jeudi 24 janvier 2013

Les deux fils indignes


Pierre Pestieau

Un fait divers comme on peut les aimer, en ce sens qu’il résume merveilleusement à lui seul une partie de la problématique de la dépendance.

Le lieu : la maison de retraite la Villa Beausoleil, à Chaville, dans les Hauts-de-Seine.
Le tarif de base : 124 euros par jour, soit 3720 euros par mois.
La victime : une dame âgée de 94 ans qui y vit depuis deux ans. Sa pension n’est pas anodine : 2 700 euros par mois. Elle souffre de dépendance lourde.
Sa famille : deux fils, l’un est médecin, l’autre gestionnaire de biens.
L’incident : vendredi 4 janvier, lassée d’accumuler des arriérés de factures non payés (plus de 40.000 euros), la direction du lieu a mis à la porte cette résidente, pour finalement l’abandonner aux urgences de l’hôpital de Châteaudun (Eure-et-Loir), après avoir trouvé porte close chez un de ses fils. Visiblement les deux fils qui ne s’entendent pas faisaient la sourde oreille ; plusieurs recommandés leur avaient été envoyés.

Comme souvent suite à de tels incidents, pour lesquels nous ne disposons que d’une information partielle, l’opinion prend parti dans une direction qui n’est pas toujours prévisible. En l’occurrence, ma première lecture des réactions politiques et médiatiques va dans le sens d’une condamnation de la maison de retraite et pas des enfants. « C’est une violation du droit et de la dignité humaine», a réagi aussitôt la ministre chargée des Personnes âgées, obligeant ainsi la maison de retraite à proposer de réintégrer la résidente. 

Au cours des semaines suivantes, on en apprendra plus sur les aspects financiers, médicaux et légaux de cette affaire. Il est possible que l’opinion change et se mette à charger les deux fils.

Les sommes citées ne sont pas surprenantes. La pension de cette dame est certainement supérieure à la moyenne ; le prix de la maison de retraite est raisonnable ; si la solidarité familiale fonctionnait, la différence entre ce prix et la pension aurait pu être couverte par les deux fils. Il est normal que les mécanismes d’assistance publique ne jouent pas ici. Ils sont censés s’adresser à des situations plus dramatiques.

Dans la plupart des pays, les enfants ont l’obligation légale, sans parler d’obligation morale, de venir en aide à leurs parents dans ce type de situation. Cette obligation est d’autant plus légitime en l’espèce que leurs situations professionnelles le leur permettent et que de surcroît il existe un patrimoine familial dont ils pourront hériter à terme. Malheureusement, il est difficile pour des raisons légales mais aussi politiques de mettre en application cette obligation. Il semblerait qu’en France comme ailleurs la famille n’hésite pas à « jouer la montre », c’est à dire à ne pas payer son dû si elle s’attend à une mort proche de leur parent dépendant. Un peu comme ces locataires qui à la veille de quitter le pays ne payent plus leur loyer sachant qu’ils agissent ainsi en toute impunité.

On voit ici l’urgence d’un mécanisme d’assurance dépendance qui permettrait d’éviter ce genre de situation. A défaut, ou simultanément, il faudrait que les tribunaux aient la possibilité de forcer les enfants qui le peuvent à aider leurs parents dépendants surtout quand ils ont déjà bénéficié de donations et qu’à terme ils hériteront du reste.

1 commentaire:

  1. "Dans la plupart des pays, les enfants ont l’obligation légale, sans parler d’obligation morale, de venir en aide à leurs parents dans ce type de situation" Oui, mais dans tous les pays, la maltraitance des personnes âgées concerne 1 personne sur 8. Idem pour les enfants battus, les femmes battues, le harcèlement moral en entreprise et probablement une part des perversion sexuelles. La société couvre tant bien que mal, c'est-à-dire qu'il y a de bonnes âmes qui payent pour ceux dont la cervelle morale n'est pas plus développée qu'un petit pois. Cf. par exemple les stat. du Capam http://www.capam.be/statistiques.html

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