samedi 9 avril 2011

Du pain et non des jeux

Pierre Pestieau

En ce début de printemps on reparle de nombreuses manifestations sportives dont certaines grèvent lourdement des budgets publics déjà déficitaires. La célèbre formule "Du pain et des jeux" date de l'Antiquité romaine. 
C'est Juvénal qui en est l'auteur. Il l'a écrite pour évoquer les besoins fondamentaux du peuple de Rome qui vivait alors dans la misère. Pour éviter les émeutes et les révoltes, les consuls et les empereurs ont organisé des distributions de farine gratuite, avec l'aide des boulangers devenus fonctionnaires d'Etat et des jeux de cirques que le cinéma américain a amplement illustrés. A cette époque il n’existait pas d’économistes pour signaler le nécessaire arbitrage budgétaire qu’il pouvait y avoir entre ces deux façons d’apaiser le peuple. Plus de pain implique en effet moins de jeux.

Cet arbitrage existe encore aujourd’hui à propos de manifestations sportives organisées au niveau local, régional ou national, telles que le départ ou une étape d’un grand tour cycliste, l’organisation d’un grand prix de Formule 1, l’accueil de la Coupe du Monde de football ou des Jeux Olympiques. On reconnaît que ce sera cher mais que les conséquences seront importantes en terme de chiffre d’affaires pour le secteur Horeca ou plus encore en terme d’image. Il va sans dire que mesurer ces deux types de retombées, surtout la seconde relève de l’habituel « mission impossible » même s’il est toujours possible de trouver les experts et les consultants qui seront tout à fait disposés à effectuer les mesures qui iront évidemment dans le sens souhaité par le commanditaire.

Le sujet est récemment revenu dans l’actualité avec la crise grecque dont on dit qu’elle est en partie imputable aux dépenses gigantesques encourues à l’occasion des Jeux Olympiques de 2004 ou encore avec les difficultés de financement par une région financièrement exsangue du circuit de Francorchamps et de son grand prix de Formule 1. Dans ces deux cas, les esprits chagrins ont eu beau jeu de signaler que l’argent public aurait pu être dépensé à meilleur escient. La population pourrait avoir besoin d’emplois plutôt que de jeux. C’est en effet un emploi ou, à défaut, de bonnes allocations sociales qui permettent d’acheter le pain.

La plupart des économistes qui se sont penchés sur la récente coupe du monde de football en Afrique du sud pensent que les nombreuses installations qui ont été construites ne serviront presque plus. Ils critiquent le détournement des dépenses de l’Etat alors qu’elles auraient pu être mieux utilisées ailleurs, par exemple sur des projets sociaux, tels que des écoles et des hôpitaux. Dans un livre récent, Kuper et Szymanski reconnaissent que l’organisation de ce type d’événement « ne vous rend pas riche mais vous rend heureux » (1) Ce constat confirme bien que l’on ne peut avoir du pain et des jeux, mais l’un ou l’autre, et à choisir, je préfère le premier.

(1) Simon Kuper and Stefan Szymanski, Soccernomics, New York: Nation Books, 2009.

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