mercredi 15 mai 2019

Repenser la gauche. Inégalités, précarité et mobilité sociale


Pierre Pestieau

Le domaine de prédilection de la gauche, celui qui de tous temps la distingue de la droite, est la lutte contre la pauvreté, l’exclusion et les inégalités. Dans les programmes des partis de gauche, ce domaine occupe une place importante. Qu’en est-il dans la réalité ?

Le bilan de la gauche au pouvoir est mitigé. Elle a certes maintenu la pression pour que les acquis sociaux soient préservés mais elle a failli à sa tâche de plusieurs façons. D’abord, dans un souci de se montrer financièrement responsable et fiscalement pragmatique, elle a accepté certaines réductions de programmes sociaux et favorisé la création de niches fiscales souvent favorable à des groupes d’intérêts particuliers, particulièrement les détenteurs de capitaux. Ensuite, elle s’est montée faible dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Enfin, elle s’est montrée réticente ou timorée devant la nécessité de reformer la fiscalité et d’adapter la protection sociale à des besoins nouveaux.


Les politiques ont leur importance, mais ce sont les faits qui priment. Que peut-on dire de la réalité des inégalités et de la pauvreté ? Depuis quelques temps, les journaux ont tendance à publier à leur une des titres accrocheurs portant sur la montée des inégalités et sur l’augmentation de la pauvreté en Belgique et en France. Il est intéressant de voir ce qu’il en est vraiment tout en gardant à l’esprit la difficulté de mesurer correctement ces deux phénomènes. Force est de constater que tant les taux de pauvreté que les indices d’inégalité sont restés relativement stables au cours des deux dernières décennies.

Comment réconcilier ces évolutions avec la perception que d’aucuns ont qu’au contraire la pauvreté et les inégalités n’ont pas cessé de croître ? Plusieurs explications sont possibles :
·      Les données disponibles ne couvrent pas les dernières années qui auraient vu la montée de la précarité.
·      Le revenu monétaire ne couvre qu’un aspect de la qualité de vie.
·      Les produits consommés par les bas revenus ont vu leurs prix augmenter plus rapidement que l’inflation : le chauffage, la nourriture, le logement,…
·      Certaines catégories, les jeunes, les retraités, les familles monoparentales,…ont pu voir leurs revenus baisser, ce qui n’apparaît pas dans des indicateurs nationaux.

Mais le malaise est ailleurs. Il semblerait que si les Etats providence européens ont réussi à limiter les inégalités de revenus et la pauvreté, ils ont échoué à assurer à chacun une perspective de mieux être. En d’autres termes, ils n’ont pas réussi à empêcher que l’ascenseur social tombe en panne.

Une étude récente de l’OCDE (1) consacrée à ce sujet montre que, compte tenu des niveaux actuels d'inégalité et de mobilité intergénérationnelle sur l'échelle des revenus, au moins cinq générations (ou 150 ans) pourraient être nécessaires dans les pays de l'OCDE, pour que les enfants de familles modestes parviennent à se hisser au niveau du revenu moyen. Dans les pays nordiques, cela pourrait prendre deux à trois générations seulement, tandis que dans certaines économies émergentes, ce processus pourrait se dérouler sur neuf générations ou plus. En Belgique, il faudra 4 générations et en France 6 pour atteindre ce niveau moyen (2).

L’étude de l’OCDE indique aussi que cette mobilité sociale a fortement diminué au cours des dernières décennies. Pour un grand nombre de personnes nées de parents peu qualifiés entre 1955 et 1975, la mobilité sur l’échelle des revenus était une réalité ; pour celles qui sont nées après 1975, elle s’est considérablement restreinte.

Cela ne veut pas dire qu’il faut jeter aux oubliettes les outils classiques de l’Etat providence que sont la politique sociale, l’assurance maladie et l’assurance chômage, les régimes de retraite et d’invalidité. Cela veut dire aussi qu’il faut attacher plus d’attention à relancer l’ascenseur social pour assurer davantage d’égalité des chances. Dans mon prochain blog, je reviendrai sur cette question.

(2). La mobilité sociale est calculée à partir des corrélations entre les revenus du père et celui de l’enfant.




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