vendredi 24 août 2012

A propos de la connerie. Notes de lecture

Victor Ginsburgh

Je viens de relire deux petits ouvrages, l’un de l’écrivain français Georges Picard, De la connerie (1), l’autre du philosophe américain Harry Frankfurt, On Bullshit (2), un mot qui sonne bien mieux mais dont le sens est l’équivalent de connerie dans la langue de Shakespeare.

Commençons par Picard (pp. 8-10, passim) : « Ce que j’entends par connerie ? La réponse n’est pas facile. Définir la connerie, ce serait lui donner un statut. Or je la vois surtout proliférante et débordante, plutôt fatale que fonctionnelle. Je souhaite qu’on ne la confonde pas avec la bêtise, cette sorte de marche loupée de l’intelligence. Comme je parlais de ce sujet à des amis, l’un crut que j’avais des comptes personnels à régler, que je n’oublierais pas de parler de B [sic], cet espèce de sale con néfaste et prétentieux. Pendant un quart d’heure, ils dressèrent la liste des cons de leur entourage, puis des cons semi-publics, enfin des cons notoires. Ils manquèrent [rapidement] de papier ».

Et Picard de poursuivre (p. 11): « Si vous n’avez jamais vu un économiste pérorer, vous n’avez rien vu. On dirait un vendeur d’aspirateurs s’escrimant à vous persuader que la vie ne vaut pas d’être vécue si l’on n’a pas chez soi le dernier modèle avec sac à poussière biodégradable ». Hélas aujourd’hui c’est pire, parce qu’il s’agit de notre épargne, de notre croissance et de nos banquiers-bandits.

Il se fait que, comme Picard, je connais un certain nombre de B, aussi brillants que nos grands écrivains EES, ML, BHL et pas mal d’autres. Certains de ces B-économistes se plaisent à dire qu’ils consacrent à l’écriture et à la réflexion la totalité de leurs week-ends, sans quoi ils perdent le fil de leur pensée.

S’il pouvaient enfin perdre le fil de cette pensée qu’ils n’ont pas, ce serait tellement mieux pour la pensée de tous ceux qui font la connerie de les lire ou de les écouter et dont j’ai, hélas, déjà fait partie.

Mesdames et Messieurs les journalistes de la presse écrite, parlée et télévisée, vous contribuez à répandre des conneries en n’arrêtant pas d’inviter des cons à s’exprimer. Comme l’explique Frankfurt dans On Bullshit (pp. 1, 2 et 61) « une des dominantes de notre culture est qu’il y a tant de connerie, mais cette dernière est bien plus dangereuse que le mensonge. La plupart d’entre nous pensent qu’ils sont capables de distinguer la connerie et de ne pas s’y laisser prendre ». Hélas, il n’en est rien, celle-ci connaît ses meilleures années avec la crise, et ce n’est pas près de s’arrêter.

Montrez-vous, Mesdames et Messieurs les journalistes, un peu plus responsables, penchez-vous sur votre métier, mettez-vous à l’ouvrage vous-mêmes et arrêtez, s’il vous plaît, de propager le manque de connaissance de ceux qui se disent experts.

C’est ce à quoi nous avaient habitués certains grands journalistes comme Michel Polac à qui l’article de Pierre Pestieau qui suit rend hommage.

(1) Georges Picard, De la connerie, Paris : Corti, 2004.

(2) Harry Frankfurt, On Bullshit, Princeton University Press, 2005. Ce petit ouvrage de 67 pages a été traduit en plusieurs langues, et s’est vendu à 600.000 exemplaires.

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