jeudi 12 février 2015

Mieux vaut laisser mourir les Grecs que les banques

Victor Ginsburgh

Le titre d’un article mis en ligne vendredi serait à mourir de rire s’il n’était pas tragique : « La zone euro brise le cercle vicieux » (1). Et de continuer par des discours auto congratulatoires de la BCE et de la Commission européenne : « La relance des investissements et la chute du pétrole [sic] devraient donner un coup de fouet à la croissance… La Commission européenne se joint à son tour à l’élan d’optimisme entourant la croissance sur le vieux continent. Tous les pays de l’UE devraient sortir de récession cette année [et] la Grèce croîtra quasiment deux fois plus vite que la moyenne européenne ».

Ca va lui donner des ailes à la Grèce de croître de 2,6% en 2015, après une chute de quelque 25% de son PIB en trois ans, chute épaulée par un taux de chômage de 25% (50% parmi les jeunes) et des soins médicaux qui font que lorsque les patients arrivent à l’hôpital, ils doivent louer leur propre infirmière (qui est en général une fausse infirmière, sans le diplôme requis) pour recevoir les soins de base que le système médical en faillite ne peut plus assurer. Même les chaises qui permettent aux visiteurs de s’asseoir auprès de leurs proches dans les chambres d’hôpital doivent être louées (2).


Comme vous le voyez, on peut laisser mourir les Grecs dans des hôpitaux sous-encadrés, mais il faut absolument que les banquiers qui n’arrêtent pas d’aider la Grèce de façon si généreuse, perçoivent leurs intérêts lorsqu’ils arrivent à échéance.

Venons-en à ces généreux banquiers. Voici ce qu’en dit
Plutarque, Vies des Hommes Illustres de l'UE et de la BCE
Kenneth Rogoff, professeur d’économie à Harvard, qui n’est pas vraiment un gauchiste. En dépit des erreurs passées des gouvernements grecs, « l’Europe doit être beaucoup plus généreuse [avec la Grèce] en passant une partie de sa dette par pertes et profits, et de façon plus urgente, en réduisant les remboursements à court terme. Disons clairement que les malheurs de la Grèce ne sont pas tous venus du pays lui-même. D’abord, l’UE a été irresponsable d’admettre la Grèce dans la zone euro. Ensuite, ce sont les banques allemandes et françaises qui ont financé la dette grecque, ce qui leur a permis d’engranger des profits énormes. Il est peu réaliste de croire que la Grèce pourra rembourser ce qu’elle doit à court terme ; il faut espérer qu’elle ne sera pas forcée de sortir de la zone Euro et cette dernière doit assouplir sa position si elle ne veut pas disparaître » (3).

Le prix Nobel Joseph Stiglitz, pour sa part, suggère que les plans d’austérité ont rarement réussi à relever un pays, et que même le Fonds Monétaire International est aujourd’hui prêt à l’admettre. La Grèce (dont il a conseillé le gouvernement en 2010) qui a soigneusement suivi les recommandations des trois génies de la troïka (la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire) se retrouve avec une augmentation de 35% de son ratio dette/PIB par rapport à la situation de départ. Ce qui est nécessaire écrit Stiglitz, c’est « une refonte complète de la politique de la zone Euro dont les performances se sont révélées spectaculairement mauvaises [the monetary’s union spectacularely bad performance]… c’est l’Europe tout entière qui est responsable de ce qui est arrivé, et pas la seule Grèce. Ce qui serait immoral, ce n’est pas la restructuration de la dette, mais le refus de la restructurer. Si l’Europe dit non aux électeurs grecs qui veulent un changement, elle dit aussi que la démocratie n’a pas d’importance, une fois qu’il est question d’économie » (4).

Et de conclure « il faut espérer que ceux qui comprennent les aspects économiques de la dette et de l’austérité, et qui croient aux valeurs démocratiques et humaines vont vaincre ».

Mais dans le monde actuel, on sauve, hélas, plutôt les banques que les vies…


(1) Cédric Boitte, La zone euro brise le cercle vicieux
(2) Danny Hakim, Greek austerity spawns fakery: playing nurse, New York Times, February 7, 2015. Voir http://www.nytimes.com/2015/02/08/business/greek-austerity-spa…se.html?emc=edit_th_20150208&nl=todaysheadlines&nlid=33216102
(3) Kenneth Rogoff, What is plan B for Greece? http://www.project-syndicate.org/commentary/greek-exit-syriza-troika-negotiations-by-kenneth-rogoff-2015-02

1 commentaire:

  1. mais comment aucun journal (français) ne dit la moitié du quart de ce que tu dis (et que Jo avait annoncé!). Ah, ils sont financés par les banques?

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