mercredi 27 février 2019

Un certain Adolph H. est de retour

Victor Ginsburgh

A night at the garden
Adolph H. s’est récemment manifesté trois fois et en trois lieux différents. Décidément, le don d’ubiquité existe, de même que celui d’immortalité. On ne peut être mort et présent en trois endroits durant le même mois.

Un peu moins d’un an après l’accueil enthousiaste d’Hitler par l’Autriche en mars 1938, le 20 février 1939 très exactement, et alors que l’Allemagne venait de terminer la construction du sixième camp de concentration, 20.000 américains se réunissent à Madison Square, New York pour célébrer les idées du Parti Nazi. Face à des drapeaux américains et à d’autres frappés de la croix gammée, le discours du Führer local réclame une société blanche, non-juive, et des syndicats débarrassés de la domination juive dirigée depuis Moscou. Un film, A Night at the Garden, vient d’être reconstitué et figurait parmi les cinq documentaires nominés aux Oscars 2019. « Dans le climat actuel d’intolérance, cette séquence est particulièrement glaçante » peut-on lire dans le New York Times du 6 février 2019 (1).


L'ange Bruno Ganz
Hitler est évidemment associé au décès ce 15 février de Bruno Ganz, l’acteur suisse (et pas allemand) qui a osé, en 2004, jouer le rôle du Führer dans le film La Chute. Mais il avait aussi joué dans un film de Wim Wenders Les Ailes du Désir.  Il y était un ange obligé de rester sur terre, se rendre visible à ceux qui étaient en train de mourir et les conforter. Ganz racontait qu’après ce film, « les gens venaient autour de moi avec leurs enfants pour que je leur donne une bénédiction. Et dans les avions que je prenais, ils me disaient de temps à autre ‘vous êtes parmi nous, rien ne peut nous arriver’ » (2).

Oeuvre du Führer
Mais ce n’est pas tout sur H. Une galerie d’art de Nuremberg du nom de Weidler, avait, ce 9 février, projeté de mettre aux enchères des œuvres peintes ou dessinées par le Führer. Des experts se sont empressés de déclarer que la majorité de ces œuvres étaient fausses, ce qui permet de (se) poser plusieurs questions, qui mènent à des conclusions assez contradictoires. Qui s’intéresse à ce genre de peinture ? Qui fait des faux si ces toiles ne se vendent pas ? Pourquoi cette vente attire-t-elle des experts qui décident que ces toiles ne sont pas de la main d’Hitler, alors qu’on devrait complètement s’en f… ? Comment se fait-il que ces œuvres se vendent précisément à Nuremberg où les dignitaires nazis ont été jugés ? Que compte faire la justice de ces merveilles ? Les confier à un musée ou les cacher en espérant que leur valeur esthétique (?) augmentera dans le temps, et qu’un jour lointain, on pourra les attribuer à Rembrandt ? Certains de ces chefs-d’œuvre proviennent évidemment d’Autriche, dont vous vous rappellerez que ce joyeux pays alpin se considère comme ayant été envahi et occupé par les Nazis, au grand dam de ces citoyens… qui ont été parmi les pires collaborateurs (3).

Un détail amusant quand même. En 1937, Hitler avait ordonné que ses propres œuvres ainsi que les faux (il en existait déjà à cette époque) soient rachetées par les archives centrales du Parti, parce qu’il vouait faire un catalogue raisonné de son opus magnum, et détruire les faux. En fait, il était tellement ignorant, qu’il aurait été incapable de faire la part entre ce que lui-même avait fait et les faux (4). Tout en se prenant pour un artiste de génie (5) !

(1) Le documentaire est disponible sur https://anightatthegarden.com

(2) Anita Gates, Bruno Ganz, who played an angel and Hitler, is dead at 77, The New York Times, February 16, 2019.

(3) Catherine Hickley, Nuremberg prosecutor seizes 63 Hitler works from auction house on forgery suspicions ?, The Art Newspaper, 8 February, 2019.

(4) Catherine Hickley, Faking Hitler : The story behind a sinister market, The Art Newspaper, 26 February 2019.

(5) Interview de Birgit Schwartz, historienne d’art, publiée dans Der Spiegel, 21 août 2009.


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