jeudi 4 février 2021

Il était une fois un pays

Victor Ginsburgh (1)

Il était une fois un petit pays.
Un jour le petit pays fut frappé d’une grande épidémie.

On informa sur-le-champ le petit président du conseil,
qui a son tour appela le petit président du royaume,
qui en informa les petits présidents émérites,
qui en informèrent les petits présidents des conseils régionaux, généraux,
municipaux, et de quartier, qui en avisèrent
tout le conseil d’administration des présidents
et les hiérarchies présidentielles de présidents de toute présidence
dans tous les coins du petit pays.

Tous présidents, en qualité de présidents, présidaient,
mais ils n’avaient pas d’autres talents
et contre l’épidémie ils ne savaient que faire.

Ils appelèrent le président de la Congrégation
des Hommes de Science qui dit :
« Il est évident, chers collègues présidents,
que l’épidémie est causée par quelque charogne contagieuse ».

Mais comment pouvait-on dire une bêtise pareille ?
Le petit pays avait sa petite foi,
les cadavres étaient régulièrement enterrés
et la cause de l’épidémie devait être trouvée ailleurs.

On appela le président de la Congrégation des
Libres citoyens contre les Minorités raciales, qui dit :
« L’épidémie est une conséquence de la multiracialité.
Les immigrés apportent des maladies incurables et inconnues.
Brûlons nègres et Roumains et nous stopperons la contagion ».

On dressa de hautes piles de bois
et on y conduisit les immigrés.
Le feu dura des jours et des jours, et bientôt on les eut tous éliminés.

Pourtant, la contagion persista.

On appela le Président de la Congrégation
des Libres citoyens contre les Minorités religieuses et sexuelles, qui dit :
« L’épidémie est le résultat du compromis déviant
du nombre de nos petits concitoyens.
Brûlons homosexuels et putains et nous stopperons la contagion ».

On dressa de hautes piles de bois
et on y conduisit les prostituées et les homosexuels.
Le feu dura des jours et des jours, et bientôt on les eut tous éliminés.

Pourtant, la contagion persista.

Finalement, le peuple invita sur la grande place du petit pays :
le président du conseil,
le président du royaume,
les présidents émérites,
les présidents des conseils régionaux, généraux,
municipaux, et de quartier, qui en avisèrent,
tout le conseil d’administration des présidents
et les hiérarchies présidentielles de présidents de toute présidence
dans tous les coins du petit pays.

Cette masse encombrait l’entièreté de la grande place du petit pays,
ce qui les a tous rendus contagieux parce qu’ils ne respectaient pas la distance,
et tous moururent.

On dressa de hautes piles de bois
et on y conduisit la masse gigantesque des présidents de toutes sortes.
Le feu dura des jours et des jours, et bientôt on les eut tous éliminés.

Alors seulement la contagion s’est arrêtée…

(1) Très largement inspiré d’un écrit d’Ascanio Celestini dans Discours à la Nation, Paris : Les Editions Noir sur Blanc, 2014. A lire tout de suite !


2 commentaires:

  1. Nous avons parmi nous un poète. Félicitations. Mes réflexions not error proof.
    Les épidémies sont des agressions contre l’homo Sapiens qui nous révoltent. Comment, nous les premiers prédateurs de ce monde, qui avons nettoyé la terre des autres espèces « humaines » (l’homme de Néandertal est-il un humain ou un primate ?) il y a quelques dizaines de milliers d’années, pouvons-nous à notre tour être attaqué par ces entités sans foi, ni loi, ni morale, ni religion, ni conscience, ni même langage ? Les virus nous attaquent sans sommation, sans raison que nous leurs connaissions. Mais il semble, face à ce nouvel ennemi, que nos Sociétés découvrent leurs propres cacophonies. On pensait se parler, on pensait communiquer et on découvre que la langue sert à tout autre chose que la communication ; ce modèle de l’ingénieur, de Shannon et de Wiener. Elle sert à endormir, comme les berceuses des enfants, elle sert à se parler, elle sert à se faire reconnaitre, à se faire aimer ou détester. Non la Société n’est pas une armée où les ordres ne sont pas contestés. Et même ce modèle est empeigné par notre culture, encore les hypothèses implicites : le général chinois est celui qui sait ne rien faire et qui n’apparait pas dans les livres d’Histoire. Nous, qui avons utilisé la science pour dominer le Monde, nous voulons tous y être, avec ou sans virus. Apprenons à ne rien faire, avant de nous agiter comme des rats effrayés par l’arrivée d’un serpent. Agir, oui, mais il faut définir l’état d’urgence et trouver la bonne vague sur laquelle il suffit de se laisser porter.

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  2. Ah !... dans ces pages l'humour est de retour ... On va lire et recommander cet auteur Ascanio Celestini. Je ne sais pas s'il est économiste, mais je le suppose car il existe un humour spécifique aux économistes... C'est un humour pas tout à fait noir, seulement désespéré... Personne ne nous écoute jamais vraiment... Un humour "à la Cassandre", et qui se transforme ici en un humour de cendres tout court...

    Humour dans le ton d'une autre fable: celle qui sous le masque d'un brillant paysan Oiko Nomos (n'est autre qu'Edmund Phelps lui-même), arrivant à 28 ans en Solovia (le département d'économie de Yale University), ridiculise ses savants experts mathématiciens et statisticiens en donnant des règles de croissance optimale à enseigner à son rottweiler ["https://www.jstor.org/stable/1812790?seq=1"].

    Cet humour qui ne tue personne puisque, quand enfin on les brûle, ils sont déjà morts...

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