jeudi 6 juin 2024

Oubliée : Lizzie Magie, inventrice inconnue du Monopoly

Victor Ginsburgh (*)

Nous avons (presque) toutes et tous joué au Monopoly dans notre jeunesse et peut-être encore aujourd’hui. C’est Lizzie Magie, féministe plutôt de gauche, qui l’a inventé sous le nom de The Landlord’s Game au début du 20ème siècle. Le jeu a été publié en 1906 par l’Economic Game Company, dont elle était propriétaire. Nuit après nuit, une fois son travail de bureau terminé, Lizzie s'asseyait chez elle, dessinant et redessinant, pensant et repensant. Elle voulait que son jeu de société reflète ses opinions politiques progressistes – c'était tout l'intérêt.

Ebauche du jeu inventé par Lizzie Magie

Le jeu de Lizzie comportait de l'argent fictif, des actes et des propriétés riches ou moins riches qui pouvaient être achetés et vendus. Les joueurs empruntaient de l'argent, soit à la banque, soit entre eux, et devaient payer des impôts. Dans un coin se trouvaient la maison des pauvres et le parc public (coin inférieur gauche), et de l'autre côté se trouvait la case Go to Jail (coin supérieur gauche). Rappelez-vous, cela veut dire Allez en tôle. Longtemps ou pas trop, selon votre forfait, alors que les autres joueurs pouvaient continuer.

Le jeu comportait un chemin qui permettait aux joueurs de faire le tour du tableau inventé par Lizzie. Chaque joueur avançait depuis le Go et s’aventurait d’une case à une autre générée par les points de deux vulgaires dés, jetés par un des joueurs. Chaque joueur pouvait acheter des terrains qui étaient payants, mais rapportaient des $ si un autre que le propriétaire tombait sur ledit terrain. Je m’arrête ici sur les finesses du jeu, sans quoi je passerais tout mon temps (et le vôtre) sans avoir plutôt raconté l’histoire de Lizzie, qui s’était fait voler le jeu qu’elle avait inventé.

Charles Darrow

Tout en étant progressiste, Lizzie espérait sans doute que les joueurs réfléchiraient aux fondements de la société capitaliste. Dans les règles du jeu du propriétaire, elle explique comment les conflits potentiels pouvaient être résolus. Il y avait d’ailleurs aussi une prison.

Que méritait un certain Charles Darrow qui dépose en 1933 les droits d’auteur du jeu et le baptise Monopoly, commence à le vendre dans les magasins de jouets et les grands magasins. Le jeu s’est finalement vendu à plus de 275 millions d’exemplaires et fait de Darrow un millionnaire, qui a roulé une femme bien plus subtile que lui.

La vérité apparaît enfin à Lizzie en 1936. C’était elle qui avait inventé le jeu, et elle pouvait le prouver. Elle vend finalement les droits d’auteur du Landlord’s Game à Parker Brothers pour un montant forfaitaire de $500, (environ$11.000 aujourd’hui).

Parker Brothers a également accepté de publier deux de ses autres jeux de société, King’s Men, un jeu d’association detuiles, et Bargain Day, un jeu de shopping. Ravie que ses idées atteignent un public plus large, elle écrit une lettre auxfrères Parker dans laquelle elle s’adressait au jeu du propriétaire comme s’il s’agissait d’une personne : « Adieu, mon idéebien-aimée. Je regrette de me séparer de toi (des jeux), mais je te donne à un autre qui pourra faire plus pour toi que jen’ai fait. »

Lizzie meurt à 81 ans en 1948 mais elle a vécu assez longtemps pour voir le succès durable d’un jeu basé sur sa propre invention, même si son nom avait été effacé pendant des années, et son idéologie de gauche s’est montrée atténuée.

Monopoly en couleurs, comme si je l'avais encore


(*) Je me suis permis de reproduire quelques paragraphes de l’article que le Guardian avait édité il y a neuf ans avec le titre The secret history of Monopoly : The capitalist board game, left wing origins. Le Guardian lui-même avait largement extrait de l’ouvrage de Mary Pilon, The Monopolists : Obsession, Fury and the Scandal Behind the World’s Favorite Board Game, Bloomsbury, 2015. Le jeu existe en 26 langues dont : anglais, espagnol, portugais, italien, turc, allemand, français, coréen, japonais, arabe, chinois et même russe, hindou, croate, tchèque, islandais.

1 commentaire:

  1. Très grand merci Victor,
    Tout récemment, j’ai eu l’occasion de jouer une partie de Monopoly avec ma petite-fille de dix ans … et je dois l’avouer, j’ai perdu honteusement.
    Ainsi, après avoir expérimenté pendant des longues minutes l’angoisse d’être pauvre, puis de devenir un sdf, je reflechissais à la cruauté du capitalisme sans mécanisme crédible de redistribution.
    C’est sans doute en jouant au Monopoly que des Trump, des Milei et tant d’autres ont trouvé inspiration.
    Comme consolation, on peut se dire que le monde serait aujourd’hui meilleur si la version originale conçue par Lizzie Magie aurait triomphée.
    Amitiés,
    Sergio

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