mardi 24 septembre 2013

Rentrée littéraire : Oh les beaux jours


Victor Ginsburgh (1)

Oh les beaux jours, comme disait Beckett (1). Oh, parce que les jours à venir n’étaient pas aussi beaux
que ce qui est suggéré par le titre. En effet, le Beaujolais nouveau est là, imbuvable comme d’habitude et la rentrée littéraire aussi. Personne n’a, mieux que Julien Gracq, décrit « ce spectacle turlupinesque : des jockeys de Grand Prix en train de chevaucher des limaces ».

Je propose de changer ces mauvaises habitudes et de donner les prix les plus prestigieux (je sais ils le sont tous, donc les choix sont difficiles) aux grands écrivains suivants (ils le sont aussi tous, et c’est tout aussi difficile):


Je propose de changer ces mauvaises habitudes et de donner les prix les plus prestigieux (je sais ils le sont tous, donc les choix sont difficiles) aux grands écrivains suivants (ils le sont aussi tous, et c’est tout aussi difficile):

Bernard-H. Lévy. : une guerre en Lybie en 2011, zéro livre vendu en 2012 ; il faut absolument l’aider, sans quoi il est capable de proposer de procéder à des frappes ciblées sur la Belgique, c’est plus facile que sur la Syrie ;

Marc Lévy : 1,6 millions d’exemplaires en 2010, faut lui donner sa chance, il n’a jamais eu de prix ; et si on le donne à Bernard-H., pourquoi pas à Marc ; ils se battent pour les mêmes causes et sont tous les deux de très grands philosophes nouveaux, comme le Beaujolais ;

Alain (le) Minc(e) : Son œuvre, majeure, il faut le reconnaître, a été hors compétition en 2010, 2011 et 2012 pour plagiat ; il est temps de cesser de l’ostraciser ;

Jacques Tattali : Sans commentaire, mais je l’aime bien ;

Amélie N. : D’origine belge, je ne sais pas pourquoi il faudrait lui donner un prix, ni pourquoi pas ;

Eric-Emmanuel Schtt : Auteur de Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent, Albin Michel, 2010 ; il a raison, y a beaucoup de crétins dans le monde, mais pas lui ; y a qu’à lire la critique que fait Eric Chevillard (3) des Perroquets de la Place d’Arezzo, dernière œuvre d’Eric-Emmanuel : « 730 pages vendues avec le vent qui les tournera pour vous, seul mérite incontestable de ce livre, car alors votre majeur restera disponible pour gratter de l'ongle votre front dubitatif, tourmenté par cette unique et terrible question – comment se peut-il que les romans de ce faiseur malfaisant [c’est moi qui mets des italiques] rencontrent à ce point la faveur du public ? … Eric-Emmanuel Schmitt n’a sur toute chose que des idées éminemment respectables et même parfaitement ennuyeuses [écrites] dans une langue monotone et mollassonne ».

Guillaume Musso : J’écris son nom en entier, parce que personne ne le connaît, alors qu’il a vendu 1,1 millions d’exemplaires en 2010 ; il mérite ne fût-ce qu’un dernier prix, juste avant l’après-dernier attribué à Eric-Emmanuel, ou vice-versa ;

Catherine de Médicis : Epouse d’Henri II, célèbre pour ses cabinets de poisons ; on en aurait bien besoin ;

Et j’allais oublier K. (oui K pas C) Katherine de Pancol : 1,4 millions d’exemplaires en 2010 ; elle écrit sur son iPad des lettres dont on dit qu’elles sont aussi belles que celles de Mme de Sévigné, que j’avoue ne pas avoir lues. Donc ceux qui le disent de K. ont peut-être raison : il y d’ailleurs a eu d’autres K. célèbres, peu reconnus de leur vivant. Pourquoi pas K. de C.

Et pourquoi pas moi? Il est vrai que je n’écris pas de romans. Mais il y a, rien qu’en France, 2 000 prix littéraires, dont 70 décernés par la sainte Académie Française (4). Ce qui fait un peu plus d’un prix pour 8 romans publiés, diable (5). J’ai donc mes chances, vous aussi d’ailleurs. Un écho à Lewis Carroll qui faisait dire au Dodo d’Alice au Pays des Merveilles que « chacun a gagné et tous doivent recevoir des récompenses ».

Dans La bibliothèque, la nuit, Alberto Manguel (6) explique qu’à Lyon, « à la fin du premier siècle, une loi rigoureuse exigeait qu’après chaque concours littéraire, les perdants [étaient] contraints d’effacer avec leurs langues leurs tentatives poétiques, afin que ne subsiste aucune littérature de deuxième ordre ». Aujourd’hui, il devrait en être ainsi de ceux qui obtiennent les prix. Ils doivent d’ailleurs bien connaître ce qu’est la lèche.

Je vous servirai le même blog à la même époque en 2014. Et j’offre une bouteille de Beaujolais nouveau 2013 à qui s’en rendra compte, parce que le 2014 ne sera en rien différent du 2013.


(1) Ce texte a paru sous une forme un peu différente dans La Libre du 12 septembre 2013.
(2) Julien Gracq, La littérature à l’estomac, Paris : José Corti, 1950, p. 15
(3) Eric Chevillard, Vélin bouffi, Le Monde des Livres, 6 septembre 2013.
(4) Le Monde, 7 septembre 2010, p. 21. Hélas, Le Monde (tu quoque) vient aussi d’inaugurer un prix littéraire !
(5) 65.000 nouveaux livres sont publiés chaque année en France, dont un quart environ (16.000) sont des « romans ». Voir http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-60386
(6) Alberto Manguel, La bibliothèque, la nuit, Paris : Babel, 2006, p. 80. 

1 commentaire:

  1. Je ferais, pour ma part, une exception en faveur du petit ouvrage de Laura Alcoba paru fin août chez Gallimard et intitulé "Le bleu des abeilles".
    Pas nécessairement parce qu'il est court, lisible, qu'il évoque brièvement la vie des abeilles romancée par Maeterlinck mais surtout parce qu'il y est question du difficile apprentissage d'une langue étrangère lorsque l' on débarque à douze ans comme réfugiée argentine dans la banlieue parisienne.
    Rien ne nous est épargné des souffrances et humiliations liées à cet apprentissage.
    Et nous en Belgique, on peut comprendre ce problème.
    Non peut-être.

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