samedi 28 janvier 2012

La misère serait moins pénible à la campagne

Pierre Pestieau

Dans un livre récent, Edward Glaeser (1), un économiste de Harvard, célèbre la ville comme peu l’ont fait jusqu'à présent. La ville rend libre et heureux, répète t-il à plusieurs reprises. Le bonheur d’une nation augmente avec la proportion de la population urbanisée. Pour des raisons diverses, nombreux sont ceux qui pensent qu’à la campagne la vie est plus facile qu’à la ville : le coût de la vie et du logement en particulier, l’accès aux produits de la terre, et la solidarité rurale rendraient la campagne tellement plus attrayante. On notera que ce sont surtout les habitants des villes qui pensent de cette façon. Ajoutons l’idée que l’on est plus libre à la campagne comme nous le dit si bien le rat des champs dans cette fable de La Fontaine qui affiche sa position : la vie rustique est préférable à la vie citadine. D’où le titre de ce blog qui paraphrase un couplet d’une chanson d’Aznavour (2):

« Emmenez-moi au bout de la terre

Emmenez-moi au pays des merveilles

Il me semble que la misère

Serait moins pénible au soleil. »

Glaeser soutient que la pauvreté urbaine doit être évaluée relativement à la pauvreté rurale et non pas en fonction de la richesse et de l’opulence urbaines. Mieux, il écrit que la pauvreté est un signe de succès des villes. Les villes procurent aux pauvres ce qu’ils ne trouvent pas ailleurs : un accès aux marchés. Ils peuvent trouver des emplois, des services, des biens. La grande ville est, pour les pauvres, d’abord un vivier d’employeurs potentiels. Glaeser s’intéresse ensuite à ce qu’il baptise « le paradoxe de la pauvreté urbaine ». Celui-ci est lié à l’effet d’attraction de la ville sur les pauvres et tient dans un phénomène difficilement discutable : plus une ville investit pour lutter, directement (services sociaux) ou indirectement (politiques favorables à la croissance), contre la pauvreté, plus elle attirera des pauvres. Plus on améliorera localement la vie des pauvres plus on attirera de nouveaux pauvres. Glaeser va plus loin encore : une ville qui n’attire pas les pauvres est une ville dont la situation est, en réalité, préoccupante (3).

Ce n’est pas le seul attrait de la ville. Dans une interview récente il montre à quel point la ville est bien plus favorable à l’environnement que la campagne (4) :

« Quand vous comptez les émissions de carbone associées aux zones de fortes densités de population, elles sont bien moins élevées que celles qui viennent des zones non urbaines américaines, parce que les gens conduisent moins et qu'ils vivent dans des appartements plus petits. Un des problèmes, c'est que si vous ne construisez pas à la verticale, vous construisez à l'horizontale, en vous étendant. Et ça n'aide personne, d'avoir des trajets de plus en plus longs et de gâcher l'énergie par des longs trajets en voiture. Si vous aimez la nature, ce n'est pas une mauvaise idée de vous en éloigner. Vivre en densité haute est logique d'un point de vue environnemental. »

Il n’y a pas à douter. En lisant Glaeser, le bonheur n’est plus dans le pré.

(1) Edward Glaeser, Triumph of the City. How our Greatest Invention Make Us Richer, Smarter, Greener, Healthier, and Happier, New York : Penguin Press, 2011.

(2) On notera pour répondre à Aznavour que le bien-être matériel augmente d’autant plus que l’on s’éloigne de l’équateur, et donc du soleil.

(3) Glaeser étudie autant les villes des pays pauvres comme Lagos ou Nairobi que celles des pays riches.

(4) http://www.theatlantic.com/national/archive/2011/02/city-limits-a-conversation-with-edward-glaeser/70351/

7 commentaires: