vendredi 25 mai 2012

Liaisons dangereuses

Pierre Pestieau

Les économistes sont-ils malhonnêtes, sous influence de la finance, coupables de conflits d'intérêts... voire corrompus ? La question a d'abord été posée aux Etats-Unis avec le remarquable documentaire Inside Job de Charles Ferguson, dont il a déjà été question dans un blog précédent. Ce film a notamment dévoilé les rôles de Lawrence Summers, ex-conseiller de Barack Obama, qui s'est farouchement opposé, sous Bill Clinton, à la régulation des dérivés financiers, alors qu'il a touché lui-même beaucoup d'argent provenant de fonds spéculatifs.

En France, le débat s'est développé, dans la mouvance idéologique d'Attac, du Monde diplomatique et des altermondialistes. Tous mettent en cause l'indépendance des médias et des experts économiques. Récemment, le journaliste de Mediapart, Laurent Mauduit, a lancé un nouveau pavé dans la mare, avec Les Imposteurs de l'économie (1). Il y pose de bonnes questions. Sa thèse est qu’on ne peut plus, en ces temps de crise, éluder les sujets de transparence et d'éventuels conflits d'intérêts des économistes. Je ne suis pas sûr qu’il apporte les bonnes réponses en s'attaquant à des cibles très hétérogènes, avec des griefs parfois contradictoires, et sur un ton polémique amplifié par le sous-titre de son livre : Comment ils s'enrichissent et nous trompent !

D’abord, il est dangereux de citer des noms. L’auteur donne parfois l’impression de régler des comptes ; c’est le reproche que l’on pouvait faire à Pascal Boniface dans son ouvrage sur les faussaires de la pensée. Dans les deux cas on peut adhérer au point de vue adopté mais on est pris de malaise devant la liste des cibles. Pourquoi celles-là et pas d’autres ? Cela évoque les listes établies à des fins d’épuration ou les charrettes de la révolution.

Ensuite, je suis presque sûr que ni l’auteur ni les cibles de son pamphlet, ne comprennent les causes des crises récentes et actuelles et connaissent les remèdes (3).

Ce qu’il faut retenir est que la plupart des personnes citées par Mauduit ne sont pas considérées dans la profession comme étant des scientifiques actifs. Certaines ne l’ont jamais été. Elles n’apparaissent pas dans les classements fondés sur la qualité de la recherche. Est-ce à dire que les économistes « purs », qui n’ont pas de « fil à la patte », sont plus crédibles ? Peut-être. Ils sont plus indépendants mais connaissent moins le terrain. En définitive la question est de fixer une limite déontologique pour prévenir ce que l'économiste américain Paul Krugman a appelé la « corruption douce » ?

La question des conflits d’intérêts que peuvent connaître les économistes qui courent les plateaux de télévision et hantent les diverses radios ne se limite pas aux Etats-Unis et à la France. Il y en a aussi en Belgique, moins nombreux certes, étant donne la taille du pays et surtout celle de la communauté française. Les mêmes questions se posent et les mêmes réponses peuvent être apportées. Il faut donner au public toute l’information nécessaire pour qu’il puisse se faire une idée de l’objectivité de ces conseilleurs qui sont rarement les payeurs.

(1) Laurent Mauduit, Les imposteurs de l'économie, Enquête sur ces experts médiatiques, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2012

(2) Pascal Boniface, Les Intellectuels faussaires : le triomphe médiatique des experts en mensonges, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2011.

(3) On pourrait faire d’autres reproches à Mauduit. D’abord d’avoir consacré deux chapitres critiques il est vrai à Alain Minc et à Jacques Attali. C’est leur faire trop d’honneur. Ensuite dans sa critique de la PSE (Paris School of Economics) et de la TSE (Toulouse School of Economics), il n’a pas suffisamment souligné la qualité de ces deux centres de recherche et n’a pas évoqué l’insuffisance relative des salaires des chercheurs et enseignants au regard de ce qui se fait ailleurs.

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