mercredi 13 février 2019

Watson et Carrel, un raciste et un eugéniste oubliés

Victor Ginsburgh

Nous oublions, mais eux le rappellent.

En juin 2018, un certain Watson, Prix Nobel de Médecine 1962, interviewé par un journaliste sur la chaîne PBS qui lui demandait s’il avait changé ses vues concernant la relation entre intelligence et race, a froidement répondu « Non, pas du tout. J’aurais aimé avoir un autre avis, mais je n’ai rien vu de récent qui me contredit lorsque je pense qu’il y a une différence dans les tests d’intelligence entre noirs et blancs et je dis que cette différence est génétique ». C’est ce même individu qui, en compagnie de son collègue Crick, avait « un peu volé » la découverte de la double hélice à Rosalind Franklin (1). Mais il disait beaucoup de bien d’elle, notamment qu’elle n’était « pas mal (not unattractive) mais mal attifée ». Et que les scientifiques femmes au boulot « c’est plus chouette que les hommes, mais probablement moins efficace ». Il s’est aussi pris pour un bon sociologue (voire économiste) en expliquant qu’il était « très pessimiste sur le sort de l’Afrique, parce que nos politiques sociales sont basées sur l’hypothèse que leur intelligence est la même que la nôtre, alors que tous les tests disent : ‘pas vraiment’ ». Watson aurait aussi dit qu’il existait une corrélation entre libido et couleur de la peau : « C’est bien pourquoi les bons amants sont latins mais que vous n’entendez jamais parler d’un amant anglais ». Encore que cette dernière histoire soit plutôt amusante. En 2007, il avait été démis de ses fonctions officielles dans son laboratoire de Long Island, mais avait gardé son bureau. Il s’est, par la suite, plaint de ne plus avoir les moyens de survivre et a fini par vendre sa médaille Nobel… Mais, en fin 2018, il s’est fait virer tout court de son laboratoire pour les propos racistes qu’il avait tenus en juin de la même année.


Tant qu’on y est à parler de scientifiques sympathiques, venons-en à Alexis Carrel, Prix Nobel de Médecine 1912, pour ses travaux sur les sutures vasculaires qui ont, par la suite, rendu possible les transplantations d’organes. Il croyait aux miracles, dont celui de la guérison d’une certaine Marie Bailly à Lourdes, ce qui a sérieusement nui à sa réputation de médecin en France. Il s’est exilé au Canada et aux Etats-Unis où il est devenu un joyeux luron de l’eugénisme qui, il faut, bien le dire, était fort à la mode à l’époque. Dans son ouvrage L’homme, cet inconnu, publié en 1935, il suggère que l’humanité pourrait s’améliorer si elle adoptait « un peu d’eugénisme », par exemple en gazant les mal-fichus, les criminels et les fous, bien avant que les Nazis y pensent. Dans l’édition en langue allemande en 1936, il se plait à insérer le texte suivant : « Le gouvernement allemand a pris des mesures énergiques contre la propagation des déficients, des malades mentaux et des criminels. La solution idéale serait de supprimer chacun de ces individus dès qu’il se montre dangereux » (2). Ce qui n’a pas empêché les Postes suédoises de l’inclure, en 1972, dans la série des timbres consacrée aux Prix Nobel. Faut bien dire que c’est un moindre mal pour la Suède, qui pour des raisons « d’hygiène sociale et raciale » et de « pureté de la race nordique », a stérilisé 230.000 personnes entre 1935 et 1996 (3). Nombreuses sont celles qu’on a autorisées à lécher les timbres de Carrel sur les deux faces.

L’homme, cet inconnu a été réédité chez Plon en 1999. Introduisez le titre Man, the Unknown sur Google et vous verrez que 94 pour cent de ses lecteurs liked it.

Un conseil, méfiez-vous des prix Nobel de médecine. Certains sont plus fous que nous.

(1) Rosalind Franklin n’a pas reçu le Prix Nobel de Médecine en même temps que Crick, Watson et Wilkins en 1962. Elle est morte en 1958, et le Prix Nobel ne peut pas être attribué post mortem.


(3) La Suède face à l’eugénisme, L’Obs, 29 mars 2000.

Les citations de Watson sont extraites de deux articles récents : Meilan Solly, DNA pioneer James Watson loses honorary titles over racist comments, Smithsonian.com, January 15, 2019 et Amy Harmon, Lab severs ties with James Watson, The New York Times, January 11, 2019.


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