mardi 20 juin 2017

« Tu enfanteras dans la peine » et son étrange effet sur notre évolution

Victor Ginsburgh

Après la tentation malheureuse du serpent dans le jardin d’Eden, voici ce que YHVH a dit à la femme : « Je multiplierai, je multiplierai ta peine et ta grossesse, dans la peine tu enfanteras des fils » (Genèse 3, 16). Il a ajouté d’autres choses pas toujours très aimables pour la femme comme : « A ton homme, ta passion : lui, il te gouvernera » mais s’est un peu rattrapé en disant à l’homme « A la sueur de tes narines, tu mangeras du pain jusqu’à ton retour à la glèbe dont tu as été pris. Oui, tu es poussière, à la poussière tu retourneras » (Genèse 3, 19) (1).

Mon propos ici est le pourquoi de l’enfantement dans la souffrance et le comment l’être humain a changé les choses grâce à (ou à cause de) la césarienne, qui elle-même est en train de changer l’évolution de l’être humain. Mais comme dans la Genèse, commençons par le commencement.


L’être humain est le seul mammifère qui marche sur deux pattes et cette station debout aurait, pour faciliter la marche, rétréci son bassin et donc son pelvis (2), ce qui rendrait plus difficile la sortie de la tête (et des épaules) du bébé lors de l’accouchement qui devient plus long et plus douloureux (3). L’évolution a cependant fait une partie du chemin : le bébé humain est le seul mammifère dont le cerveau n’est pas entièrement formé lors de la naissance, ce qui réduit la taille de la tête, mais ne suffit pas toujours.

Nous avons donc inventé la césarienne. Une recherche de Fischer et Mitteroecker (4) montre que son utilisation pourrait avoir augmenté de près de 20% (de 30/1000 à 36/1000 accouchements) durant les 60 dernières années. Pourquoi ?

Voici leur raisonnement qui n’est, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ni circulaire ni peu vraisemblable, ni tout à fait facile à comprendre tout en n’étant qu’une hypothèse. Accrochez-vous.

L’évolution favorise donc d’une part le bassin étroit (qui rend la marche plus aisée), mais aussi les bébés plus gros (parce leurs chances de survie sont plus grandes). Une contradiction de la nature ?

Dans le passé, la mère à bassin étroit et/ou l’enfant à tête large avaient tous deux un risque accru de décéder durant l’accouchement, ce qui rendait la transmission de leurs gènes impossible. Par contre, les mères à bassin large pouvaient avoir des bébés plus joufflus et transmettaient des « gènes de bassin large ». Les deux effets contribuaient à l’apparition dans la population d’une proportion plus grande de femmes à bassin large. Donc tout allait bien.

Mais aujourd’hui, même si elles ont un bassin trop étroit, les futures mères préfèrent des bébés plus gros qui survivent mieux, et comme la césarienne est possible, elles se sentent en sécurité. Donc, non seulement les gènes de bassin étroit se transmettent au bébé (garçon ou fille), mais de plus, la mère survit, ce qui augmente la proportion de bassins étroits… et de futures césariennes.

Ce qu’il fallait démontrer pour comprendre la raison de l’augmentation du nombre de césariennes.

PS. Mon coblogueur Pierre, auquel je donne toujours à lire mes blogs, et lui fait de même avec moi, me signale la chose suivante :

« Il y a 60 ans, quand j’avais une occupation de fermier, les césariennes étaient des exceptions pour les vaches. Quelques dizaines d’années plus tard, elles sont devenues habituelles. Avec l’insémination artificielle et le choix de spermes, les éleveurs cherchent les races bovines de type ‘culs de poulain’ trop fortes pour passer par les voies naturelles. Cela a fait l’objet d’un livre intéressant de Georges-Albin Terrien La glèbe (1999), qui raconte la lutte des paysans contre les vétérinaires. Devant les retards des vétérinaires à intervenir, beaucoup de vaches mourraient. Les fermiers ont alors décidé de procéder eux-mêmes à des césariennes, ce pourquoi ils ont été condamnés devant les tribunaux ».

Merci Pierre, c’est étonnant, mais lié à l’homme lui-même (tu me diras la césarienne aussi), et le bassin des vaches n’a pas évolué.

C’est toi qui prendras dans le g… tout ce que les femmes pourront te dire de l’éventuelle comparaison que tu fais d’elles et des vaches. Pour nous disculper, la semaine prochaine, je vous promets un blog sur le féminisme…

(1) Les traductions sont celles de Chouraqui.
(2) Certains singes peuvent aussi marcher sur deux pattes, mais leur marche habituelle est le quatre-pattes.
(3) Il est très probable que les autres mammifères souffrent aussi, mais ils mettent bas plus rapidement.
(4) P. Mitterroecker, Covariation between human pelvis shape, stature and head size alleviates the obstetric dilemma, Proceedings of the National Academy of Sciences (US), October 24, 2014.




1 commentaire:

  1. Merci Victor !
    Merci pour cet argument biologique ... mais n'y en a-t-il pas aussi un de nature économique. La hausse de la part des césariennes est peut-être aussi due à une élévation du pouvoir d'achat, à un différentiel de revenus si la césarienne est plus lucrative ou à une protection contre les procès si les césariennes réduisent le risque de plaintes.
    Très bon WE !
    Etienne

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