Pierre Pestieau
Dans les milieux tant politiques que scientifiques, il est courant de blâmer le vieillissement pour toute une série de problèmes: le chômage, la récession, les déficits publics et en priorité les difficultés du financement des retraites et des systèmes de santé. Sans nier une certaine pertinence dans ces affirmations, force est de constater qu’elles exagèrent le rôle des variables démographiques et sous-estiment nos inerties individuelles et collectives.
Les travaux portant sur la démographie et la gériatrie aboutissent tous aux mêmes conclusions : non seulement nous vivons de plus en plus longtemps mais nous vivons aussi en meilleure santé. Pour être précis, sur la période 2005-2007, l’espérance de vie d’un homme belge âgé de 65 ans est passée de 81,6 ans à 82,3 ans et son espérance de vie en bonne santé a augmenté d’un an (1). Il y a une différence entre les deux concepts mais les deux espérances ont bien augmenté.
On mesure le vieillissement d’une population par la fraction de la population dont l’âge est supérieur à 60 ou 65 ans selon le cas. Prenons l’âge de 65 ans ; le taux de vieillissement ainsi mesuré a sûrement augmenté durant ces dernières décennies ne fut-ce que parce que chaque année on vit 2 à 3 mois de plus. Si l’espérance de vie a augmenté de 10 ans en 50 ans, la population a sûrement vieilli si l’on adopte cet âge pivot de 65 ans. Rien ne nous empêche de prendre un âge pivot qui ne soit pas fixe mais évolue avec l’espérance de vie ou l’espérance de vie en bonne sante. Dans ce cas, on pourrait très bien avoir un taux de vieillissement qui diminue à la différence du taux de vieillissement basé sur un âge pivot fixe. Ce dernier taux est aussi appelé taux de dépendance puisque implicitement toutes les personnes de plus de 65 ans sont à la charge des plus jeunes.
Mais où est le problème ?
D’abord, le taux de vieillissement (dépendance) pourrait augmenter sans que la longévité ne s’accroisse ; c’est ce qui se produit temporairement lorsque la fécondité baisse, comme après la période du baby boom.
Ensuite nous ne subissons pas de façon identique la « prise de l’âge ». Pour des raisons liées aux gènes, à l’environnement et aux conditions de travail, certaines personnes « vieillissent » plus rapidement que d’autres et on a tendance à mettre l’accent sur ces personnes. Pour de bonnes et de mauvaises raisons. Bonnes parce qu’elles méritent une attention particulière et une protection sociale ciblée. Mauvaises parcequ’on en oublie le reste de la population dont la longévité en bonne santé augmente au même rythme que la longévité.
Mais le vrai problème est ailleurs ; il réside dans la difficulté que nous avons de nous adapter, individuellement mais surtout collectivement à des changements dans notre environnement. Individuellement, nous prenons des habitudes fondées sur le passé et il n’est pas facile d’en changer même si les circonstances devraient nous y amener. Collectivement, l’adaptation est sans doute plus difficile encore parce que s’il y a sacrifice on préfère que ce soit l’autre qui commence par en faire.
Prenons la question du départ à la retraite. Il paraît naturel que si l’espérance de vie augmente de 10 ans, on décide de partir à la retraite à un âge plus élevé, certes pas de 10 ans mais au moins de quelques années. Une telle décision est sans nul doute préférable pour tous sauf pour ceux qui sont proches de la retraite au moment de la réforme. Très naturellement, ces individus préférerait avoir le beurre (une retraite plus longue) et l’argent du beurre (une retraite généreuse). Même s’ils sont minoritaires, ils réussissent parfois à bloquer une reforme. Le blocage leur sera bénéfique mais pénalisera les générations jeunes et futures. La même problématique se retrouve dans l’éducation. Suite à des migrations et une baisse de fécondité la population scolaire peut baisser au point qu’il serait rationnel de réduire le nombre de classes et d’enseignants, d’autant que des pénuries peuvent apparaître ailleurs, dans des lieux de forte immigration ou de fécondité élevée.
Ces blocages sont-ils inévitables ? Certains pays ont réussi à les éviter ou à les surmonter. On peut citer les pays nordiques, l’Allemagne et d’autre pays où l’âge de la retraite est ajusté en fonction de l’évolution de l’espérance de vie et où les budgets de l’éducation nationale dépendent de la population des élèves. Dans ces réformes, il est crucial de garder à l’esprit les nombreuses exceptions à la moyenne. De nombreux travailleurs ne sont plus en état de poursuivre leur carrière professionnelle avant même l’âge de 65 ans et ce, en dépit d’une hausse de longévité dont ils ne bénéficieront sans doute pas. Dans l’éducation, certaines classes devront rester petites lorsqu’il s’agit d’enfants qui ont besoin de soins pédagogiques particuliers.
(1) Health expectancy in Belgium, EHEMU Country Reports, Issue 3 - March 2010. Quant aux femmes, leur espérance de vie à 65 ans passe de 85,2 à 86,6 ans; leur espérance de vie en bonne santé a augmenté de 0,6 ans.
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