jeudi 5 février 2015

Les Charlie sont morts plusieurs fois pour rien

Victor Ginsburgh

« Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme » (Antoine Compagnon, Le Monde, 16 janvier 2015).

L’immédiateté n’est pas toujours bonne conseillère. Quelques semaines à peine après Charlie, et le soufflé des quatre millions s’essouffle. Les quelques jours qui ont suivi les assassinats ont déjà montré que les Charlie sont morts plusieurs fois pour rien, parce que leur mort a été volée. Mais ils continuent de rire où ils se trouvent

La première fois, quand certains qui se croient démocrates défilent parmi les quatre millions de Français et se faufilent au premier rang, dont Netanyahou, bien évidemment. D’autant plus surprenant « qu’en Israël, Charlie Hebdo n’aurait pas même eu le droit d’exister, puisqu’une loi israélienne interdit de représenter Moïse, Jésus ou Mohammed d’une manière qui pourrait heurter les sentiments des croyants » (1). Mais qu’est-ce qu’il foutait là ce monsieur (avec un m très minuscule)?

Faire appel à la peur que semblent éprouver certains Juifs français de vivre en France et leur proposer de s’exiler en Israël ; s’arranger pour faire enterrer en Israël les Juifs assassinés à l’Hyper Casher — comme si on pouvait être en même temps hyper et casher. Bien joué politiquement, il sera sûrement réélu.

La deuxième fois quand tous les grands de ce monde, y compris MM. Hollande, Obama, le Roi de Prusse et consorts se sont rendus en Arabie Saoudite pour présenter leurs condoléances et faire allégeance à celui dont le père venait de faire exécuter « quelques » personnes, dont une femme décapitée en public à La Mecque à la mi-janvier 2015 (2). Les dignitaires n'ont pas voulu serrer la main de Mme Obama. C’est l’état des Droits Humains dans cette partie du monde (et aussi ailleurs).

Enfin le coup de grâce de la troisième fois, pour autant que le mot soit lié à « gracieux » ce qui est bien le cas. Et ceci ne s’est pas passé en Arabie Saoudite, mais très près de chez nous.

A Clichy-la-Garenne, en France républicaine (3), le 24 janvier 2015, une exposition est ouverte avec des œuvres de dix-huit femmes artistes. Dont l’Algérienne
Zoulikha Bouabdellah et son œuvre Silence, représentée dans la photo ci-contre. Silence représente des « tapis de prière alignés, un cercle découpé dans chacun et dans chaque cercle, une paire d’escarpins » (4) à talons hauts. Bien entendu, femme, tapis de prière, talons hauts font mauvais ménage. L’œuvre a été retirée, avec l’« accord » de l’artiste (qui n’était sûrement pas d’accord) « afin d’éviter toute polémique et récupération au sujet de la présentation de cette installation qui ne représente aucun caractère blasphématoire ». Avec l’accord et oserais-je dire, la bénédiction, du maire socialiste de la ville de Clichy-la-Machin (5).

Les autorités du Festival de la BD d’Angoulême (qui vient d’avoir lieu) ont montré un peu plus de poil au c… (si on peut s’exprimer ainsi, face à la mort. Oui aurait dit Charlie). Ils ont non seulement donné un prix spécial, malheureusement posthume aux dessinateurs de Charlie Hebdo, mais ont aussi créé un « prix de la liberté d’expression » qui sera décerné chaque année. Ce qui ne veut pas dire que le maire UMP d’Angoulême en a du poil. C’est lui qui avait fait installer des grillages autour des bancs publics de sa ville pour empêcher les clodos et sans-abris de s’y reposer. Mais où sont les bancs publics d’antan de Brassens ? Qui était sûrement Charlie aussi.

Comme Mme Taubira, à la fin de son discours (6), répétons tous les jours ces mots de Paul Eluard :

« Tu rêvais d’être libre, et je te continue ».


(1) Ido Amin, In Israel, Charlie Hebdo would not even had the right to exist, Haaretz, January 12, 2015. Voir http://www.haaretz.com/misc/article-print-page/.premium-1.636511?trailingPath=2.169%2C2.223%2C
(3) Notez les deux hexasyllabes qui riment et forment (à une syllabe près), un alexandrin !
(4) Philippe Dagen, A Clichy, « Silence » fait du bruit, Le Monde, 29 janvier 2015.
(5) Face à l’absence de soutien du maire (qui est toujours encore socialiste, mais deviendra sans doute FN bientôt) les artistes ont pris la décision de décrocher l’exposition le 9 février. Voir Libération, 3 février 2015 http://next.liberation.fr/arts/2015/02/03/l-exposition-femina-de-clichy-va-etre-decrochee-a-la-demande-des-artistes_1194141?xtor=EPR-450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot
(6) Voir le discours de Christiane Taubira, Garde Des Sceaux, sur

1 commentaire: