mercredi 6 février 2019

Repenser la gauche


Pierre Pestieau

La gauche est en crise, c’est un lieu commun (1). Son échec tient à un simple constat : elle n’a pas été capable ces derniers temps d’apporter une réponse convaincante aux menaces qui pèsent sur une population qui longtemps avait compté sur elle. Que ces menaces soient réelles ou non n’importe pas. Cette réponse trop attendue ne pourra être que complexe dans la mesure où ces menaces sont multiples. Elle sera difficile dans la mesure où elle se heurte à des contraintes qui sont nouvelles par rapport à ce qui se passait il y a plusieurs décennies.

Deux contraintes semblent dominer. Il y a d’abord le fait que l’espace économique est beaucoup plus large que l’espace politique. En d’autres termes, à l’échelon national qui est celui du pouvoir politique, beaucoup de décisions d’ordre économique ne peuvent pas être prises. C’est la résultante d’un capitalisme mondialisé. Ensuite, il y a l’émergence à tous les niveaux d’un individualisme forcené qui empêche toute solution coopérative. Cela se traduit notamment par le fameux Nimby qui signifie « pas dans mon arrière-cour » et qui peut aussi être utilisé dans un sens figuré pour décrire les personnes qui prônent une certaine proposition (par exemple des mesures d’austérité budgétaire, des augmentations d’impôts, des réductions d’effectifs), mais s’opposent à son application dès lors que cela exigerait un sacrifice de leur part.


La plupart des propositions qu’on peut lire ça et là et qui relèvent du « y’a qu’à » ignorent ces contraintes. En d’autres termes, si les espaces politiques et économiques coïncidaient et si les individus et les gouvernements acceptaient de fonctionner en coopérant, les problèmes de la gauche seraient simplifiés, sans être résolus pour autant.

Mais d’abord, quels sont les problèmes qui se posent non seulement à la gauche mais à l’ensemble de la société ? J’en distinguerais quatre. Il y a d’abord les questions liées à l’environnement ; il y a ensuite toutes les angoisses créées par le développement  de la robotisation et de l’intelligence artificielle ; il y aussi tout ce qui touche aux disparités de richesse nationales et internationales avec leurs conséquences qui sont les migrations et les guerres civiles ; enfin il y a cette crainte que le processus actuel d’endettement au détriment des générations futures ne s’emballe et à terme conduise à la faillite de nos Etats providence.

Dans cette liste, je ne reprends pas les questions sociétales qui ont vu ces derniers temps la gauche se mobiliser efficacement : lutte contre l’homophobie et le sexisme, contre les discriminations et la xénophobie. Ces questions sont importantes, mais elles ne paraissent pas prioritaires pour cette minorité de personnes qui se sentent délaissées et qui sont tentée par les discours populistes. On peut reprocher à la gauche d’avoir privilégie ces questions au détriment des objectifs qui correspondent davantage à son ADN : la lutte contre l’exclusion sociale, les disparités de revenus et de richesse, la recherche du plein emploi dans le cadre d’un développement durable. C’est à la manière dont la gauche s’approche de ces objectifs que son bilan peut être évalué.

Pour chacun de quatre problèmes cités ci-dessus, on est confronté à une démarche en trois étapes. D’abord, s’assurer de la réalité des faits ; ensuite, étudier les mesures à prendre et enfin analyser la faisabilité politique de ces mesures. Je prendrai un exemple, celui de la lutte contre les inégalités de richesse. Dans un premier temps, il s’agira de vérifier si ces inégalités sont fortes et croissantes et si elles doivent être résorbées autant que faire se peut. On peut en effet défendre l’idée que la lutte contre ces inégalités n’est pas prioritaire et qu’il vaut mieux mettre l’accent sur les inégalités de consommation, d’accès aux soins de santé, à une éducation de qualité et à un logement décent. Si on estime qu’il faut lutter contre ces inégalités de richesse, on passe à la seconde étape, à savoir étudier les moyens d’y parvenir : modifier la législation sur la propriété, réformer la fiscalité du capital et actualiser les règles et les droits de succession. Vient la troisième étape, sans aucun doute la plus délicate, celle de leur mise en œuvre. On sait par expérience que la taxation du capital et les droits de succession se heurtent à deux obstacles. Ces impôts ne sont pas populaires et font l’objet d’une intense ingénierie fiscale et patrimoniale.

Dans mes prochains blogs, je compte analyser les quatre types de problèmes majeurs auxquels il faut s’attaquer. Je les traiterai séparément mais il apparaîtra évidemment qu’ils s’entremêlent. Se centrer exclusivement sur l’urgence écologique et négliger les fractures sociales ou les conséquences de la digitalisation sur le marché du travail serait une lourde erreur. Se focaliser sur les fractures sociales en négligeant l’endettement généralisé de nos économies n’aurait guère de sens. Le plus gros endettement que nos sociétés contractent au détriment des générations futures n’est sans doute pas financier mais environnemental. A cet égard il est intéressant que chaque année, on « fête » deux dates butoir, qui se situent au-delà du 31 juin. Il y a d’abord le jour où nous sommes supposés avoir consommé l’ensemble des ressources que la terre est capable de régénérer en un an. Passée cette date, l’humanité puiserait donc de manière irréversible dans les réserves non renouvelables. Il a y aussi le jour à partir duquel on cesse d'employer son salaire pour payer ses impôts. 


(1) Il existe de nombreux articles et ouvrages consacres à ce sujet. Voir notamment Pierre Rosanvallon (2018), Notre histoire intellectuelle et politique. 1968-2018, Paris : Seuil.



1 commentaire:

  1. Très beau programme, j'adhère ! Cela dit Pierre, si tu écris "seconde étape", il ne devrait pas y avoir de troisième étape :)

    RépondreSupprimer