jeudi 7 février 2013

Comment décrédibiliser l’action publique?


Pierre Pestieau

Lors d’un récent séjour en Colombie, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir à la une des journaux des titres critiques de l’action politique qui n’avaient rien à voir avec la drogue, la corruption ou la violence. Il s’agissait simplement d’un rappel: une minorité de Colombiens retraités du secteur public, essentiellement les magistrats, députés et sénateurs, touchent des retraites scandaleusement élevées et ce d’autant plus qu’elles ne sont pas préfinancées mais payées par le contribuable lambda (1). Il y aurait une règle constitutionnelle adoptée récemment qui plafonne le montant des retraites à 25 fois le salaire minimum (260 € en 2013) (2). Cette règle est pourtant violée par les gens qui sont censés faire la loi ou la faire respecter. Et pourtant 25 fois ce n’est pas si mal. En Belgique par exemple, le salaire minimum est de 1.560 € alors que dans le secteur public, la pension maximum est de 6.040 € (montants mensuels bruts).

Quelques chiffres sur la Colombie. Un peu plus de 1000 personnes reçoivent une retraite correspondant à plus de 25 fois le salaire minimum. Deux cents personnes reçoivent une retraite équivalant à plus de 40 fois le salaire minimum, environ 10.000 € par mois (3). Ces retraites concernent le secteur public. Un tiers seulement des Colombiens de plus de 65 ans touchent une pension; 75% de la population en âge de travailler ne contribuent à aucun système de retraite et 80 % des retraités reçoivent une montant inférieur à 4 fois le salaire minimum, soit 1.040 €. La retraite d’un représentant, député ou sénateur,  correspond à 17 fois le salaire minimum (ou 17x260 € = 4.450 € par mois).

C’est là une situation ancienne; elle revient au premier plan de l’actualité parce que la Cour Suprême a décidé de se pencher sur la violation de la règle du plafond des 25 fois le salaire minimum. Mais même cette situation abusive semble avoir encore de beaux jours devant elle. Il y a plusieurs obstacles à franchir avant qu’une reforme puisse être entreprise ; à chaque niveau de décision, les personnes qui doivent statuer sont aussi celles qui à terme bénéficieront de ces plantureuses retraites. Et même si réforme il y avait, on invoquerait le principe des droits acquis pour qu’elle ne prenne ses effets que dans plusieurs décennies.

Un remarque finale. La Colombie ne fait pas exception quand elle rémunère ses fonctionnaires retraités aussi généreusement et au détriment du reste de la société. La Belgique et la France font de même. L’ordre de grandeur est simplement différent. Les difficultés de la réforme sont semblables. La presse colombienne a traité pendant trois jours du scandale des retraites. Depuis c’est le silence absolu. Il y a de quoi désespérer de la politique.


(1) La totalité des recettes de la TVA colombienne sert à financer ces retraites.
(2) En 2010, le PIB par habitant était de 4.635 € en Colombie et de 31.500 € en Belgique.
(3) Pour mériter cette plantureuse retraite, l’élu ou le magistrat peut avoir eu un service d’une durée de quelques semaines. Une série d’avantages tels que les indemnités de voyage liés à la fonction permet d’enfler le revenu à l’origine du calcul. 

1 commentaire:

  1. Toujours un régal de vous lire Victor et toi. On ne sait comment vous remercier: on se cotise pour vous payer un billet d'avion ou pour augmenter votre retraite?
    Amitiés
    Robert Kast (qui sait pas ce que c'est URL etc.) mais mon adresse que Victor a dû te faire suivre est kast@supagro.inra.fr

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