jeudi 20 mars 2025

Finance, je te hais (1)

Pierre Pestieau

Depuis toujours, la gauche au pouvoir entretient des relations ambivalentes avec le monde de l'argent et de la finance. Officiellement hostile, elle se montre pourtant souvent accommodante dans ses pratiques. Les déclarations des deux derniers présidents de gauche illustrent bien cette dualité.

Lors du Congrès d’Épinay (11-13 juin 1971), François Mitterrand dénonçait violemment l’influence de l’argent : « L’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui ruine, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes. » Plus de quarante ans plus tard, François Hollande reprenait cette rhétorique en affirmant : « Mon ennemi, c’est la finance. »



Mais d’où vient cette aversion, si largement partagée, notamment en période de crise ? Dès que les marchés vacillent, la finance est désignée coupable des inégalités, des bulles spéculatives et des licenciements massifs.

La finance suscite à la fois admiration et crainte. Son rôle est fondamental : sans elle, il n’y aurait ni épargne, ni investissement. Ce qui est rejeté, ce sont ses excès. Plusieurs facteurs expliquent cette défiance : son opacité, son rôle dans l’accroissement des inégalités, son instabilité chronique et son éthique souvent contestée.

Le monde financier est perçu comme complexe et impénétrable. Nombreux sont ceux qui estiment que son jargon technique masque des pratiques opaques, rendant le système incompréhensible pour le citoyen moyen. Même les économistes peinent parfois à expliquer comment la Bourse peut prospérer alors que l’économie réelle est en récession.

Les grandes institutions financières et leurs dirigeants engrangent des profits colossaux tandis que la majorité de la population lutte pour maintenir son niveau de vie. Cette asymétrie alimente un profond sentiment d’injustice, exacerbé par des situations où des banques sont renflouées avec des fonds publics tandis que les citoyens doivent subir des politiques d’austérité. Il est difficilement acceptable de voir de jeunes diplômés décrocher des contrats à Wall Street leur garantissant une revenu à 7 chiffres  et une retraite dorée dès 50 ans, tandis que d’autres peinent à trouver un emploi stable.

La finance est également responsable de crises majeures, dont celle de 2008, qui a causé faillites, chômage et pertes massives d’épargne. Beaucoup accusent les financiers d’avoir pris des risques excessifs sans jamais en assumer les conséquences, laissant les citoyens ordinaires payer la facture. Dans la mesure où elle soutient sans réserves la croissance, la finance est aussi associée au dérèglement climatique

Les grandes entreprises et les banques usent souvent de montages financiers complexes pour minimiser leur charge fiscale, suscitant l’indignation des contribuables ordinaires, contraints de s’acquitter de leurs impôts sans échappatoire. Scandales après scandales, la confiance envers le secteur financier s’érode, renforçant la perception d’un monde régi par la cupidité.

En conclusion, la finance est perçue comme un acteur avide, opaque et excessivement puissant, servant avant tout une élite au détriment du reste de la société. Des tentatives existent pour encadrer et moraliser ce secteur, notamment avec les fonds d’investissement éthiques et des régulations plus strictes. Cependant, leur efficacité reste encore limitée. Le défi majeur est donc de concilier un système financier performant avec des règles garantissant une répartition plus équitable des richesses et une responsabilité accrue des acteurs économiques. Faut pas rêver.



(1). En référence a Gide et son « Familles, je vous hais »


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