vendredi 11 novembre 2011

Perception et réalité

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Pierre Pestieau

Lors d’un récent voyage en Colombie (1), j’ai recueilli des impressions très contrastées. D’abord, un sentiment de sécurité amplifié par les propos de mes amis colombiens sur le rôle de l’ancien président Uribe, un autocrate dont le mérite aurait été d’avoir réduit la violence, et le sentiment qu’avec la drogue, la violence se serait déplacée de la Colombie au Mexique. Au cours de mon séjour, je reconnais que je ne me suis jamais senti en danger; il est vrai que j’étais toujours accompagné. A côté ou plutôt avec la violence, on ne peut qu’être frappé par la prégnance de la drogue. Vous voyez une rutilante BMW avec chauffeur et vitres teintées. C’est la drogue. Un restaurant dont les tarifs donneraient envie à des établissements étoilés ne peut être fréquenté que par les narcotrafiquants. Un nouvel hôtel 5 étoiles ne peut que sentir la coca.

Qu’en est-il en réalité ? La Colombie est-elle violente ? D'après un récent rapport intitulé Fardeau mondial de la violence armée (2), il apparaît que la plupart des pays touchés par les morts violentes ne sont pas en guerre. Le Salvador, avec plus de 60 morts pour 100.000 habitants, détient la palme. Il est suivi par l'Irak, la Jamaïque, le Honduras, la Colombie, le Venezuela, le Guatemala et le Brésil. Le Mexique n’appartient pas au peloton de tête avec un taux national de 18,4 morts violentes pour 100.000 habitants, mais un taux de 170,4 à Ciudad Juarez, soit 20 fois le taux mondial (3). Le rapport révèle que l'Amérique latine est la région la plus violente au monde. La violence fait des ravages particulièrement dans six pays (Salvador, Honduras, Colombie, Venezuela, Guatemala et Belize). Il existe un lien entre le niveau d'homicides dans la population, le sous-développement, les inégalités de revenus et la faiblesse de l'Etat de droit. Mais cela ne suffit pas, sinon l’Afrique serait le continent le plus violent. L’histoire et les traditions jouent donc aussi un rôle important.

Et la drogue ? Voilà près de 30 ans que la Colombie est perçue comme le « pays de la drogue ». Le pays est à la fois le premier producteur et raffineur mondial de coca (4), et le premier exportateur de cocaïne. L’économie de la drogue pose le problème du narcotrafic illégal, et celui d’un Etat légal qui lutte contre ce commerce. Elle résulte d’un mélange complexe de questions politiques, économiques, sociales, environnementales, juridiques, géopolitiques, etc. De plus, elle s'inscrit dans le cadre d’un pays victime de nombreuses tensions internes (conflit, faiblesse de l'Etat vis-à-vis des contrôles territoriaux, contre-pouvoirs internes etc.). Ceci étant, on a parfois l’impression que la drogue a bon dos et qu’on lui impute une importance qu’elle n’a pas nécessairement. Quelle est l’importance de la drogue dans l’économie colombienne? En interrogeant plusieurs économistes, je suis arrivé à une fourchette de 3-5% du PIB. Ce qui est beaucoup et peu. Trop peu en tout cas pour en voir la présence à tous les coins de rue.


(1) Pays passionnant et attachant que m’a fait aimer il y a près de cinquante ans mon ami Bernardo Garcia auquel je dédie ce blog. C’était dans la Casa Colombiana, sise Muntstraat à Leuven. Bernardo est depuis ce temps resté fidèle à ses convictions et à ses engagements. C’est assez rare pour être souligné.

(2) http://www.genevadeclaration.org/fileadmin/docs/GBAV2/GBAV2011-Ex-summary-FRE.pdf

(3) Ce qui montre qu’ici plus qu’ailleurs, il faut se méfier des moyennes nationales.

(4) Le Pérou lui disputerait le titre pour la culture et le Mexique pour le raffinage.

vendredi 4 novembre 2011

Le meilleur économiste

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Pierre Pestieau

Etant moi-même économiste, je parlerai d’économie. Mais mon propos qui porte sur l’excellence et la réputation peut s’appliquer à toute discipline scientifique ou artistique, voire sportive, encore que dans le sport l’excellence est plus aisément quantifiable. On a beaucoup glosé à propos de Giscard d’Estaing lorsqu’il qualifia en 1976 Raymond Barre de “meilleur économiste de France”. A cette époque, des économistes comme Gérard Debreu, Marcel Boiteux ou Maurice Allais étaient certainement scientifiquement meilleurs que celui qui devait succéder à Chirac comme premier ministre. Récemment un ami proposait à des éditeurs parisiens un projet de livre dont il aurait dirigé la publication. On lui répondit que pour que l’idée soit intéressante il faudrait un directeur de publication davantage réputé, tel que Jacques Attali ou Alain Minc. Ici aussi sur le plan scientifique ni l’un ni l’autre de ces auteurs par ailleurs prolixes et introduits ne font le poids.

L’écart entre excellence et réputation se manifeste tout particulièrement dans le milieu intellectuel français à propos des philosophes. Les philosophes médiatiques qui ont nom BHL, Badiou ou Finkelkraut voire Onfray sont souvent regardés de haut et sans doute jalousés par les philosophes universitaires qui leur trouvent plus de bagout que d’originalité.

Mais pourquoi cet écart ? Il est en grande partie dû à l’inaccessibilité du message du scientifique universitaire. Cette inaccessibilité est souvent inévitable. Elle est intrinsèque à la plupart des recherches. Toute recherche réclame des traducteurs, des vulgarisateurs. Je préfère utiliser le terme de passeurs d’idées, des gens qui réussissent à mettre à la portée du grand public les résultats de travaux à priori hermétiques.

D’une certaine manière, les auteurs cités ci-dessus ont parfois pu jouer ce rôle. Raymond Barre a parfois su expliquer l’économie à ses étudiants puis à la France entière avec clarté et rigueur. Attali et Minc ont, quand ils s’y appliquaient, pu rendre certaines problématiques économiques compréhensibles. Il demeure que les bons passeurs d’idées sont rares dans le monde francophone. Par comparaison, dans le monde anglophone, il en existe d’excellents qui le sont devenus après avoir été d’excellents scientifiques. On songe notamment à Paul Krugman et à Jo Stiglitz. Plus à droite, on peut citer Gary Becker et Marty Feldstein (1). Une raison pour cette rareté est sans doute que le débat est encore dominé par ce que l’on qualifie parfois d’hétérodoxie, une pensée unique qui s’inscrit dans les traditions marxiste et institutionnelle. Cette pensée rejette l’économie orthodoxe que récompense régulièrement le Comité Nobel. Autre raison, la taille du marché.

Une note d’optimisme cependant. Depuis quelques années, des économistes comme Daniel Cohen, Thomas Piketty, Thomas Philippon, Esther Duflo publient des livres ‘grand public’ d’excellente facture et occupent une tribune mensuelle dans certains quotidiens français (2).

(1) Citons l’excellent blog ‘chicagolais’ de Gary Becker et Richard Posner : http://www.becker-posner-blog.com/. Ce blog a entraine la création de http://www.anti-becker-posner.blogspot.com/.

(2) Par exemple, le mardi dans Libération.

Le cours de l’euro diminue ? Vive l’euro

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Domenico Giannone et Victor Ginsburgh

Entre le 4 mai et le 23 septembre 2011 l’euro est passé de 1,48 à 1,34 dollars. La presse a essayé de nous faire croire que l’euro à 1,34 était faible et qu’heureusement il remonte. Ainsi l’Express en ligne du 14 octobre 2011 (1) explique que « la monnaie unique tentait de nouveau de tester la barre symbolique de 1,383 dollars l’euro ». Le 27 octobre 2011, le symbolique était atteint avec 1,39. Mais où est le symbolique quand on se rappelle que le 4 janvier 1999 l’euro était coté 1,17 dollars, et que le 26 octobre 2000, il descendait à 0,82 dollars. Il se trouve au dessus du dollar depuis 2004 et monte jusqu’à 1,60 dollars le 15 juillet 2008. Et alors ?

Il n’y a évidemment pas de valeur symbolique à un taux de change entre pays. La seule valeur intéressante à laquelle on puisse le comparer est le rapport des prix entre les deux pays. La théorie du PPP (purchasing power parity, ou parité des pouvoirs d’achat) est basée sur l’hypothèse raisonnable que le taux de change entre l’euro et le dollar, par exemple (mais c’est vrai pour toute paire de monnaies) devrait s’ajuster de façon à refléter le rapport des prix dans l’Union Monétaire Européenne (UME) et aux Etats-Unis. Le Big Mac (beurk) sert souvent à comparer les prix entre les pays ou régions, parce qu’il est présent sous la même forme un peu partout. Si le taux de change $ par € ($/€) est de 1,40 par exemple, le rapport des prix des Big Mac dans l’UME et les Etats-Unis devrait être égal à 1,40. Donc si le Big Mac se paie €1 à Bruxelles ou à Paris, il devrait coûter $1,40 à New York ou à San Francisco. Mais on peut heureusement faire mieux que de comparer des Big Mac en utilisant des paniers de consommation dans les deux pays, ce qui est fait dans les calculs menant au graphique que nous discutons maintenant.

Ce graphique illustre les deux rapports (taux de change $/€ et rapport des prix des paniers de consommation aux Etats-Unis et dans la zone euro) entre 1980 et 2010 (2) et en octobre 2011. Selon la théorie du PPP, à l’équilibre, les deux courbes devraient se confondre. On peut bien entendu accepter de petites déviations par rapport à cet équilibre, mais on constate que ces déviations sont tout sauf faibles. Ce qui indique qu’il y a manifestement un problème, que l’euro est surévalué depuis 2004 environ et ne semble pas poursuivre la baisse amorcée en 2010, malgré les problèmes qui secouent l’UME pour le moment. La surévaluation de l’Euro par rapport au dollar est d’environ 20%.

Il est temps que les journalistes comprennent ces idées très simples et arrêtent de faire paniquer les bonnes gens en prévoyant les graves dangers que poserait un euro plus faible par rapport au dollar.

(1) Voir http://votreargent.lexpress.fr/bourse/fiches-valeurs/devises-l-euro-stabilise-autour-de-1-38-dollar-marche_167951.html

(2) L’euro est véritablement devenue monnaie commune en 2002, mais les taux de change entre pays de l’UME avaient déjà été fixés en 1999. Pour la période 1980-1998, l’euro est remplacé par le Mark allemand (DM) dans le graphique. Le DM était en quelque sorte la monnaie étalon des pays du Marché Commun et de la CEE par la suite.

vendredi 28 octobre 2011

Recherche et enseignement. Quo vadimus ?

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Victor Ginsburgh

Voici deux exemples récents de la raison pour laquelle la question peut (ou doit) être posée. Le premier est européen, le second américain, mais ils se valent dans leur médiocrité.

En 2011, dans une université européenne que je ne nommerai pas, une faculté que je ne nommerai pas non plus veut engager un professeur à 80% du temps. Pourquoi 80% du temps demande le candidat ? Parce que 80% du temps, répond le doyen, c’est votre salaire pour enseigner, nous ne sommes pas intéressés par votre recherche. Ben voyons, on sait bien que de nos jours les universités c’est fait pour enseigner, pas pour chercher.

Toujours en 2011, une enquête administrée par l’OCDE, qui porte sur l’enseignement moyen, montre que seulement 32% des élèves américains sont « compétents » (proficient) en mathématique, ce qui situe les Etats-Unis entre le Portugal et l’Italie (bravo, Silvio) et loin derrière Singapour (63% de compétents), la Finlande et le Liechtenstein (56%), la Belgique (47%, ouf), la France (39%, tout fout le camp, Nicolas) et une vingtaine d’autres pays, y compris Macao (48%, moi qui croyais qu’il n’y avait là que des salles de jeux). L’honneur n’est même pas sauvé par l’Etat du Massachusetts (avec 51%), malgré la présence de deux parmi les universités les plus prestigieuses du monde, le MIT et Harvard. La Louisiane, la Virginie de l’Ouest, l’Alabama, le Nouveau Mexique et le Mississippi se situent au niveau de la Turquie (18%) et de la Bulgarie (15%) (1).

Mais mon propos n’est pas là. Il concerne plutôt les « recettes » que proposent deux mathématiciens américains, Sol Garfunkel, directeur exécutif du Consortium for Mathematics and its Applications et David Mumford, professeur émérite de mathématique de la Brown University (2).

Ces deux mathématiciens trouvent que les cours actuels ne préparent pas bien la grande majorité des élèves, parce que trop abstraits. Combien de fois, écrivent-ils, un adulte est-il amené à résoudre une équation du deuxième degré ? Pourquoi enseigner les nombres complexes ? Il vaudrait beaucoup mieux enseigner comment il faut évaluer une hypothèque, et comment interpréter les résultats statistiques d’une expérience médicale (3). Les traditionalistes objecteront, comme ils l’ont fait contre la suppression du latin qui était censé aider les étudiants à développer leurs capacités linguistiques (dans les pays de langue romane mais aussi dans ceux de langue « anglaise », où le nombre de mots empruntés au français est important).

Remplaçons, écrivent Garfunkel et Mumford, ces mathématiques traditionnelles par de la finance—ces deux érudits ne doivent pas trop savoir ce que nous fait subir la finance—avec laquelle les étudiants apprendront ce qu’est la fonction exponentielle, par des calculs sur des tableurs, par l’étude des comptes des entreprises et de l’Etat—dans lesquels y a plus que des centimes négatifs, et les nombre négatifs, faut plus les enseigner—comme nous avons remplacé l’étude du latin par celle des langues modernes.

Avec le résultat que l’on sait. Lorsqu’on reproche à une étudiant universitaire de faire des fautes d’orthographe et de grammaire dans sa copie d’examen, il répond que la secrétaire qui l’assistera « quand il sera grand » se chargera de les corriger.

Où allons-nous, conclut un vieillard que je connais depuis qu’il est jeune…


(1) Why can’t American students compete with the rest of the world, Newsweek, 5 septembre 2011.

(2) How to fix our math éducation, The New York Times, 24 août 2011.

(3) A condition que celle-ci soit faite honnêtement et qu’on permette à ceux qui ne sont pas d’accord de le dire ou de l’écrire, ce qui, lorsqu’on relit le blog « Anastasie » posté par Pierre Pestieau le 7 octobre 2011, est loin d’être le cas.

La bourgeoise et le clochard

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Pierre Pestieau

Une scène typique de nos grandes villes. Un matin me rendant à la gare d’un pas pressé, j’ai néanmoins le temps d’apercevoir une scène cocasse. Une dame d’allure bourgeoise s’est arrêtée devant un bout de trottoir où visiblement un SDF venait de passer la nuit. Traces de sa présence : une canette de bière, quelques mégots, des bouts de papiers gras. J’entends des bribes de son monologue : « un scandale, c’est ainsi que notre belle ville est devenue une poubelle et que notre planète est cochonnée… »

Au-delà de la cocasserie de la situation, je ne pouvais m’empêcher de songer à quel point cette dame avait vraisemblablement une empreinte écologique (1) nettement plus élevée que celle de ce malheureux clochard. Certes ce raisonnement reposait sur certaines déductions tirées de son apparence, qui révélait une aisance financière. Je pouvais faire fausse route dans le cas présent. Son apparence pouvait être trompeuse et dissimuler une écologiste vivant selon ses principes. Mais si je ne me trompais pas, et si elle vivait seule d’une retraite confortable dans une maison bourgeoise, profitant de ses loisirs pour voyager de par le monde, elle contribuait à la destruction de notre planète bien plus qu’une dizaine de SDF.

Selon l'association de protection de l'environnement WWF (2), l’empreinte écologique la plus élevée se trouve dans les pays à haut revenus, elle y serait en moyenne 5 fois supérieure à celle des pays à faibles revenus. On retrouve la même relation au niveau des ménages; les individus les plus riches, ceux qui disposent de beaucoup de loisirs et qui vivent en petit nombre dans un habitat spacieux et isolé ont un empreinte écologique nettement plus élevée que le reste de la population et particulièrement les pauvres et les sans abri. Et ce n’est pas parce que l’on trie scrupuleusement ses ordures ménagères et que l’on opère son propre compost que cela changera substantiellement.

Je ne connais pas d’étude portant sur la Belgique. A titre d’exemple, je citerai une étude canadienne (3) selon laquelle l’empreinte d’un ménage canadien croît systématiquement avec son niveau de revenus. Ainsi les 10% de ménages canadiens les plus riches génèrent une empreinte écologique de 12,4 hag/habitant, soit près de deux fois et demie plus que les 10% les plus pauvres (la moyenne nationale étant de 7,07 hag/hab.). L’empreinte écologique associée à la plupart des catégories de consommation augmente avec le revenu du ménage ; les plus grandes différences se situent au niveau de la mobilité. Dans ce secteur, l’empreinte des 10% au plus haut revenu dépasse de près de neuf fois l’empreinte du décile inférieur des revenus. La mobilité est suivie par la consommation des produits non alimentaires où l’empreinte du décile supérieur est de 3,75 fois plus importante que celle du décile inférieur ; en revanche, l’empreinte alimentaire montre très peu de variabilité en fonction du revenu.


(1) L'empreinte écologique d’un individu est la superficie géographique (hag ou hectares globaux) nécessaire pour subvenir aux besoins de cet individu et absorber les déchets qu’il produit.

(2) World Wildlife Foundation, http://www.wwf.fr/

(3) Voir http://www.policyalternatives.ca/

vendredi 21 octobre 2011

Dette d’enterrement

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Pierre Pestieau

Pendant des années, Martine a rempli de la paperasse pour que sa grand-mère puisse toucher l’aide sociale de son département, le Val-de-marne. Mais elle n’a jamais prêté attention à cette petite précision figurant au bas des formulaires : « Récupérable sur la succession ». Le 13 juillet, sa chère aïeule décède, à 101 printemps sonnés, et Martine fonce aussitôt à Charles-Foix, l’hôpital gériatrique où sa grand-mère a fini sa vie.

Sur place, une assistante sociale l’avertit : « Renseignez-vous bien avant d’accepter la succession. – Mais pourquoi ? – Votre grand-mère a une dette énorme auprès du département. » Martine tombe à la renverse : la fameuse « aide sociale », qui prend en charge les frais d’hébergement des personnes âgées sans ressources suffisantes, n’est en réalité qu’une forme d’avance. C’est la loi. Encore faut-il la connaître.

Après des années de versements, le département réclame 203 000 euros, à prélever sur la succession de la vieille dame. Bien plus que son héritage, qui se monte à 35 000 euros. Martine a donc refusé la succession pour ne pas écoper de la dette.

Cette anecdote vient du Canard Enchaîné du 29 septembre 2011. Elle est rapportée sous le même titre que ce blog et est présentée sur un ton désapprobateur. Elle touche à une question importante : la pratique des tests de ressource en politique sociale. Le fait que le test de ressource ait lieu après la mort et entraîne un choc supplémentaire pour la famille endeuillée est d’une certaine manière secondaire.

La plupart des Etats-providence ont développé à côté de l’assurance sociale qui couvre la retraite, la perte d’emploi, la maladie et l’invalidité des programmes d’assistance sociale qui s’adressent généralement à des personnes qui n’ont pas contribué au système, le plus souvent faute de revenus et qui reçoivent une aide dont le montant est réduit si ces personnes disposent de ressources propres. Le test de ressource concerne généralement les revenus de l’individu ou du couple. Dans certains cas, il peut inclure les revenus des parents pour le revenu d’insertion ou les ressources des enfants pour l’assurance dépendance.

Les tests de ressource posent plusieurs questions. Comment les justifier ? Quelle en est la pratique ? Doivent-ils inclure le patrimoine des ménages, voire de la famille ?

La justification est assez évidente. Dès lors que les recettes publiques ne sont pas illimitées, il est assez normal que pour lutter contre la pauvreté par exemple, on ne donne aux pauvres que la différence entre le seuil de pauvreté et les revenus, dont ils disposent. Si l’on donne à tous un montant uniforme, on crée outre des coûts budgétaires insupportables, des inégalités horizontales choquantes. Dans certains cas, les tests de ressource peuvent s’avérer impossibles du fait de la non-observabilité des revenus individuels. On doit alors se résigner à adopter une allocation universelle.

La loi varie selon les programmes et selon les pays. Dans certains cas, seuls les revenus de l’allocataire sont pris en compte. Dans d’autres cas, on prend aussi en considération son patrimoine, le revenu voire le patrimoine de ses enfants ou de ses parents. Etant donné la loi, ce qui est frappant c’est la variabilité de la mise en œuvre des tests. Ils sont très souvent laissés à la discrétion des responsables locaux. Si on se limite aux dépenses effectuées en cas de perte d’autonomie, on observe souvent une réticence à se retourner vers les enfants ou même vers les héritiers, à la différence de l’anecdote relatée ci-dessus. Cette variabilité dans les pratiques entraîne des injustices choquantes : des familles ayant les même ressources sont traitées différemment et trop souvent les tests sont appliqués plus sévèrement aux familles moins aisées qu’aux familles plus aisées mais qui ont les moyens d’y échapper. En France, le recouvrement sur succession s’applique à l’Allocation de solidarité aux personnes âgées et non pas à l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Bizarre. Aux Etats-Unis, les programmes d’assistance publique connus sous le non de Medicaid et censés aider les pauvres sont détournés de leur objectif premier pour venir en aide à des personnes aisées et dépendantes qui se sont appauvries en transférant leur ressources à leurs enfants. Comme le test de ressource ne s’étend pas à leurs enfants, elles bénéficient du Medicaid qui serait pourtant tellement utile pour lutter contre la vraie pauvreté.

Pour revenir à l’anecdote du début, on observe dans la plupart des sociétés une réticence généralisée contre le recouvrement sur succession. L’Etat a toujours beaucoup de peine à recouvrer un impôt si légitime soit-il lorsque se mêlent mort et famille. C’est ainsi que l’on peut expliquer l’impopularité des droits de succession qui ne touchent pas les familles les plus pauvres et le fait que le recouvrement sur succession même s’il est légal n’est que rarement appliqué.

Les vraies raisons de la chute de la Maison Dexia

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Victor Ginsburgh

Je suis allé chercher ma nouvelle carte d’identité hier matin. Une heure d’attente et, en prime, une carte que je n’oserai jamais sortir de ma poche, parce que la photo pour laquelle j’ai dû payer 5 euros (1) est tout simplement monstrueuse. Je pensais que le bagne de Cayenne avait été fermé, mais non, il existe, y a qu’à voir ma tête.

Cette fois, je n’ai rien payé, sauf le parking : coût 1 euro. Rappelez-vous que le taux marginal de taxation du mois en cours est égal à l’augmentation d’impôt durant le mois, divisé par l’augmentation du revenu brut durant le même mois. Comme cette dernière augmentation est égale à 0 (on n’est pas augmenté tous les mois, quand même), mon taux marginal de taxation est cette fois-ci égal à 1 divisé par 0, soit l’infini (2). Nous savons tous cela depuis nos études, on apprend cela même dans une Ecole de Commerce.

Rendez-vous compte, un taux marginal de taxation infini ! C’est évidemment la conséquence de l’absence de gouvernement en Belgique depuis près de 500 jours. Tout se déglingue dans ce pays…

Mais ce n’est pas le plus grave. En caractères gras, la convocation explique qu’il faut se rendre personnellement au guichet pour retirer le nouveau document. Je suppose donc que même MM. Dehaene et Mariani, les deux derniers PDG de la Banque Dexia, ont dû s’exécuter de la même manière il y a quelques jours.

Il se fait que par hasard, ils sont allés chercher le document au même moment—le premier à Vilvoorde, le second à Paris—moment justement choisi par un trader de la banque pour acheter des produits frelatés (difficile de faire autrement, ils le sont tous). Quelques milliards d’euros seulement.

Au retour de leur promenade, et futés comme ils sont, MM. Dehaene et Mariani se sont immédiatement aperçus de la décision malheureuse du trader, mais il était trop tard. Arrive ce qui est arrivé, la banque était (en danger de) faillite et a dû être renflouée par la Belgique pour la plus grosse partie. Coût : 4 milliards d’euros cash plus 60% des garanties sur près de 100 milliards de machins qui ne valent presque plus rien. A payer par vous et par moi. Déjà que mon taux marginal de taxation était devenu infini ce mois-ci, voilà une tuile de plus pour les mois et même les années qui viennent.

Mais il est très clair que MM. Dehaene et Mariani ne peuvent aucunement être considérés comme responsables de cette malencontreuse aventure, puisque, au moment des faits, ils s’étaient absentés de la Banque pour aller chercher cette fichue nouvelle carte d’identité.

L’administration belge est donc responsable de ce qui est arrivé et MM. Dehaene et Mariani auront tous deux droit à leur parachute doré. C’est logique.

(1) Voir mon blog du 16 septembre, Calcul à la marge.

(2) Mon collègue Pierre Pestieau réagit au sujet de ce taux infini. Il m’explique que j’aurais pu le réduire à 0 en n’allant pas chercher ma carte et en continuant à me promener avec l’ancienne, comme, ajoute-t-il, le font beaucoup de bons citoyens. Encore que 0 divisé par 0 n’est pas nécessairement égal à 0.

vendredi 14 octobre 2011

La chasse aux mythes. Deuxième épisode: Les Etats-Unis

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Victor Ginsburgh

Mythe 1. Yes we can.

Indécidable. Yes you could, but unfortunately you don't do it.

Mythe 2. Les Américains sont des grands esprits scientifiques.

Vrai. Michelle Bachmann, une des candidates à la présidence en 2012, a dit que l’ouragan Irène avait été un acte de Dieu adressé à l’administration américaine et à Obama. Et c’est elle qui, si elle réussit à devenir présidente, va nommer le prochain secrétaire (chez nous, ministre) à la recherche scientifique (1).

Mythe 3. Les Américains sont des gens sérieux.

Vrai. Un Américain sur trois croit que le monde a été visité par des extra-terrestres (1).

Mythe 4. Les Américains sont féministes.

Vrai. On a demandé à Michelle Bachmann ce qu’elle voulait dire en expliquant que la Bible l’obligeait à se plier à la volonté de son mari. C’est la question (!) qui a été huée, pas sa réponse (2).

Mythe 5. Les Américains ont mis fin à l’esclavage.

Vrai, mais ils semblent le regretter. Michelle Bachmann a dit qu’avant la guerre de Sécession, le Sud des Etats-Unis, c’était pas si mal que ça [a pretty nice place] pour les esclaves (2).

Mythe 6. Les Américains sont généreux.

Vrai. La preuve est donnée par les vues généreuses des Républicains qui ne veulent ni éradiquer la pauvreté, ni améliorer l’organisation de la sécurité sociale ou des soins de santé, ni aider les chômeurs. D’ailleurs, Michelle Bachmann trouve que l’aide sociale aux pauvres devrait venir de donations privées, et non du budget de l’Etat (2).

Mythe 7. Les Américains sont pro-israéliens.

Vrai. D’ailleurs l’évangéliste Texan John Hagee qui décrit le catholicisme comme une « théologie haineuse sans Dieu » a déclaré que la Shoah a fait partie du plan de Dieu pour ramener les Juifs en Palestine (3).

Mythe 8. Les Américains sont attentifs aux effets du changement climatique.

Vrai. D’ailleurs Michèle Bachmann, décidément, et Rick Perry, gouverneur du Texas, lui aussi candidat à la présidentielle en 2012 (4), rejettent les prévisions des scientifiques au sujet du changement climatique, alors que le Texas a connu la pire sécheresse depuis que l’on enregistre les données météorologiques. Les feux ont détruit 12 600 km carrés en 2011 (4). Le même Rick Perry a expliqué qu’un nombre important de scientifiques qui examinent l’effet que l’homme a sur le climat ont trafiqué les données pour obtenir des fonds pour leurs recherches : « Nous voyons d’ailleurs presque chaque semaine, voire chaque jour, des chercheurs qui mettent en doute que l’homme puisse changer le climat » (5).

Mythe 9. Les Américains sont pour la liberté individuelle.

Vrai. On a posé à Ron Paul (un des élus du Texas à la Chambre des Représentants) la question suivante à propos d’un homme qui aurait choisi de ne pas souscrire d’assurance santé : « Cet homme a une crise, tombe dans le coma et a besoin de soins qui coûtent cher. Qui va payer ? » Réponse de Ron Paul : « La liberté, c’est aussi être prêt à prendre des risques ». « Mais, M. le Représentant l’interrompt le journaliste (Wolf Blitzer sur CNN), êtes-vous en train de dire que la société doit le laisser mourir ? » Avant que ce brillant Représentant n’arrive à répondre, il y a eu des cris enthousiastes parmi ceux qui assistaient à la conférence « Oui, bien sûr (ce qui se dit Yeah ! en Américain) » (6).

Mythe 10. Les « révoltés » de Wall Street sont dangereux.

Vrai. Le sénateur républicain du Kentucky, Rand Paul dénonce les « révoltés » de Wall Street parce qu’ils veulent voler les iPads des riches qui ne les méritent pas (7).

Et je n’ai rien dit du mythe sur la peine de mort. Allez vous-même voir http://opinionator.blogs.nytimes.com/2011/09/09/they-messed-with-texas/

Ce que le gouverneur du Texas, qui est aussi candidat à la présidence ose dire est tout simplement ignoble. Comme les applaudissements de l’assistance qui ont suivi sa réponse.


(1) Le Monde, 25-26 septembre 2011.

(2) New York Times, 25 août 2011.

(3) New York Times, 25 août 2011, et mon blog du 30 septembre 2011.

(4) New York Times, 13 septembre 2011.

(5) New York Times, 28 août 2011.

(6) New York Times, 16 septembre 2011.

(7) Paul Krugman, New York Times, 9 octobre 2011.

S’il existe un bon impôt, c’est celui-là

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Pierre Pestieau

La phrase de Gide (1) « Famille, je vous hais » ne connaît jamais autant d’actualité qu’au moment des héritages. Que de conflits souvent irréparables, le plus souvent pour des broutilles. Et les institutions n’y changent rien. Dans la vieille Europe où le partage égalitaire entre enfants est la loi, il y a autant de zizanies que dans les pays anglo-saxons où la liberté de tester prévaut. Mais ceci n’est pas mon sujet. Balzac l’a fait avant moi et sûrement bien mieux. Je voudrais traiter du risque de perdre des amis auquel peut mener une discussion sur les droits de succession. Dans la même semaine, cela m’est arrivé à deux reprises en France.

La première fois, un jeune collègue me raconte le traumatisme de son père lorsqu’une de ses tantes qui tardait à mourir finit par se décider pour le plus grand bonheur de ses héritiers. Elle n’avait pas d’enfants et les héritiers légaux étaient ses neveux et nièces. Horreur, chacun d’entre eux devait s’acquitter de droits de succession de 60% à partir du premier euro légué (2). En bon économiste sans cœur, ma première réaction fut de dire « Bravo, voilà un bon impôt ». En effet, du point de vue théorique, les legs collatéraux représentent une base fiscale bien plus appropriée que les legs en ligne directe. Ils sont en effet rarement volontaires ou intentionnels et la présence d’un impôt ne devrait par conséquent pas en diminuer l’importance. Il s’agit d’un impôt qui est bien plus efficace que les impôts qui poussent à moins épargner ou à travailler moins. Mais les considérations théoriques sur l’intérêt général n’ont guère de poids devant la perspective de « laisser » à l’ogre étatique 60%, une somme dont chacun pense qu’il pourrait en faire un bien meilleur usage.

Le deuxième incident met en scène un couple d’excellents amis qui eux n’ont pas d’enfants et veulent faire bénéficier de leur héritage plusieurs neveux et nièces qu’ils chérissent depuis toujours. Ils font face au même problème, puisque près des deux tiers de ce qu’ils ont l’intention de léguer « partira en fumée ». Ici aussi il ne me semble pas anormal de voir l’Etat ponctionner 60% de la succession ; de surcroit, il leur est loisible d’éviter ce prélèvement en recourant à des donations ou à une série de techniques que les notaires connaissent bien.

Les donations présentent de nombreux avantages. Elles sont moins lourdement taxées et peuvent, dans certaines conditions, ne pas l’être du tout ; mais en outre, elles peuvent bénéficient à des personnes plus jeunes qui en ont davantage besoin. L’âge auquel la plupart des gens décèdent est tel que l’héritier est souvent près de la retraite, un âge où ses besoins de liquidités sont généralement plus faibles. Pourquoi pas davantage de donations ? Deux raisons majeures : d’abord, garder un patrimoine est une assurance en cas de coup dur, par exemple une maladie coûteuse et non couverte par l’assurance médicale ; ensuite, maintenir sur les futurs héritiers un certain moyen de pression.

Parfois avec raison : le Père Goriot de Balzac et le Roi Lear de Shakespeare, deux malheureux pères, se sont retrouvés privés de l’amour de leurs filles pour leur avoir, l’un et l’autre, légué leur fortune… trop tôt.

Depuis quelques semaines, certains hommes politiques, soucieux de combler le déficit budgétaire, font flèche de tout bois. Cette démarche les a amenés à ressortir des tiroirs l’idée d’un impôt annuel sur la fortune, idée chère à notre regretté collègue de l’ULB Max Frank. C’est là une idée singulière venant de gens qui ont permis il y a peu que les droits de succession soient régionalisés et donc fragilisés. Du point de vue de l’analyse économique, les droits de succession sont plus efficaces qu’un impôt sur la richesse même si les deux types de prélèvement se heurtent à des obstacles similaires : impopularité, fraude et évasion, évaluation de certains actifs…. On notera à ce propos, même si ce n’est pas une raison suffisante, que l’on compte sur les doigts de la main les pays qui prélèvent impôt sur la fortune. La France et tout récemment l’Espagne aux abois sont sans conteste les exceptions qui en Europe confirment la règle.

(1) Dans Les Nourritures terrestres. Gide ne dit pas que du mal de la famille ; il lui reconnaît certains mérites mais note cependant que… « la famille ne respecte pas certains choix ce qui peut pousser à un mal être ; elle peut aussi être source de conflit ; enfin une forte divergence d’opinion peut pousser ses membres à la haine entre eux. »

(2) En fait, il semblerait qu’en France pour les neveux et nièces les droits de succession s’élèvent à 55% sur la totalité du montant reçu après abattement.

vendredi 7 octobre 2011

Anastasie

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Pierre Pestieau

Mon attention a récemment été attirée par deux cas de censure (1) sans doute courants mais néanmoins choquants. Le premier consiste en une série de « corrections » dont une journaliste scientifique a été la victime pour des articles consacrés au Médiator et autres « médicaments/poisons » des laboratoires Servier. Le second concerne le sucrage d’un dossier consacré aux liens troubles entre Vuitton, le régime de Vichy et les nazis. Dans les deux cas, le scénario est le même. La direction de la publication ne veut pas perdre un gros annonceur et fait pression sur le journaliste au nom de l’emploi, le sien comme celui de ses collègues. Pour les mêmes raisons on trouve peu d’écho de ces affaires dans la presse traditionnelle. Il existe heureusement une presse alternative : Arrêt sur Image, Le Canard enchaîné et Mediapart pour prendre trois exemple emblématiques de médias qui dénoncent régulièrement ce type de scandales.

Virginie Bagouet est cette journaliste scientifique, collaboratrice du titre Impact Médecine qui a récemment déclaré devant une commission parlementaire que ses articles consacrés aux médicaments des laboratoires Servier étaient régulièrement envoyés aux dits laboratoires pour relecture et réécriture. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’articles censurés pour complaire aux industries pharmaceutiques, qui sont aussi les plus gros annonceurs et donc les principales sources de financement de la revue.. Le second cas a été relaté par Médiapart et Le Canard enchaîné. Le service publicité de Prisma presse aurait fait supprimer un article de Géo histoire sur la collaboration économique. Pour quel motif ? Ce dossier de cinq pages débutait par le passé collaborationniste de Vuitton. De quoi effrayer le service pub de Prisma presse, propriétaire de Géo histoire mais aussi de Gala, et de Femme Actuelle, dont la maison de luxe Vuitton est l'un des plus gros annonceurs.

Ces cas de censure me conduisent à deux réflexions. D’abord, ils ont des conséquences différentes. Cacher la nocivité d’un coupe-faim mortel comme Médiator est criminel ; empêcher un journaliste de la révéler l’est tout autant. Il s’agit en l’occurrence de plusieurs centaines de morts. S’acharner à cacher le passé collaborationniste de sa famille ou de son entreprise est lamentable, d’autant qu’il avait déjà fait l’objet d’articles et de livres. Mais les conséquences sont moins dramatiques. Autre réflexion : ce type de procédé se retrouve-t-il dans le monde scientifique ? Incontestablement surtout là où les enjeux financiers ou idéologiques sont importants (2). D’ou la nécessité pour le chercheur de révéler en toute transparence ses sources de financement.

(1) Jadis, on appelait la censure « Madame Anastasie ». Gardienne des « bonnes mœurs » ou de l’orthodoxie politique, elle s’emparait des manuscrits, des livres, des gravures ou des tableaux dans lesquels elle taillait sans aucune subtilité, à l’aide de ses grands ciseaux. Voir à ce sujet Emmanuel Pierrat, Le Livre noir de la censure, Paris : Le Seuil.

(2) Voir mon blog de mars 2011 « Inside Economics et Conflits d’Intérêt ».

Chack Shwartz, Arcofin SCRL et Dexia

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Victor Ginsburgh et Alexis Walckiers

L’un d’entre nous a reçu ce matin 7 octobre le courrier électronique suivant d’un certain Chack Shwartz :

« Bonjour,

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Vous avez évidemment tous compris qu’il s’agit d’un spam (pas très bien écrit) et il faudrait être idiot pour y réagir.

Mais que dites vous de la publicité suivante en français châtié faite par la société Arcofin (1) :

« Quelle est la différence entre une action coopérative et une action cotée en Bourse ? La valeur d'une action cotée en Bourse est soumise aux mouvements boursiers. Ce qui a de la valeur aujourd'hui peut être fortement dévalorisé demain ou, dans le meilleur des cas, avoir plus de valeur. Le rendement annuel est difficile à prévoir. Il n'en est pas ainsi avec une action d'Arcofin SCRL. La société vise une valeur stable et un rendement de dividende prévisible pour les actionnaires. Cliquez sur

http://www.groupearco.be/faq/be-fr/1/detail/item/753/navigationcats/564/navigationcats/564/parentcat/141/ »

Il faut savoir qu’Arcofin avait souscrit à l'augmentation de capital de Dexia et en était devenu était un de ses plus grands actionnaires avec 14,02 % (en tout cas juste après l’augmentation de capital).

Voici ce que dit La Libre du 7 octobre 2011 :

« Jeudi, Arcofin, un des actionnaires belges de contrôle de Dexia, est sorti du bois. Il s’est clairement prononcé contre « une vente forcée à un prix bradé » de Dexia Banque. Comme les trois Régions la veille, il a donc fait comprendre à l’Etat fédéral qu’il ne voulait pas de la solution de la nationalisation pure et simple. « Dexia affiche une solvabilité solide », clame l’actionnaire proche du mouvement ouvrier chrétien. Tout en ajoutant que même » le legacy portfolio" (structure de défaisance) où se trouvent certains actifs à risques (dette grecque, etc.) est de bonne qualité. »

Vaut quand même mieux se faire rouler par Chack Shwartz que par Arcofin, non ? Sauf que vous, contribuables, ne nous rembourserez pas la perte que nous fait subir le Grand Casino de Macao. Cela pourrait être différent dans le cas Dexia.

Un bon conseil, donc : Continuez à investir dans Dexia. Avec Arcofin, vous êtes entre de bonnes mains.

vendredi 30 septembre 2011

La chasse aux mythes. Premier épisode : Israël

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Victor Ginsburgh

A l’issue des discours d’Obama contre, d’Abbas pour, et de Netanyahou contre la demande palestinienne d’être reconnue comme Etat par les Nations Unies, je suis allé revoir ce que dit Simha Flapan (1) sur la naissance d’Israël. Flapan est un de ceux que l’on a appelés les « nouveaux historiens » israéliens dont font aussi partie Benny Morris (qui s’est rétracté par la suite et a regretté qu’Israël n’ait pas expulsé davantage de Palestiniens en 1947-48), Tom Segev, Ilan Pappé (2) et Avi Shlaïm. A la fin de années 1980, ils ont publié les résultats de leurs recherches sur la naissance de l’Etat d’Israël à la lumière de documents officiels britanniques et israéliens dont l’accès avait été rendu public (3).

Une première observation, qui n’est pas un mythe. Le texte de 1947 relatif au partage de la Palestine (55% aux Juifs, qui sont la minorité, et 45% aux Arabes) passe par l’Assemblée Générale des Nations Unies et pas par le Conseil de Sécurité ; il doit y recueillir 2/3 des voix, mais le résultat est incertain et donne semble-t-il lieu à des menaces, à des pressions et même à un peu de corruption. En septembre 2011, les Etats-Unis exercent des pressions sur les Palestiniens en les menaçant de leur couper l’aide s’ils persistent à déposer le texte de leur demande de reconnaissance. Ces mêmes Etats-Unis avaient menacé menacé de couper l’aide à la Grèce, si elle votait contre le plan de partage. La Grèce ne s’est pas laissée faire, pas plus que Mahmoud Abbas d’ailleurs. Et le 14 mai 1948, Ben Gourion a proclamé l’indépendance de l’Etat d’Israël (qui à l’époque ne demandait pas encore que l’Etat soit Juif) sans demander l’avis de personne.

J’en arrive maintenant à la liste des sept (un nombre sacré) mythes propagés par Israël et que Flapan s’attache à démonter. Je traduis en Français les pages 8-10 de son ouvrage, en espérant que les erreurs de traduction n’auront pas les mêmes effets que ceux de la Résolution 242 des Nations Unies demandant aux Israéliens de se retirer « des territoires » (tous affirment les uns, certains disent les autres) (4) occupés après leur victoire dans la guerre des Six Jours de 1967. Voici ce texte.

« Mythe 1. L’acceptation par les sionistes de la résolution de partition du 29 novembre 1947 a été un compromis important par lequel la communauté juive abandonnait le concept d’Etat Juif dans l’ensemble de la Palestine et reconnaissait le droit qu’ont les Palestiniens pour leur propre Etat. Israël accepte ce sacrifice parce que les Juifs ont supposé que l’exécution de la résolution se ferait dans la paix et en coopération avec le Palestiniens.

Réfutation. Mes recherches suggèrent qu’il s’agissait en fait d’un mouvement tactique au sein d’une stratégie globale. La stratégie consistait (a) à contrecarrer la création d’un Etat Palestinien en signant un accord secret avec Abdallah de Transjordanie, qui allait annexer le territoire destiné à devenir l’Etat Palestinien comme premier pas vers une ‘Grande Syrie’ et (b) à accroître le territoire accordé par les Nations Unies à l’Etat Juif. »


« Mythe 2. Les Arabes Palestiniens ont totalement rejeté la partition et répondu à l’appel du mufti de Jérusalem pour déclencher une guerre contre les Juifs, qui les forcerait à se satisfaire d’une solution militaire.

Réfutation. Ceci n’est pas toute l’histoire. Alors que le mufti était en effet un fanatique qui s’opposait à la partition, la majorité des Palestiniens arabes, tout en y étant aussi opposés, n’ont pas répondu à l’appel à la guerre sainte contre Israël. Au contraire, et ce jusqu’à la déclaration d’indépendance d’Israël qui allait venir le 14 mai 1948, nombreux étaient les dirigeants et les groupes palestiniens qui ont fait des efforts pour atteindre un modus vivendi. C’est uniquement la profonde opposition de Ben-Gourion à la création d’un Etat Palestinien qui a miné la réticence palestinienne à l’appel du mufti. »


« Mythe 3. L’exode des Palestiniens de leurs terres, aussi bien avant la déclaration d’indépendance d’Israël qu’après celle-ci, provient de la réponse à un appel des dirigeants arabes de quitter temporairement leurs terres, et d’y revenir après la victoire des armées arabes. Les Palestiniens ont quitté leurs terres malgré les efforts faits par les dirigeants juifs pour les persuader de rester.

Réfutation. En fait, l’exode a été provoqué par les dirigeants politiques et militaires israéliens, qui pensaient que la colonisation sioniste et l’indépendance d’Israël rendaient nécessaire le ‘transfert’ des Palestiniens arabes vers les pays arabes. »


« Mythe 4. Tous les pays arabes, unis dans leur détermination de détruire le nouvel Etat Juif, se sont résolus à envahir la Palestine pour en expulser les juifs.

Réfutation. Ma recherche suggère que le but des Etats arabes n’était pas de liquider le nouvel Etat, mais d’empêcher exécution de l’accord entre le gouvernement provisoire juif et Abdallah et son plan pour une ‘Grande Syrie’. »


« Mythe 5. L’invasion arabe de la Palestine le 15 mai 1948 [à la suite de la déclaration d’indépendance d’Israël], en contravention avec la résolution de partition des Nations Unies, a rendu inévitable la guerre de 1948.

Réfutation. Les documents montrent que cette guerre n’était pas inévitable. Les Arabes avaient accepté une proposition américaine de dernière minute d’une trêve de trois mois, à condition qu’Israël reporte temporairement sa déclaration d’indépendance. Le gouvernement provisoire a rejeté la proposition par une majorité de 6 voix contre 4. »


« Mythe 6. Le petit Etat nouveau-né a du faire face à l’assaut des armées arabes, comme David a fait face à Goliath : une armée inférieure en nombre, des hommes pauvrement armés et en danger d’être vaincus par un géant militaire.

Réfutation. Les faits et statistiques disponibles font état d’une situation bien différente. Ben-Gourion lui même a admis que la guerre où Israël était seul n’a duré que quatre semaines, jusqu’à la trêve du 11 juin, à la suite de laquelle des quantités importantes d’armes sont arrivées dans le pays. L’armée israélienne mieux entrainée et plus expérimentée a par la suite eu la maîtrise des terres, de la mer et des airs. »


« Mythe 7. La main d’Israël a toujours été tendue en signe de paix, mais comme aucun dirigeant arabe n’a jamais reconnu le droit à Israël d’exister, les Israéliens n’ont jamais eu en face d’eux quelqu’un avec qui parler.

Réfutation. Au contraire, depuis le fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1952, Israël a refusé plusieurs propositions faites par les pays arabes et des médiateurs neutres qui auraient pu aboutir à des accommodements. »

***

Soixante-quatre ans après la partition, il n’y a pas grand chose de nouveau sous le soleil. Les Israéliens continuent à dire qu’ils n’ont en face d’eux personne avec qui parler. Même leur vocabulaire est resté identique.

Les pays arabes continuent à « cultiver » les réfugiés palestiniens dans les camps.

(1) Simha Flapan, The Birth of Israel. Myths and Realities, New York : Pantheon Books, 1987. Né en Pologne en 1911, a émigré vers Israël en 1930. Entre 1954 et 1981, il a été Secrétaire National du Mapam (Parti Unifié des Ouvriers). Il est mort à Tel Aviv en 1987.

(2) Ilan Pappé, La guerre de 1948 en Palestine, Paris : La Fabrique, 2000. Voir aussi son Ethnic Cleansing of Palestine, London : Oneworld, 2006. Né en 1954 à Haïfa, il a été professeur de science politique à l’Université de Haïfa, position qu’il a quittée en 2007, suite aux harcèlements dont il a été l’objet. Il est maintenant professeur à l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni.

(3) J’aurais aussi pu relire Ilan Pappé qui est plus connu et plus médiatisé que Flapan. Il se fait que dans ma bibliothèque, le non-classement est à peu près alphabétique mais que Flapan vient quand même avant Pappé.

(4) Le « des territoires » français, contraction de « de » et de « les » est traduit de l’anglais « from territories », qui ne rend en effet pas clair s’il s’agit de tous les territoires ou de certains, puisqu’en anglais (ou en russe, une des autres langues officielles des Nations Unies à l’époque) il ne faut pas d’article dans cette partie de phrase.

Le monde est bien fait

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Pierre Pestieau

Imaginons un monde où le grand architecte aurait décide de faire vivre les pauvres plus longtemps que les riches, croyant ainsi introduire une légère touche d’équité dans son grand œuvre. De ce fait, on trouverait beaucoup moins de riches dans les classes d’âge avancé. Le taux de pauvreté y serait encore plus élevé que ce qu’il est aujourd’hui. Les riches vivant des vies extrêmement courtes lègueraient leur patrimoine à leurs enfants à un rythme plus soutenu qu’aujourd’hui donnant lieu à une concentration de la richesse plus élevée encore que ce que l’on observe. On pourrait déduire de ce petit raisonnement que le monde est bien fait avec des pauvres qui ont une vie courte et des riches qui ont une vie longue. Cela nous donne une société où somme toute il n’y a pas beaucoup de pauvres dans les classes d’âge avancé, ce qui aurait été choquant.

Dans une étude récente, nous avons essayé de voir quel serait en Belgique le taux de pauvreté des personnes âgées si elles avaient toutes la même longévité (1). Il serait plus élevé. Dans un pays comme le notre les riches vivent plus longtemps que les pauvres, les femmes plus longtemps que les hommes et les Flamands plus longtemps que les Wallons. Un homme wallon et pauvre a une longévité nettement plus faible qu’une femme flamande et riche.

Les conséquences de ces différences sur la pauvreté dans le troisième âge ne sont pas négligeables. Sans ces différences, le taux de pauvreté en Wallonie serait plus élevé et le taux de pauvreté des femmes dans les deux régions serait plus faible. Sur ce seul plan (il en existe heureusement d’autres), la Wallonie paraît moins pauvre qu’elle ne serait sans ces différences de longévité. Autre avantage de cette faible longévité pour les Wallons, moins de pensions à financer. Le monde est décidément bien fait.

(1) Lefebvre, M., P. Pestieau et G. Ponthière, Pauvreté et mortalité différentielle chez les personnes âgées, CREPP WP-2011/09 http://www2.ulg.ac.be/crepp/papers/crepp-wp201109.pdf