mercredi 12 septembre 2018

Le français : Comment l’écrire?

Victor Ginsburgh

Le Conseil de la langue française et de la politique linguistique, qui dépend du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), avait en 2015 suggéré de réformer l’accord du participe passé. Et trois ans plus tard, Jean-Marie Klinkenberg, le linguiste belge qui préside ce conseil, « souhaite une réforme parce qu’il est impossible d’expliquer intelligemment le pourquoi de cet accord (1). La langue c’est notre principal instrument pour nous situer dans la société, pour avancer... Il faut que chaque citoyen puisse se sentir chez lui dans sa langue. Tout ce qui l’infantilise et le fragilise on doit le corriger » (2).

Ce sont évidemment ceux qui s’expriment le mieux qui veulent reformer la langue française. A titre d’exemple, voici deux jolies phrases compétentes par iceux—forme ancienne de ceux-là—qui sont responsables de l’enseignement (3) :


« Les autorités de la Belgique francophone ne réformeront l’accord du participe passé qu’à condition que cela se fasse dans un cadre international », a annoncé un responsable de la FWB, entité compétente sur ces questions.

A partir d’aujourd’hui, il faudra doncques dire « qu’à condition que » au lieu de « pour autant que ».

Eric Etienne, porte-parole de la ministre de l’Education, Marie-Martine Schyns, a également déclaré que « avancer là-dessus devrait se faire dans un cadre international, sinon ça n’a pas beaucoup de sens ».

Encore que la forme « avancer là-dessus » soit permise—que l’on peut aussi mettre à l’indicatif en écrivant est permise (4)—elle n’est pas plus élégante que « avancer là-dessous ».

La Belgique propose de changer l’accord du participe passé selon que le complément d’objet direct précède ou suit—ici le subjonctif est prescrit, en tout cas par l’Office québécois de la langue française—le verbe : On pourra par exemple écrire « les crêpes que vous avez mangé ».

Et Libération (5), toujours à l’avant-garde, publie un article écrit par deux anciens professeurs de français (belges d’après le nom du premier en tout cas) qui estiment que « l’incohérence des règles traditionnelles empêche [les professeurs] de donner du sens à leur enseignement. Le temps moyen consacré aux règles actuelles est de 80 heures, pour atteindre un niveau dont tout le monde se plaint. Il serait tellement plus riche de le consacrer à développer du vocabulaire, apprendre la syntaxe, goûter la littérature, comprendre la morphologie ou explorer l’étymologie ».

J’aime surtout les mots italisés de cette dernière phrase qui propose de consacrer plus de temps à l’étymologie des mots. Comment peut-on explorer l’étymologie du français si l’on enseigne de moins en moins le grec (et le latin).

J’ai acheté un dictionnaire de grec ancien il y a quelques années, au moment où la Grèce, prise dans l’étau de ces créanciers, allait si mal. Je voulais me rappeler un peu le grec ancien du lycée et les premières syllabes que nous apprenions en riant assis sur, ou plutôt couchés sous, nos bancs en quatrième année — c’est-à-dire en troisième depuis la « modernisation » de la numérotation des années études : « hemeras he selené », qui signifie le jour (au génitif) et la lune au nominatif. Etant donné l’écriture grecque que nous utilisions encore mal, dont le rho qui ressemblait à un f, nous transformions « hemeras he selené » en « et mes fesses et ses nénés », bien avant de connaître le plus compliqué et plus célèbre « ouk elabon polin, alla gar elpis efe kaka ».

Aujourd’hui, mon grec se résume à lire ce vieux dictionnaire et, très régulièrement, à me casser la tête pour retrouver les sources étymologiques de pas mal de mots français, que je me représente toujours en caractères grecs :  c’est mon clin d’œil quotidien, ou presque, à la Grèce, mais c’est aussi un exercice qui rafraîchit sans cesse ma mémoire vieillissante.

Et si vous me le permettez, je continuerai à traiter les crêpes comme dans le temps et à penser au grec quand j’écris le mot ortografe. Ni l’un, ni l’autre n’est (ou ne sont) impossible(s).



(1) Pas plus, cher collègue Klinkenberg, qu’on ne peut expliquer pourquoi les verbes qui se terminent en -er, -ir, -oir et –ire se conjuguent différemment, pourquoi il y a des exceptions dans les pluriels de certains mots et bien d’autres choses encor (qui est toujours écrit avec e, sauf exceptionnellement dans ce cas-ci, je me sens poète et veux éviter une syllabe qui dépasse mon alexandrin).

(2) Accord du participe passé: la demande de changement de règle vient aussi de l'étranger, RTBF. https://www.rtbf.be/info/dossier/rtbf-culture/detail_participe-passe-la-demande-de-changement-vient-aussi-de-l-etranger?id=10013967

(3) Accord du participe passé: la Belgique ne réformera pas seule, Le Vif, 8 septembre 2018.

(4) « Le subjonctif est le mode du virtuel, autrement dit de l’action moins effective qu’envisagée » (Bruno Dewaele, professeur de lettres modernes à Hazebrouck, France!). C’est plus compliqué que le complément d’objet direct avant ou après le participe passé.


(5) Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, Les crêpes que j’ai mangé : Un nouvel accord pour le participe passé, Libération, 2 septembre 2018.

5 commentaires:

  1. Ah la bonne Pauline est de retour...

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  2. Alors que c'est si simple d'expliquer pourquoi... Le but de l'orthographe et de la grammaire n'a jamais été de simplifier l'écriture ; ça a toujours été de simplifier la lecture.

    Les accords, les conjugaisons, tout cela n'a d'autre finalité que de permettre au cerveau, quand il interprète ce qu'on lit, de confirmer les relations entre les différents éléments du discours. Chaque fois qu'on "simplifie" pour permettre d'écrire plus facilement, on complique la lecture.

    Or, je ne sais pas si vous avez remarqué, un texte une personne l'écrit une fois (oui c'est du Belge) mais plusieurs personnes le lisent plusieurs fois...

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  3. Les langues ont toutes leur soi-disant incohérences... autant de particularités qui contribuent à leur identité. Ces "linguistes" sont des apprentis sorciers.

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  4. Les langues ont toutes leurs soi-disant incohérences... autant de particularités qui contribuent à leur identité. Ces "linguistes" sont des apprentis sorciers.

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  5. très à la mode, mais moches et à mon avis incorrects:
    -"au final" au lieu de "à la fin" (comme on dit "au début", et pas "au initial")
    -"il est sur Paris" (NB: ce n'est pas un prénom, mais une ville), au lieu de "il est à Paris"

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