jeudi 2 février 2023

Le Boléro de Ravel

Victor Ginsburgh 

Un puzzle pour le moins incompréhensible a trait à l’héritage de Maurice Ravel, d’ascendance suisse, mais néanmoins français, et dont tout le monde connaît le fameux Boléro dit de Ravel. Ce dernier est joué à peu près cent fois par jour (tous les quarts d’heure) dans le monde, ce qui finit par rapporter à son ou ses ayants droit la modique somme annuelle de 1,5 millions d’euros. Sans rien faire, rien qu’en étant l’héritier de l’héritier de l’autre héritier, mais aussi, au fil du temps d’une ou de deux héritières. Voici quelques détails glanés dans un article très amusant (1).

Maurice Ravel

Voici en très raccourci, quelques détails de la passation des droits d’auteur entre 1937 (date de décès de Ravel) et 2022. L’histoire commence évidemment par Ravel et finit par tomber dans le domaine public le premier jour du mois d’octobre 2022, alors que le compositeur est mort il y a 85 ans et que la durée du droit s’élève à environ 78 ans (70 ans en principe, plus 8 ans pour compenser les pertes de la guerre 40-45, que Ravel n’a pas vécues). 

A sa mort, Ravel qui n’avait pas de bébés, fait de son frère Edouard son héritier. Edouard et son épouse Angèle ont un accident de voiture et prennent une masseuse, Jeanne, pour les soigner. Angèle meurt peu après. Jeanne s’installe auprès du frère de Ravel et devient, comme par hasard, la légataire universelle d’Edouard, ce qui fâche douloureusement un certain directeur des Editions Durand qui prétend posséder les droits d’édition de Ravel. Par un coup de malchance, Jeanne meurt en 1965. Son mari, Alexandre, devient l’héritier du Boléro et épouse une certaine Georgette. L’héritière des droits, fille de la seconde femme du mari de l’infirmière masseuse du frère de Ravel intente, en 2018, un procès à la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique afin de prolonger de 23 ans les droits du Boléro, alors que le droit d’auteur était déjà largement épuisé. 

Entretemps (c’est-à-dire entre 1937 et 2022), on découvre un petit-cousin de Ravel, qui bien entendu, porte plainte mais perd le procès… Il va en appel, mais hélas pour lui, après neuf ans, le tribunal juge que le veuf de Jeanne est bien l’héritier d’Edouard. Alexandre finit par mourir. Sa femme Georgette quitte la France et s’installe en Suisse, le pays où il est difficile de ne pas être honnête. 

Il y a, comme vous le voyez, d’autres aventures, bien plus extravagantes que celles de Tintin, et enfin, le premier octobre 2022, comme il est dit plus haut, le Boléro est tombé dans le domaine public. 

Qui d’entre vous est prêt à essayer de faire un procès à « domaine public » ? N’oubliez pas que le Boléro devrait augmenter vos étrennes de €1,5 millions par an. Ce n’est pas rien. Je pourrais vous conseiller l’avocat dont il est question plus haut.


(1). Juliette De Banes Gardonne, Droits d’auteur : Le gros magot de Ravel, paru dans le journal suisse Le Temps, 29 septembre 2022. Un grand merci à Philippe J., professeur honoraire d’histoire de l’art à l’Université de Lausanne. Il m’a donné l’occasion de lire cet article : il connaît bien mes préférences.

3 commentaires:

  1. Rocambolesque ! Il doit y en avoir d'autres de ces histoires, mais celle-ci est particulièrement intéressante. Merci Victor.

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  2. C'est une affaire d'autant plus sensible, cfr l'excellente émission de Fabrice Drouelle qui en avait parlé, qu'il est même question de rallonger la durée de ce droit de suite parce que la version la plus jouée, dite définitive, aurait été terminée bien plus tard. Un joli magot

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  3. Qu'il me soit permis de recommander l'excellent article de Vincent Arlettaz sur Maurice Ravel et son oncle peintre genevois. L'article (https://www.rmsr.ch/sommaire/2022-2.htm) est paru en juin dernier dans l'excellente Revue Musicale de Suisse Romande, dont Arlettaz, fin musicologue et mélomane, est l'éditeur. Vous trouverez dans l'article des informations sur l'oncle (peintre intéressant) et sur la relation de Maurice Ravel avec Genève. L'influence basque de sa mère a éclipsé son lien avec le Léman, bien que ce soit l'héritage de l'oncle qui lui a permis d'acheter la maison de Montfort l'Amaury.

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