jeudi 6 février 2025

Les limites du conservatisme compassionnel

Pierre Pestieau

La rénovation de Notre-Dame de Paris, largement financée par des dons privés, est un exemple frappant de ce que peut accomplir la générosité individuelle et collective. Cependant, cela ne signifie pas que les dons pourraient un jour remplacer l'impôt pour financer les dépenses publiques. Ce cas particulier met en lumière plusieurs limites des contributions charitables en tant que mécanisme de financement.

Il est crucial de le rappeler, en ces temps où la poussée droitière pousse une partie de l’opinion publique à envisager de sabrer (ou, comme le diraient Millei et Ciotti, de tronçonner) les dépenses publiques, tout en misant sur les initiatives individuelles pour assumer des missions jusqu’ici dévolues à l’État. Avec le retour de Donald Trump, les États-Unis pourraient renouer avec le conservatisme compassionnel, une approche qui vise à transférer la responsabilité des politiques sociales aux individus, et plus particulièrement aux organisations caritatives.

Tout d'abord, la restauration de Notre-Dame est un projet exceptionnel, chargé d'une forte valeur symbolique et émotionnelle. Cette attractivité a mobilisé des donateurs du monde entier, attirés par la visibilité et l'importance culturelle de l'édifice. En revanche, de nombreux domaines cruciaux du financement public, comme les hôpitaux, les écoles, les routes ou encore les services sociaux, ne bénéficient pas du même attrait. Ces secteurs, bien qu'essentiels, sont moins susceptibles de recevoir des financements significatifs de la part de donateurs privés.

Ensuite, les dons pour Notre-Dame illustrent une concentration des ressources sur une cause particulière, souvent choisie en fonction des préférences des donateurs. Contrairement à cela, l'impôt permet une redistribution équitable et universelle des richesses, répondant aux besoins collectifs définis démocratiquement. La priorité donnée à Notre-Dame, aussi légitime soit-elle, ne reflète pas nécessairement les besoins les plus urgents de la société.

Enfin, la dépendance excessive aux dons pourrait affaiblir la souveraineté financière des États. Si des projets majeurs reposaient systématiquement sur la philanthropie, cela risquerait de détourner les priorités publiques au profit des intérêts ou des préférences des grands donateurs, érodant le principe démocratique selon lequel les besoins collectifs doivent être définis par la communauté dans son ensemble.

Les contributions charitables, bien qu'importantes, ne peuvent jamais remplacer le financement des dépenses publiques par l'impôt en raison de leur nature fondamentalement différente. L'impôt est un mécanisme obligatoire qui garantit des ressources stables et prévisibles pour financer des services publics essentiels tels que la santé, l'éducation, la sécurité ou les infrastructures. En revanche, les dons charitables, basés sur la générosité individuelle, sont imprévisibles et sujets à des fluctuations liées à des facteurs économiques ou personnels.

De plus, l'impôt repose sur un principe d'équité et de redistribution, où les citoyens contribuent en fonction de leurs capacités, permettant de réduire les inégalités et d'assurer une couverture universelle des besoins. Les contributions charitables, elles, reflètent souvent les priorités subjectives des donateurs, favorisant certaines causes au détriment d'autres moins visibles mais tout aussi cruciales.

L'État, à travers le processus démocratique, décide de l'allocation des ressources publiques en tenant compte de l'intérêt général, tandis que les organisations caritatives, bien qu'utiles, ne sont pas soumises à cette responsabilité démocratique. Par ailleurs, l'État a la capacité unique de mobiliser des ressources à grande échelle, de s'endetter si nécessaire pour répondre à des crises ou pour financer des projets d'envergure, ce qui dépasse largement les moyens des initiatives philanthropiques.

Si l'on devait compter sur la charité pour remplacer l'impôt, les secteurs moins attrayants pour les donateurs risqueraient d'être négligés, compromettant ainsi la cohésion sociale et la justice distributive. En somme, les contributions charitables ne peuvent qu’être un complément à l'action publique, l'impôt restant le pilier fondamental du financement des dépenses collectives.

Enfin, la théorie économique nous enseigne que le financement d’un programme public, quel qu’il soit, par le biais de contributions volontaires entraîne inévitablement une offre bien inférieure à l’optimum. En effet, dans cette situation, chaque individu adopte un comportement de passager clandestin.

En conclusion, bien que des initiatives comme la rénovation de Notre-Dame montrent la puissance des dons pour des projets spécifiques, elles ne constituent pas une alternative viable à l'impôt. L'impôt reste indispensable pour financer de manière équitable, stable et démocratique l'ensemble des dépenses publiques nécessaires au fonctionnement de la société.

 

 





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