Victor Ginsburgh
L’Echo du 27 janvier dernier publie deux articles assez durs sur la gouvernance en région wallonne. On a beaucoup parlé de l’un deux, qui porte sur le rapport commandité par la région elle-même suite à la décision d’Arcelor-Mittal de fermer définitivement la phase sidérurgique à chaud dans la région liégeoise. J’y reviendrai plus bas.
Mais on a moins parlé du second article, tout aussi critique, et qui mine bien plus l’avenir de la région que l’absence de la sidérurgie. Il porte sur un rapport de l’OCDE, qui critique « l’enchevêtrement institutionnel et la multiplication des acteurs publics qui freinent l’impact des politiques d’innovation [et de recherche] en Wallonie » (1). Les structures de coordination sont redondantes : « 21 cellules de valorisation des établissements d’enseignement supérieur, 22 centres de recherche agréés, 10 agences de développement provinciales, 6 pôles de compétitivité, 25 centres de compétence du service public wallon de l’emploi et de la formation ». Bref un envahissement dont les politiciens wallons et les syndicats ne sont certainement pas absents (2).
Ceci ressemble assez bien à l’article consacré à la sidérurgie et au rapport d’expertise qu’il discute (3). Voici ce que dit notamment le rapport : « Les Liégeois, emmenés par les syndicats, ont adopté ou accepté une démarche quasi exclusivement revendicative, fondée sur la contestation permanente de toute évolution, le recours systématique à la grève, souvent accompagnée d’exactions, et de saccages, la défense d’avantages acquis et la protestation contre toute modification des méthodes de travail ». Les patrons n’en sortent pas tout blanc non plus: ils « ont manqué de vision commune et n’ont pas su motiver une base ouvrière manipulée par des ‘irresponsables incontrôlés’ ».
Bref, d’une part une politique de l’innovation et de la recherche envahie par les interventions politiques, de l’autre, une politique industrielle et un marché du travail régis par des interventions politiques et syndicales, et une incapacité du patronat à réagir. Sans porter de jugement sur cette première situation, et sans transition comme on dit, il est intéressant de la comparer à celle qui suit.
Le New York Times du 21 janvier (4) rapporte qu’Apple emploie 43.000 personnes aux Etats-Unis et 700.000 indirectement (au travers de contractants) à l’étranger, essentiellement en Chine. En 2007, Apple a revu, en dernière minute, la structure de l’écran pour son iPhone. Les nouveaux écrans sont arrivés à l’usine de montage chinoise à minuit. Un contremaître a immédiatement réveillé 8.000 ouvriers dans les dortoirs de l’usine. Chacun d’eux s’est vu offrir un biscuit et une tasse de thé, et a ensuite pris place à son poste de travail pour sertir les écrans dans les téléphones pendant 12 heures d’affilée. Après 96 heures, l’usine a pu produire 10.000 iPhones par jour. « La vitesse et la flexibilité sont à couper le souffle. Aucune usine américaine n’est capable de concurrencer cela », aurait dit un exécutif d’Apple. Et Apple n’est pas le seul constructeur d’électronique (ou d’autres produits de consommation) à agir de cette façon.
Les questions suivantes, et sans doute bien d’autres, viennent immanquablement à l’esprit :
- Est-ce que les politiciens, les syndicats et les patrons wallons ont raison de faire preuve d’aussi peu de souplesse ?
- Vaut-il mieux que les ouvriers liégeois soient au chômage ?
- Est-ce que les politiciens, les syndicats et les patrons chinois ont raison de faire preuve d’autant de souplesse ?
- Vaut-il mieux que les ouvriers chinois soient au chômage ?
- Est-ce que Steve Jobs a eu raison de délocaliser la production d’Apple ?
- Est-ce que nous, consommateurs d’électronique et de bien d’autres produits de consommation, avons raison d’acheter ces gadgets qui résultent de la recherche scientifique et du progrès technologique ?
- Faut-il arrêter la recherche scientifique et s’opposer au progrès technologique ?
Voici une réponse possible : Tuer le messager qui apporte la mauvaise nouvelle, comme vient de le faire le Sogepa, bras financier de la Région wallonne, en cassant le contrat avec le consultant qu’elle-même avait engagé (5).
(1) C. De Caevel, Innovation en Wallonie. Les douloureux constats de l’OCDE, L’Echo, 27 janvier 2012.
(2) Le rapport de l’OCDE mentionne aussi, et heureusement, que les évolutions récentes sont positives.
(3) F.-X. Lefèvre et Philippe Lawson, Liège : la fermeture du chaud est irréversible, L’Echo, 27 janvier 2012.
(4) C. Duhigg and K. Bradsher, How the U.S. lost out on iPhone work, The New York Time, 21 January 2012. http://www.nytimes.com/2012/01/22/business/apple-america-and-a-squeezed-middleclass.html?pagewanted=all
(5) RTBF http://www.rtbf.be/info/regions/detail_la-sogepa-casse-le-contrat-avec-laplace-conseil?id=7458783
L'auteur de cet article, LE (seul) bien aimé professeur qui a marqué ma jeunesse peut-il me dire
RépondreSupprimer- combien de personne lisent cet article
- s'il souhaite élargir au maximum le panel de lecteur
- s'il est imaginable de l'aider dans cette entreprise à mon sens indispensable
Si tel est le cas, je suis demandeur.
Bravo
Baudouin Guyot
Cher Victor, vous avez également été mon prof préféré, je lirai ce blog avec plaisir et intérêt,
RépondreSupprimerBien à vous
Catherine Jansen