, La Tyrannie du Mérite, Albin Michel, 2021.
(3). https://www.bbc.com/news/magazine-36900260

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