mercredi 21 mars 2018

Mafieux et corrompus

Victor Ginsburgh

Elite bruxelloise en train de s'amuser 
Samusocial, Gial, piétonnier, stade national... : la Ville de Bruxelles clôture une législature très chahutée en matière de gouvernance et marquée par de grands projets chaotiques. Ce qui n'empêche pas PS (socialistes) et MR (libéraux) de songer à poursuivre ensemble.
(Le Vif, 3 mars 2018).


Je signe indûment le titre de ce texte, qui est en réalité un des Discours à la Nation de l’auteur italien Ascanio Celestini (1). Je n’ai pas pu résister, il convient tellement bien à la Belgique (mais aussi à pas mal d’autres pays), parce que comme vous le verrez plus bas, même les couleurs du drapeau belge y figurent. Voici le texte. Les mots entre crochets en remplacent certains autres du texte original, mais n’en modifient aucunement le sens.

Il était une fois un petit pays.
Il y vivait un petit peuple
gouverné par un petit gouvernement.

C’était un petit pays démocratique.
Il avait eu une petite première
qui s’était achevée tragiquement,
ses gouvernants étaient tous passés en justice
et ils devaient finir en prison.

Mais cette fois-là
ils préférèrent aller dîner au restaurant ...
Parce que [le restaurant], c’est mieux que la prison.

Les jours suivant les petits gouvernants
se consultèrent pour comprendre
ce qui avait cloché
Ils tombèrent tous d’accord
pour reconnaître que le problème principal
résidait dans le fait qu’au gouvernement
il y avait un parti de corrompus et de mafieux.

« Il n’y avait qu’à dissoudre ce parti », dirent-ils.
Et ils en fondèrent deux.
Un parti de mafieux et un parti de corrompus.
Mais les corrompus ne devaient pas être mafieux
et les mafieux ne devaient pas céder
à la tentation de la corruption.

Ça leur parut une bonne idée,
ils fondèrent le petit deuxième [royaume]
et pour fêter ça ils s’en allèrent tous ensemble déjeuner au [restaurant].

Il y eut des gouvernements corrompus
avec les mafieux dans l’opposition
et des gouvernements mafieux
affrontant l’opposition des corrompus.
Ainsi était née la démocratie de l’alternance
fondée sur le bipolarisme.
Mais ce système ne tient bon que si les blocs,
en plus d’être opposés, sont aussi bien séparés.
Au lieu de quoi les mafieux devinrent tellement mafieux
qu’ils se mirent à frayer aussi avec la corruption,
et les corrompus étaient si intrinsèquement corrompus
qu’ils agissaient en mafieux.

Ce petit peuple avait tout accepté :
il avait été fasciste et antifasciste,
communiste et anticommuniste,
démocrate-chrétien et … point.
Parce que le démocrate-chrétien est neutre, le contraire n’existe pas.

Le petit peuple avait agité le drapeau noir
et le drapeau rouge,
le drapeau jaune et le drapeau blanc,
il avait fait le salut romain et dressé le poing,
le signe de croix et des cornes à l’arbitre,
il avait cru aux Chemises noires, à la faucille et au  marteau,
à la croix celtique et à la croix rouge.
Mais le petit peuple était maintenant fatigué
et il se rappela qu’il était un peuple.
Et quand le peuple se rappelle qu’il est un peuple, il fait peur.

Alors le pouvoir se mit à trembler
et il trembla si fort que le peuple lui dit
« C’est carnaval ! C’était pour rire ! »

Le pouvoir cessa de trembler et dit
« Moi aussi, c’était pour rire. »

Et ils s’en allèrent dîner tous ensemble au [restaurant].


(1) Ascanio Celestini, Discours à la nation, Paris : Les éditions Noir sur Blanc, 2014.

2 commentaires:

  1. Rien à enlever, rien à ajouter ... la Belgique est un petit pays avec les mêmes caractéristiques. Je ne suis pas sûr que je souhaite aller dîner avec eux. Amitiés. Pierre

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  2. C'est très bien écrit et je comprends, je pense, ton objectif en te référant à ce texte. Mais dénoncer, même avec humour, le scandale du Samu-social bruxellois qui est identique à celui de Publifin à Liège ou dans d'autres villes de Belgique ne suffit plus pour moi. Il faut proposer des modèles concrets de réformes pour rendre ces abus impossibles. Une fois de plus, il faut passer par une réforme de la Constitution.
    Tu connais bien mes propositions. André

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