jeudi 20 février 2025

Mon Waze a eu un AVC

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Pierre Pestieau

Mon GPS Waze semble avoir eu un AVC. Après un mois sans conduire, j'ai repris le volant et quelle ne fut pas ma surprise d'entendre sa voix affaiblie, comme épuisée. Cette expérience m'a rappelé une conversation récente avec mon petit-fils au sujet de ChatGPT. Je lui confiais ma tendance à toujours commencer mes requêtes par "please". À ma grande surprise, il m'a révélé que lui et ses amis faisaient de même, tout en suggérant que ce n'était peut-être pas optimal - selon lui, ChatGPT serait plus efficace sans ces formules de politesse.

Cette réflexion a fait resurgir le souvenir d'une conversation déplaisante avec un colon français à Abidjan. Nous partagions un taxi et il s'adressait au chauffeur de manière particulièrement directive, sans la moindre courtoisie. Lorsque je lui en ai fait la remarque, il m'a rétorqué qu'avec la politesse, le service était moins bon.

Me voilà donc à méditer sur mon Waze souffrant et un ChatGPT comparé à un chauffeur de taxi ivoirien. Quel monde étrange que le nôtre.


Ces comportements peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs psychologiques et sociaux. D'abord, les humains ont une tendance naturelle à l'anthropomorphisme - cette propension à attribuer des caractéristiques humaines aux objets, aux animaux ou aux technologies. Quand nous interagissons avec une intelligence artificielle qui communique en langage naturel, cette illusion de personnalité humaine se renforce, nous poussant à employer des formules de politesse. Dans notre société contemporaine, où les animaux de compagnie prennent souvent la place d'enfants absents, on observe couramment des personnes conversant avec leur chien (plus qu'avec leur chat) comme ils le feraient avec un enfant.

Les habitudes sociales et les normes culturelles jouent également un rôle majeur. Les formules de politesse comme "s'il vous plaît" et "merci" sont profondément ancrées dans nos interactions sociales. Elles surgissent automatiquement, souvent inconsciemment, même face à une entité non humaine. C'est le reflet de notre éducation et de notre culture.

Même en sachant pertinemment que l'IA ne ressent pas d'émotions, nous pouvons craindre inconsciemment de paraître impolis, particulièrement dans des contextes où le langage est analysé. Cette attitude découle d'une réflexion morale suggérant que maintenir des normes respectueuses dans toutes nos interactions favorise un comportement global plus civilisé.


En définitive, notre utilisation de formules de politesse avec une IA résulte d'un mélange de réflexes sociaux et d’une tendance naturelle à humaniser notre environnement. Cela contribue à rendre nos interactions plus naturelles et agréables, même si nous sommes conscients que notre interlocuteur n'est pas véritablement humain.


A un ami qui ne voyait pas où je voulais en venir, je posais la question : « Imagine que le matin, un robot t’apporte ton petit dejeuner au lit. Au moment où il te tend le plateau, que diras-tu? Rien ou merci? Ta reponse sera-t’elle modifiee s’il te dit: Voici votre petit dejeuner, monsieur. J’espere que vous avez bien dormi'.


J’ai d’ailleurs posé cette même question à ChatGPT, sans lui dire S’il vous plait. Voici sa réponse :


Si un robot m’apportait mon petit-déjeuner au lit, mon premier réflexe serait probablement de dire "merci", par simple habitude de politesse, même s'il ne s'agit pas d'un être humain.


Si le robot ajoutait une phrase plus chaleureuse comme "Voici votre petit-déjeuner, monsieur. J’espère que vous avez bien dormi", alors ma réponse serait encore plus spontanée et naturelle, peut-être quelque chose comme "Oh, merci ! Oui, j’ai bien dormi" ou même "Merci, c’est gentil", car son message simulerait une interaction humaine plus aboutie.


En fin de compte, notre réponse dépend de la manière dont nous percevons le robot : s'il agit de manière plus humaine, nous serons plus enclins à lui répondre comme nous le ferions avec une personne réelle. 

 

 

 

 

 

jeudi 13 février 2025

Peut-on s’emparer d’une météorite tombée du ciel ?

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Victor Ginsburgh (*) 

Pas en Suède, semble-t-il. Les juges suédois où la météorite est tombée ont dû débattre pour décider à qui devrait revenir une météorite tombée dans une forêt au nord de Stockholm : au propriétaire du terrain ou bien à ceux qui l’ont trouvée ?  

Quelques jours après l'atterrissage de la météorite, le géologue Anders Zetterqvist trouve le site où elle a touché le sol. Après plusieurs semaines de recherches plus profondes, Andreas Forsberg son collègue géologue, trouvent le trésor qui fera l’objet d’un procès dans une cour suédoise. 

                             

Météorite


La plupart des météoroïdes qui atteignent l'atmosphère terrestre, brûlent dans l’atmosphère, changent leur nom en météoriteet ne laissent qu'une trace de lumière. Cette météorite-ci, faite de fer, était la dixième trouvée en Suède, et l'une des plus rares trouvée dans le monde, déclare M. Forsberg. 

Environ une semaine après que les géologues aient rendu leur découverte publique, le propriétaire du domaine où la météorite avait atterri, envoie une lettre au musée et revendique la propriété. Une bataille juridique s'ensuit, évidemment.  En Suède, il n'existe pas de législation, mais le Tribunal d’Uppsala est propriété sur laquelle il atterrit, écrit le juge dans un communiqué. Mais le propriétaire du terrain où l’objet est tombé interjette appel et la Cour d’Appel de Stockholm statue en sa faveur. 

Un des quatre juges chargés de l'affaire, Robert Green, estime que la décision de la cour d'appel repose sur deux questions : savoir si les météorites pouvaient être considérées comme des biens « immobiliers » et si l'étendue d'un droit coutumier suédoiprévoit le droit d'accès du public. Les lois s'appliquant aux biens immobiliers – maisons et terrains – sont claires, déclare le juge. 

« Pour ce qui concerne les biens immobiliers le propriétaire foncier y a droit », déclare-t-il lors d'une entrevue. « Mais nous n'avons pas de loi spécifique concernant les météorites, ce qui a rendu cette affaire spéciale. » 

La loi dite Allemansrätten (droit à l’accès public) permet à tout le monde en Suède de se déplacer dans la nature, y compris de faire de la randonnée, du vélo ou du camping, même sur une propriété privée. « Ce qui inclut un certain droit de prendre des baies et même des petites pierres sur la propriété d'autrui », déclare le juge Green. 

Les demandeurs ont fait valoir que le droit de ramasser de petites choses pouvait inclure l'ambre et des découvertes de plus grande valeur. Mais, dans sa décision, le juge Green déclare : « Nous avons estimé que la chose la plus proche à faire est de considérer les météorites ou les roches spatiales comme faisant partie d'un bien immobilier, tout comme les autres pierres, même si l'on peut avoir l'impression qu'une météorite est étrangère à la terre. » 

Un juge fait valoir que si la météorite devait être considérée comme un bien immobilier, le droit coutumier s'appliquerait également et devrait être interprété de manière à inclure le droit de prélever une météorite sur une propriété privée et d’en conserver la propriété. 

Les géologues n'ont pas encore décidé s'ils feraient appel devant la Cour suprême de Suède. M. Forsberg s'est dit déçu par la décision de la cour d'appel : 

« C'est très triste pour mon ami et pour moi », a-t-il déclaré. « Toute ma vie, j'ai été passionné par la collecte de roches et de fossiles. C'est triste aussi pour tous les passionnés qui sont intéressés à trouver de nouvelles météorites. Si les gens pensent qu'ils n'obtiennent aucune récompense, comment allons-nous les inciter à chercher ? » 

 

(*) Ce texte a été traduit et raccourci. L’original provient de Christina Anderson, A rock fell from space into Sweden. Who owns it on earth? The New York Times, March 25, 2024 

 

 

 

 

jeudi 6 février 2025

Les limites du conservatisme compassionnel

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Pierre Pestieau

La rénovation de Notre-Dame de Paris, largement financée par des dons privés, est un exemple frappant de ce que peut accomplir la générosité individuelle et collective. Cependant, cela ne signifie pas que les dons pourraient un jour remplacer l'impôt pour financer les dépenses publiques. Ce cas particulier met en lumière plusieurs limites des contributions charitables en tant que mécanisme de financement.

Il est crucial de le rappeler, en ces temps où la poussée droitière pousse une partie de l’opinion publique à envisager de sabrer (ou, comme le diraient Millei et Ciotti, de tronçonner) les dépenses publiques, tout en misant sur les initiatives individuelles pour assumer des missions jusqu’ici dévolues à l’État. Avec le retour de Donald Trump, les États-Unis pourraient renouer avec le conservatisme compassionnel, une approche qui vise à transférer la responsabilité des politiques sociales aux individus, et plus particulièrement aux organisations caritatives.

Tout d'abord, la restauration de Notre-Dame est un projet exceptionnel, chargé d'une forte valeur symbolique et émotionnelle. Cette attractivité a mobilisé des donateurs du monde entier, attirés par la visibilité et l'importance culturelle de l'édifice. En revanche, de nombreux domaines cruciaux du financement public, comme les hôpitaux, les écoles, les routes ou encore les services sociaux, ne bénéficient pas du même attrait. Ces secteurs, bien qu'essentiels, sont moins susceptibles de recevoir des financements significatifs de la part de donateurs privés.

Ensuite, les dons pour Notre-Dame illustrent une concentration des ressources sur une cause particulière, souvent choisie en fonction des préférences des donateurs. Contrairement à cela, l'impôt permet une redistribution équitable et universelle des richesses, répondant aux besoins collectifs définis démocratiquement. La priorité donnée à Notre-Dame, aussi légitime soit-elle, ne reflète pas nécessairement les besoins les plus urgents de la société.

Enfin, la dépendance excessive aux dons pourrait affaiblir la souveraineté financière des États. Si des projets majeurs reposaient systématiquement sur la philanthropie, cela risquerait de détourner les priorités publiques au profit des intérêts ou des préférences des grands donateurs, érodant le principe démocratique selon lequel les besoins collectifs doivent être définis par la communauté dans son ensemble.

Les contributions charitables, bien qu'importantes, ne peuvent jamais remplacer le financement des dépenses publiques par l'impôt en raison de leur nature fondamentalement différente. L'impôt est un mécanisme obligatoire qui garantit des ressources stables et prévisibles pour financer des services publics essentiels tels que la santé, l'éducation, la sécurité ou les infrastructures. En revanche, les dons charitables, basés sur la générosité individuelle, sont imprévisibles et sujets à des fluctuations liées à des facteurs économiques ou personnels.

De plus, l'impôt repose sur un principe d'équité et de redistribution, où les citoyens contribuent en fonction de leurs capacités, permettant de réduire les inégalités et d'assurer une couverture universelle des besoins. Les contributions charitables, elles, reflètent souvent les priorités subjectives des donateurs, favorisant certaines causes au détriment d'autres moins visibles mais tout aussi cruciales.

L'État, à travers le processus démocratique, décide de l'allocation des ressources publiques en tenant compte de l'intérêt général, tandis que les organisations caritatives, bien qu'utiles, ne sont pas soumises à cette responsabilité démocratique. Par ailleurs, l'État a la capacité unique de mobiliser des ressources à grande échelle, de s'endetter si nécessaire pour répondre à des crises ou pour financer des projets d'envergure, ce qui dépasse largement les moyens des initiatives philanthropiques.

Si l'on devait compter sur la charité pour remplacer l'impôt, les secteurs moins attrayants pour les donateurs risqueraient d'être négligés, compromettant ainsi la cohésion sociale et la justice distributive. En somme, les contributions charitables ne peuvent qu’être un complément à l'action publique, l'impôt restant le pilier fondamental du financement des dépenses collectives.

Enfin, la théorie économique nous enseigne que le financement d’un programme public, quel qu’il soit, par le biais de contributions volontaires entraîne inévitablement une offre bien inférieure à l’optimum. En effet, dans cette situation, chaque individu adopte un comportement de passager clandestin.

En conclusion, bien que des initiatives comme la rénovation de Notre-Dame montrent la puissance des dons pour des projets spécifiques, elles ne constituent pas une alternative viable à l'impôt. L'impôt reste indispensable pour financer de manière équitable, stable et démocratique l'ensemble des dépenses publiques nécessaires au fonctionnement de la société.