lundi 30 octobre 2017

Celui qui le dit

Pierre Pestieau
La pertinence d’un propos dépend-elle de la moralité de celui qui le profère ? En d’autres termes, une affirmation telle que « le harcèlement sexuel est haïssable et devrait être davantage poursuivi » serait-elle moins fondée si elle émanait de Harvey Weinstein, connu aujourd’hui comme le porc. Cette question est proche de celle que soulevait Marcel Proust dans son Contre Sainte Beuve, quand il s’attaquait à celui pour qui l'œuvre d'un écrivain serait avant tout le reflet de sa vie et pourrait s'expliquer par elle. Proust estimait que la critique d’une œuvre devrait être dépourvue d'éléments qui lui sont extérieurs.
Cette réflexion m’est venue à la lecture d’un roman que je recommande, L’imposteur, qui narre l’histoire d’un homme qui fut longtemps en Espagne le président emblématique de l’Amicale de Mauthausen en portant ainsi la parole des rescapés des camps de la mort, alors qu’il n’y avait jamais mis les pieds (1). L’auteur, Javier Cercas, s’interroge sur les conséquences de la découverte de cette imposture. Servira-t-elle d’argument aux négationnistes ?


L’affirmation « Dévaloriser le financement des mécanismes de solidarité, c’est les tuer » me paraît on ne peut plus pertinente. Mais cette pertinence se trouve-t-elle déforcée si la personne (2) qui l’a proférée, une députée de la France Insoumise, est accusée, preuves à l’appui, d’avoir évité de payer ses cotisations sociales pendant plusieurs mois ?
Imaginons que, pressé par Paul Rosenberg (3), et manquant de temps, Matisse ait pris la toile d’un peintre inconnu mais talentueux, ayant un style proche du sien, et l’ait signée. Cette toile aurait sans nul doute pris de la valeur non seulement financière mais aussi artistique. Cette valeur artistique s’écroulerait-elle le jour où on découvrirait la supercherie ?
Matisse n’a sûrement pas commis une telle imposture mais je connais un excellent économiste (4) qui a fait exactement cela. L’article qu’il signé a gardé toute sa pertinence même après que l’on ait découvert que son véritable auteur était un économiste excellent mais inconnu (5).


(1) Javier Cercas, L’imposteur, Babel, Actes Sud, 2015.
(2) Raquel Garrido, Le Canard Enchaîné, 4 et 11 octobre 2017)
(3) Paul Rosenberg était un marchand d'art et un galeriste, célèbre pour avoir représenté Braque, Picasso et Matisse. Il construisait une relation unique avec ces artistes, leur assurant une certaine sécurité sur leurs revenus en acceptant d'acheter leurs œuvres sur une base contractuelle assortie d'une exclusivité.
(4) Ce n’est pas le XY du blog de Victor Ginsburgh, paru la semaine dernière.
(5) (5) Sur le même thème, l’actualité récente nous interpelle. Il y a le boycott exigé des films de Roman Polanski et Woody Allen. Et Le Monde du 28 octobre, dans deux articles indépendants, l’un sur Michel Audiard, et l’autre sur Heidegger, montrait, nouveaux documents à l’appui, leur complicité avec les nazis et leurs efforts pour la cacher.

1 commentaire:

  1. Merci Pierre ! J'en profite pour recommander du même Javier Cercas les superbes "Soldats de Salamine", avec en toile de fond l'exode des Républicains espagnols début 1939.

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