jeudi 26 janvier 2023

Dialogue de sourds

Pierre Pestieau

Dans son édition du 16 janvier, Le Monde (1) consacrait à la politique environnementale un article fort intéressant intitulé : « Entre experts, dialogue de sourds sur le climat ». Il semblerait en effet qu’en matière climatique, économistes et scientifiques (2) parleraient deux langues différentes. Cette opposition est, soit dit en passant, désobligeante pour les économistes qui se veulent scientifiques, même si on dit de l’économie qu’elle est une science lugubre (dismal science).  Selon Le Monde, « les premiers abordent le sujet par les prix seuls capables, à leurs yeux, de donner une valeur aux ressources naturelles et de modifier les comportements humains-lorsque les prix augmentent les individus sont censés chercher des solutions de substitution. Les seconds, en bons physiciens, l’approchent généralement par les quantités, la finitude la planète étant une contrainte indépassable, tandis que la monnaie s’imprime à volonté, comme les dernières crises l’ont montré. » 

En réalité, les deux approches se rejoignent. Prenons un petit exemple, celui d’un bien rare à allouer entre deux individus. Ce bien rare pourrait être le nombre total de miles de vol autorisés chaque année. L’économiste proposera de laisser le marché décider de la consommation de ce bien dont l’offre est fixe. Chaque individu a une demande pour ce bien qui dépend du prix et qui varie en fonction du revenu de chacun et de sa préférence pour ce bien. Si le premier individu est plus riche et a une préférence plus élevée pour le bien rare, sa consommation sera plus élevée. Le prix du bien sera déterminé par l’égalité entre l’offre fixe et la demande de nos deux individus. Cette allocation peut s’avérer injuste. Elle pourra être corrigée par une subvention du riche au pauvre. Même si les revenus sont égalisés, le riche continuera à consommer davantage du bien rare pour lequel il a une préférence supérieure.

Passons à la solution du scientifique. Au nom d’un certain sens de la justice, il peut décider de diviser le bien rare en deux parties égales.  Une telle allocation n’est pas optimale. Le pauvre préfèrerait consommer moins de ce bien rare et davantage d’autres biens qui lui paraissent plus désirables. Il est àparier que s’établira rapidement un marché pour ce bien rare, avec pour conséquence que le pauvre vendra au riche une partie de ses droits au bien rare afin de se procurer d’autres biens. En définitive, on aboutira à un marché pour le bien et il n’est pas impossible qu’on arrive à la même solution que celle préconisée par l’économiste. Il suffit pour cela d’ajuster correctement le transfert forfaitaire redistributif.

Si le scientifique veut interdire au pauvre de vendre une partie de son bien fixe, on aura une solution sous-optimale qui ne pourrait se justifier qu’en invoquant une certaine irrationalité de la part d’individus qui rejettent l’allocation que le petit père du peuple leur a proposée. Il me semble difficile d’accepter une telle politique paternaliste. Par ailleurs, la solution des économistes pose un autre problème : si elle n’est pas accompagnée de transferts forfaitaires compensatoires, elle est injuste. Ce ne serait pas la première fois que l’on proposerait une politique à deux volets, marché pour le bien rare et redistribution, et que très rapidement on renonce au second volet.



(2). William Nordhaus, prix Nobel en économie et Jean-Marc Jancovici, ingénieur, très médiatique, sont les défenseurs de ces deux approches. 

1 commentaire:

  1. bel exemple que je vais probablement reprendre dans mon cours de BAC3

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